L'avenir toujours grec
Par Le concierge du Musée le samedi 11 février 2012, 18:22 - Missions archéologiques - Lien permanent
Une mission archéologique de Patrick Taliercio en Grèce
Face à un nouveau tir de mesures d'austérité imposé par la Troïka via son servile premier ministre grec, la coalition gouvernementale a éclaté vendredi 10 février et tout le pays s'est montré une fois de plus très combatif.
Vendredi 10 février 2012
L'un des principaux syndicats de la police grecque a émis un communiqué adressé à Klaus Masuch, chef de la délégation de la Banque centrale européenne, et à Servaas Deroos, ancien inspecteur en chef de la Commission européenne en Grèce dans lequel on peut lire :
"Comme vous poursuivez cette politique destructrice, nous vous prévenons que vous ne pouvez nous contraindre à nous battre contre nos frères. Nous refusons de nous élever face à nos parents, nos frères, nos enfants ou tout citoyen manifestant ou exigeant un changement de politique, (…) Nous vous prévenons que, en tant que représentants légaux des policiers grecs, nous allons émettre des mandats d'arrêts pour une série d'infractions légales (...) telles que chantage, tentatives de subrepticement abolir ou ronger la démocratie et la souveraineté nationale."
Cette lettre répond aux agissements récents de la Troïka - qui représente les intérêts du FMI, de la BCE et de l'Union Européenne. Après avoir exigé du gouvernement grecque qu'il adopte un nouveau paquets de mesures d'austérité (salaire minimum ramené à 586 euros bruts, coupes de l'ordre de 15% dans les retraites complémentaires, baisses de salaires dans les entreprises d'intérêt public et 15.000 suppressions d'emplois dans le secteur public... ), les bancocrates ont soumis avant-hier la Grèce à un nouvel ultimatum demandant au gouvernement encore plus de rigueur. Ce dernier événement a provoqué la démission d'un ministre et de trois secrétaires d’État appartenant au LAOS (extrême droite) et d'une ministre et du secrétaire d’État à l'emploi tous deux socialiste qui ont estimé (les élections approchent... quoique le Pasok ait fait circuler une pétition au Parlement visant à ce que la législature aille à son terme de 2013...), au contraire d'un Premier ministre entièrement inféodé au diktat financier, que la coupe était pleine . Si le syndicat qui représente les deux tiers de la police grecque a jugé de même, la garde prétorienne n'a pas pour autant levé la crosse. Des affrontements entre flics et manifestants (4000 à Syntagma à 13h) ont eu lieu jusqu'en milieu de journée hier sur la place du parlement. Les affrontements se sont ensuite déplacés vers des quartiers plus au nord de la ville. La fac de droit d'Athènes est occupée depuis. Sept personnes ont été arrêtées durant les affrontements d'hier dont deux mineurs après avoir été tabassés par la police. Certains d'entre eux vont être inculpés aujourd'hui. Plusieurs prisons du pays sont en ébullition (grève de la faim ou du travail des prisonniers). En dehors d’Athènes, des mouvements de protestation ont eu lieu notamment à Thessalonique, Kozani, Volos, Trikala et sur l'île de Skopelos. La préfecture de Larisa a été occupée, ainsi que la maison communale de Rethymno et celle de Mytilini sur l’île de Lesbos. En Crète, cinquante anarchistes ont bloqué un supermarché de la firme Ariadni en solidarité avec les grévistes d'une autre entreprise du même groupe. Les mêmes ont aussi bloqué une agence d'Alpha bank dont un des principaux actionnaires possède l'usine sidérurgique d'Aspropyrgos où les travailleurs sont en grève depuis 102 jours [1].
