Les Banquiers au coeur des sommets de l'Union européenne
Par Le concierge du Musée le samedi 11 février 2012, 01:53 - Observatoire de l'UE - Lien permanent
voir l'article original sur le site du Corporate Europe Observatory en date du 23 janvier 2012.
Un accès privilégié aux sommets de l'UE a permis au lobby bancaire de ne pas payer pour sa propre gabegie.
Aux sommets de la zone euro de juillet et octobre 2011, des décisions cruciales pour « sauver l'euro » et « sauver la Grèce » ont été prises. On tomba d'accord pour restructurer les dettes grecques et on demanda aux banques d'accepter une « coupe » dans leurs profits pour éviter le défaut grec et celui de plusieurs banques qu'il aurait pu provoquer. À l'été 2011, la presse bruissait d'informations sur les négociations informelles entre les chefs de l'UE et les banques concernant le niveau de l'implication du secteur privé dans la restructuration des dettes grecques.
L' Institute of International Finance (IIF), un lobby créé en 1983 par les plus grandes banques et institutions financières du monde pour traiter de la question des dettes souveraines (2) était devenu l'interlocuteur de l'UE en ce qui concerne la dette grecque. Ses propositions – décrites comme des « offres » - se virent dérouler le tapis rouge.''
Le Pt de l'IIF à l'époque, Joseph Ackermann (PDG de Deutsche Bank), se rendit à Bruxelles pour le sommet de juillet pour défendre les intérêts du secteur financier. Le directeur général de l'IIF, Charles Dallara, est aussi réputé avoir rencontré plus d'un chef de gouvernement lors de l'Euro sommet ce qui suggère que l'IIF fut impliqué dans les négociations directement jusqu'à la dernière minute.
Les politiciens étaient supposés prendre de grandes décisions, mais apparemment les banques avaient également leur mot à dire. Quel fut exactement le rôle de l'IIF?
La réponse officielle
Pour y voir clair, le Corporate Europe Observatory (CEO) a requis (3) l'accès aux minutes et aux notes des réunions des représentants du Conseil européen avec l'IIF en relation avec les sommets, ainsi qu'aux documents soumis par lobby. À notre grande surprise, le Conseil européen a affirmé dans sa réponse (4) que les contacts avec les représentants de l'IIF « avant, pendant et après » les sommets n'ont consisté qu'en « discussions avec un Etat membre, en l'occurrence la Grèce, et des investisseurs privés possédant des obligations grecques, en tant que représentés par l'IIF ». Autrement dit, le Conseil, déclare que l'IIF n'a pas eu de réunions avec aucun des autres Etats membres durant les sommets de l'UE à l'exception de la Grèce.
Le Conseil a aussi indiqué au CEO qu'assistaient également à ces discussions des représentants de la Troïka (ie de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international) ainsi que le président du Comité économique et financier (5), Vittorio Grilli. Ce dernier était chargé d'informer les sommets de l'UE au sujet des discussions avec l'IIF tenues précédemment.
Mais il est très difficile de croire qu'il n'y ait pas eu d'autres contacts en dehors de ceux énumérés. Selon ce qu'ont rapporté les médias et ce que des documents consultés suggèrent, la réalité fut toute différente. Le CEO a déposé un recours au sujet de la réponse du Conseil européen et a demandé une enquête interne.
À la recherche de preuves
Les informations de la presse datant d'avant début juillet font référence à un document signé par l'IIF, daté du 10 juillet et « remis aux ministres européens des finances » (6). Dans ce brouillon, le lobby disait que les pays de la zone euro et le FMI devaient montrer qu'ils étaient capables d'élaborer un plan de sauvetage de la Grèce, incluant un plan de rachat de la dette. Il est plus que probable que ce document a influencé les décisions finales prises par les chefs d'Etat.
Sur le site internet de l'IIF, les détails de ses « offres pour la Grèce » (7) furent publiées le même jour que leur adoption par le Sommet. Le document fait référence à « un ensemble plus large d'accords atteints avec l'UE »
Interrogé par l'organisation Lobbycontrol, un « chien de garde » allemand à but non lucratif, en octobre 2011 (8), l'IIF a répondu qu'il « avait cherché à faciliter les discussions entre un large panel d'investisseurs privés, parmi lesquels certains ne sont pas membres de l'IIF, et le secteur officiel, comptant des membres haut placés de l'UE, la Banque centrale européenne et le FMI. Ce rôle de facilitation d'échanges de vue appropriés entre les créanciers privés et officiels de la Grèce s'est fait sur ordre et en pleine connaissance du gouvernement grec. »
Cette déclaration dit clairement que l'IIF a aussi rencontré des « créditeurs officiels » (par opposition à des créanciers privés) ie les autres gouvernements de l'euro-zone. L'IIF déclare explicitement que « M. Dallara et une équipe de l'IIF a eu des rencontres étendues avec des représentants officiels importants de tous les gouvernements durant plusieurs semaines ». Et pourtant le Conseil assure dans sa réponse au CEO que seul le gouvernement grec a eu des rencontres avec l'IIF.
Dans sa réponse à LobbyControl, l'IIF n'a pas nié l'implication de trois de ses représentants (Ackerman, Dallara et Baudouin Prot) dans des rencontres avec de nombreux représentants officiels de l'UE, mais a dit : « Ils n'ont pas participé directement à la rencontre des Chefs d'Etat ». Cependant, EurActiv et EuxTV ont rapporté que Joseph Ackerman s'est rendu au Conseil européen à l'occasion du sommet de juillet (9).
On fait état de contacts également à l'issue du sommet. Les médias grecs mentionnent un appel à conférence impliquant Dallara avec des responsables de haut niveau de l'UE, comme le Pt de l'eurogroupe Jean-Claude Juncker et le Commissaire européen Olli Rehn, au cours de laquelle la mise en oeuvre des décisions du sommet de juillet fut discutée. (10)
Et le nom de Dallara apparaît de nouveau dans la couverture médiatique des Euro-sommets en octobre 2011 qui évoque deux brèves rencontres dans le bureau du Pt du Conseil Herman Van Rompuy. Le Pt français, Nicolas Sarkozy, la Chancelière allemande Angela Merkel et les représentants des banques étaient aussi présents. Ces rencontres étaient décrites comme cruciales et décisives pour les résultats des sommets (11).
L'agence Bloomberg a rapporté que « Les leaders européens ont franchi un pas inhabituel en convoquant les représentants des banques, Charles Dallara, directeur de l'Institute of International Finance, au sommet pour sortir de l'impasse sur la façon de réduire la dette grecque. Dallara a rompu des lances avec un groupe dirigé par Sarkozy et Merkel vers minuit, après avoir envoyé un communiqué par email déclarant ˝qu'il n'y a d'accord sur aucun élément d'un règlement˝. Selon Bloomberg, Sarkozy déclara que les banquiers avaient été convoqués ˝non pas pour négocier, mais pour être informés des décisions prises par les 17˝ (12).
Après l'accord d'octobre, une autre rencontre concernant l'application de l'accord a été mentionnée par les médias grecs, réunissant notamment le ministre grec des finances Evangelos Venizelos, le Commissaire Rehn et Dallara (13).
Dans un document publié le 14 septembre, L'IIF rapportait que son groupe de travail sur la Grèce (constitué des banques ayant une exposition en Grèce) avait tenu - avant le sommet de juillet – plusieurs réunions avec le groupe de travail de l'eurogroupe (15) au sein duquel plusieurs haut responsables des pays de la zone euro et des institutions européennes, présidé par Vittorio Grilli. Et ce document précise : « les modalités permettant la possibilité d'une implication du secteur privé ont été élaborées et finalement approuvées par des officiels de premier plan de la zone euro et de la Grèce, et in fine par les chefs d'Etat ou de gouvernement de la zone euro et les leaders des institutions européennes et du FMI lors de leur réunion du 21 juillet, à la suite de négociations menées par le Pt de l'IIF, Josef Ackerman. »
Qui gagne ?