Athènes
Les « négociations » préliminaires entre les comptables de Bruxelles et les marionnettes du gouvernement grec se sont faites, nous dit-on, par téléphone, loin de la populace. Monsieur Junker, président de l'Eurogroup, qui au nom du retour à l'équilibre budgétaire prend le risque de provoquer sans lever une seule fesse de son fauteuil d'empereur la mort de milliers de personnes ne sait pas ce qu'il perd [2]. L’enfer austéritaire dont la Grèce inaugure l’expérimentation depuis deux ans a produit sur sa capitale des effets visibles et sans doute délectables pour un pervers du chiffre. Les quartiers nord-est du centre d'Athènes vivent dans une misère peu commune. La stratégie policière qui consiste à protéger les territoires bourgeois, administratifs et touristiques du sud de la ville contre tout ce qui pourrait venir de la zone universitaire d'Exarchia a concentré là toutes les détresses. La police a paraît-il échoué à repousser la drogue de la place Omonia où s'était établi le business, entre la ville riche et la ville pauvre, vers le point névralgique de la contestation, ce qui en aurait justifié le quadrillage. Le deal et la consommation sont redescendus sur les environs de l'école Polytechnique et plus bas où les rues sont jonchées de femmes et d'hommes hagards se partageant ce qu'ils peuvent trouver dans les poubelles. Le filet élémentaire qui pourrait immédiatement leur venir en aide n'existe pratiquement plus, hormis un bureau social destiné aux migrants et une mauvaise cantine tenue par les orthodoxes dans la rue Maizonos. Lorsqu'ils ne cumulent pas les trois misères les plus visibles du quartier (drogue, prostitution et clandestinité), les immigrés survivent généralement dans l'informel (glanage de métal et vente à la sauvette pour les Afghans, musique de rue pour les Roms...) voire dans des taches aussi humiliantes qu'incongrues comme le nettoyage des énormes yacht qui stationnent dans le port du Pirée, dont les pavillons grecs prouvent aussi que l'austérité est à dimension variable. La population des illégaux, tox et prostituées des environs d'Omonia est au sommet d'un iceberg où les plus vulnérables sont les plus immédiatement et les plus durement touchés. En-dessous, on trouverait les malades mentaux pour lesquels il ne reste plus que la famille, la rue où des asiles où l'on pratique à nouveau l'éléctrochoc ; les handicapés en tout genre privés d'allocation, les officiels 17% de chômeurs, les femmes au foyer qui supportent de plus en plus les charges dont se débarrasse l'Etat... etc... Qu'ils soient Afghans, Maghrébins, Roms ou subsahariens, les sans papier d’Athènes sont de leur côté unanimes pour dire que la Grèce est avec la France le pire des pays européens où séjourner en ce moment. Les motifs qui font espérer à tort ou à raison toucher des contrées « plus heureuses » comme l'Italie ou la Belgique sont la xénophobie ambiante et le harcèlement policier, qui tiennent tout deux à la montée en puissance de l'extrême droite.
Les fafs
Si Exarchia passe historiquement pour le quartier athénien de l’extrême gauche, le square Agios Panteleimonas est un des foyers du fascisme montant. C'est là que des milices se constituent déjà depuis quelques années pour mener des actions contre les immigrés [3] et qu'en mai et juillet 2009 ont eu lieu des manifestations anti-racistes qui ont débouché sur des affrontements immigrés-police, et extrême gauche – extrême droite [4]. Samedi 28 janvier 2012, le parti Aurore dorée organisait une marche qui, pour la première fois et après avoir été interdite l'année dernière, a réuni environ 1000 personnes (moitié moins les dernières fois). Le même jour, un pogrom a eu lieu dans le métro et sur une place publique où les présumés immigrés et personnes récalcitrantes ont été passées à tabac sur une durée de quatre heures sans que la police intervienne. Le lendemain, on dénombrait 47 personnes hospitalisées. Sur son site, le parti Aurore dorée évoque «un grand jour pour la Grèce». Ce même parti qui est crédité de 5% d'opinions favorables dans le quartier d'Agios Panteleimonas et dont le siège affiche son slogan («La Grèce aux Grecs») immédiatement en face de la gare, compte un élu parmi les représentants des sept divisions administratives d'Athènes qui siègent au conseil communal. L'extrême droite avait d'ailleurs jusqu'à hier également sa place dans le gouvernement actuel, le parti LAOS étant à peine plus modéré qu'Aurore dorée. Le nationalisme fortement enraciné dans l'histoire grecque est aujourd'hui engraissé par la politique austéritaire généralement conçue comme une agression de l'Allemagne, à qui l'on prête avec plus ou moins de justesse et de sérieux des nostalgies de IIIè Reich. Mais la xénophobie prend aussi des chemins plus tortueux lorsqu'un groupe d'obédience communiste préconise le retour de tous les immigrés dans leur pays pour qu'ils puissent y mener la lutte anti-impérialiste... Le mouvement d'occupation des places publiques (ou des Indignés) a aussi eu son été 2011 en Grèce où il a également divisé sur sa tactique non-violente et son principe d'apolitisme. Mais plus spécifiquement, ce principe a commencé à fondre lorsque sont apparus dans les assemblées de la place Syntagma de plus en plus de drapeaux grecs, ce qui donna autant de raisons de joindre le mouvement pour contrer cette récupération nationaliste que de le fuir pour ne pas y être mêlé. Après leur éclatement, les assemblées avaient repris depuis quelques dimanches en cette fin janvier, réunissant une vingtaine de personnes autour d'un espace d'échanges non marchand de livres ( il n'y a pas de livres dans les écoles cette année ), d'un stand de médecins bénévoles, d'une cuisine et d'une distribution d'habits et de couvertures. Les drapeaux sont partis de leur côté, le reste du nombre est allé former dans les quartiers, des groupes qui s'occupent d'ouvrir des squats ou d'installer des circuits électriques, la surtaxation du prix et la menace de coupure de l'énergie étant devenus pour le gouvernement un nouveau moyen de détrousser la population.
Les luttes
L'hiver avait, de l'avis général, quelque peu éteint la résistance des grecs pour le moment. Parmi les très nombreuses manifestations sur la place Syntagma de l'année écoulée, celle du 20 octobre 2011 a laissé un mauvais souvenir. L'entrée du parti communiste dans la danse des émeutes qui avaient précédé pouvait laisser craindre le pire. Le parti a en effet imposé un cordon de sécurité apparemment plus efficace pour empêcher les anarchistes de s'approcher du Parlement que pour protéger quiconque de la violence policière. Résultat : un militant communiste succombe sous les gaz lacrymogènes et sa mort est iimmédiatement imputée par le parti aux activistes « anarcho-fascistes ». Accusation officiellement démentie par la suite sans que le parti ne revienne sur sa version des faits [5]. Comme partout, la gauche grecque se divise comme la pizza entre staliniens recuits du PC, troskards et anars avec pour chaque quartier ses sous-divisions jusqu'à la tendance spécifique et récente des nihilistes grecs qui se réclament de Netchaïev et foutent régulièrement le boxon dans tout ce qu'ils jugent trop modéré. Les anars grecs sont comme ailleurs essentiellement centrés sur la lutte contre les enfermements et à distance des boites trustées par des syndicats plus ou moins avachis. L'autogestion ne semblait pas être à l'ordre du jour fin janvier. Pourtant, le 4 février, les travailleurs d'un hôpital de Kilkis au nord de Salonique ont décidé de prendre leur lieu de travail en mains [6] et l'on peut espérer aujourd'hui que le cas va faire école. Il est déjà question notamment d'une reprise du journal Eleftherotypia par ses rédacteurs [7]. Enfin, même au creux de la vague et dans le train-train déjà extrêmement fourni des activités d'Exarchia, des membres du collectif des 300 qui, en février dernier ont mené une grève de la faim victorieuse de 44 jours pour leur régularisation à Athènes et Théssalonique [8], se réunissaient en vue de la constitution d'une association indépendante de défense de tous les immigrés de Grèce, ce qui, étant donné le contexte et le travail de division opéré jusque là par des associations para-étatiques et/ou communautaires dites de soutien, ne serait là aussi pas une triste nouvelle.
Quoi qu'il en soit, la température est semble-t-il remontée d'un coup et l'avenir européen n'ayant jamais été aussi grec (pour le meilleur comme pour le pire), toutes les solidarités sont aujourd'hui à l'ordre du jour. D'autant que l'idéologie cohérente avec ce qui est en train d'être mis en place en termes d'élimination pure et simple des pauvres pourrait ne pas tarder à s'imposer comme un contre-feu providentiel pour la bourgeoisie grecque et européenne. Le dénuement dans lequel sont plongés les migrants d’Athènes et de toute la Grèce revêt, par un effet de concentration, un aspect particulièrement spectaculaire facilement exploitable par l'extrême droite. A l'heure où Thatcher est sur le point de rendre sa cravache avec les honneurs et le sourire, le capitalisme dit néo-libéral retourne manifestement à son éprouvette pinochiste. Il faut qu'il y crève.
VIDEOS : Athènes janvier 2012 (sur les effets de la politique austéritaire)
http://youtu.be/4kEEjBovOI0 http://youtu.be/So5o7stZJMU http://youtu.be/f7EucTkHusY
Notes
[1] http://en.contrainfo.espiv.net/2012/02/10/greece-first-day-of-nationwide-protest-mobilization-in-order-to-liberate-ourselves-from-debt-we-must-destroy-the-existent/
[2] http://www.youtube.com/watch?v=xHSKjJ_plIs
[3] http://en.contrainfo.espiv.net/2010/10/14/video-about-the-immigrants-and-the-fascist-attacks-in-greece ; http://infomobile.w2eu.net/2011/05/10/murder-instrumentalised-by-fascist-groups-for-new-pogrom-against-migrants-in-athens-centre/
[4] http://berthoalain.wordpress.com/2009/05/23/emeute-a-athenes-mai-2009/ ; http://berthoalain.wordpress.com/2009/07/08/affrontements-a-athenes-juillet-2009/
[5] http://fr.kke.gr/news/news2011/2011-10-21-murderous-attack
[6] http://en.contrainfo.espiv.net/2012/02/05/kilkis-northern-greece-occupation-and-self-management-of-the-citys-general-hospital-by-the-workers/
[7] A propos de l'usine sidérurgique Halivourgia d'Aspropyrgos où les travailleurs sont en grève depuis 102 jours contre les licenciements et les baisses de salaires voir http://nouvelleshorslesmurs.wordpress.com/2011/12/04/solidarite-internationale-aux-travailleurs-des-acieries-grecques-helliniki-halivourgiaet des images de la lutte ici : http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=fyHk_5IFQic )
[8] http://hungerstrike300.espivblogs.net/2011/03/09/la-lutte-des-300-espoir-pour-toute-la-societe/ et http://youtu.be/f7EucTkHusY