Toujours selon ce document, l'offre financière de l'IIF « a joué un rôle de catalyse en facilitant l'accord du 21 juillet et fait intégralement partie de l'important train de mesures en soutien à la Grèce annoncé par les chefs d'Etats et de gouvernements de la zone euro et les leaders des institutions européennes le 21 juillet 2011 à Bruxelles. »
Comme on peut s'en douter, si les résultats ont pris leurs racines dans l'offre des banques, ils avaient de bonnes chances d'être favorables au secteur financier. Et en effet certains experts ont souligné les gains que l'accord offrait aux banques. Le conseiller économique du gouvernement allemand, Wolfgang Franz commenta : « Si vous considérez les 21% (fixés) à l'aune des 50% de participation des créanciers privés que nous demandions, le secteur financier a remporté un grand succès » (16).
En octobre, les banques durent reconnaître que leur solution supposée était insuffisante et qu'un abandon de 50% (des créances) était nécessaire. Mais contrairement à ce qui s'était passé en juillet, elles ne parvinrent pas à se mettre d'accord sur les détails techniques de ce accord avec l'UE. Cela devra être mis au point lors de négociations avec le gouvernement grec et le résultat a de bonnes chances d'être de nouveau favorable au secteur financier.
Les créditeurs seront remboursés de 50% de la valeur nominale des titres grecs, dont la valeur réelle sur le second marché est environ 36% de leur valeur faciale (17). Les banques créditrices étrangères recevront l'équivalent (35% de 70 milliards) de la valeur réelle actuelle de leurs titres (qui sinon continueraient à diminuer) sous forme de nouveaux titres garantis à 20 ou 30 ans. Les banques échangeront donc leurs obligations pourries contre des titres notés AAA. En plus de cela elles vont recevoir 15% (soit 30 milliards) en cash (soit 15% + 35% = 50 % NDT) (18)
De sorte que les banques éviteront non seulement l'effet domino incontrôlable provoqué par un défaut grec, elles vont aussi gagner 30 milliards sonnants et trébuchants. Les banques grecques recevront environ 30 milliards supplémentaires aux termes du nouvel accord de prêt (19). Tout cet argent sera payé par les contribuables des pays de la zone euro à travers le Mécanisme de stabilisation financière. Les banques font une bonne affaire, mais la Grèce reste endettée. Les États membres payent la facture à la place des banques.
Ces conditions impitoyables ont contribué à augmenter la pression sur le gouvernement grec élu qui dut finalement démissionner et fut remplacé par Loukas Papademos, ancien vice-président de la banque centrale européenne (BCE). Les négociations sur la façon de mettre en œuvre les échanges de titres (PSI) envisagé par le sommet d'octobre ont continué en janvier.
L'omniprésence des représentants des grandes banques partout où des décisions sont prises et la facilité avec laquelle ils ont accès aux décideurs expliquent comment les résultats finaux de ces sommets sont influencés par le pouvoir d'Ackermann et de ses amis. Ils ont remporté l'embarrassant trophée du pire lobbying pour leur campagne menée avec l'IIF pour assurer des conditions favorables au secteur financier sur la dette grecque, tout en prétendant faussement être durement touchés par les résultats. (21)
Les banques, dont les pratiques de crédit irresponsables font partie des causes de la crise, apparaissent désormais dictant les termes de la solution pour leur propre bénéfice. En d'autres termes, au lieu de réformer le système monétaire et de sanctionner les banques responsables, l'UE les invite à déterminer la voie de sortie du chaos qu'elles ont provoqué.
Traduit de l'anglais par Benoît EUGENE
Encadré :
Les banques sont des deux côtés du tapis vert
Petros Christodoulou, qui a travaillé pour Goldman Sachs mais aussi pour la Banque nationale grecque (membre du groupe de travail de l'IIF pour la Grèce) joue désormais un rôle de premier plan dans l'équipe des négociateurs grecs. Et le principal conseiller économique du Premier ministre Papademos est désormais Gikas Chardouvelis, en congé sabbatique d'un autre membre du groupe de travail de l'IIF : Eurobank EFG. Il semble donc que les banquiers siègent des deux côtés de la table des négociations sous le regard attentif de la Troïka bien évidemment. Le prochain accord inclura probablement un passage des titres émis sous la juridiction britannique (c'est bien le cas – NDT) pour retirer à l'Etat grec, en cas de changement politique, toute possibilité de restructurer la dette dans l'intérêt de ses citoyens.
Voir Roche, Marc, "Goldman Sachs, the international web”, PressEurope, 3/3/2011 Durden, Tyler, “Head Of Greek Debt Office Replaced By Former Goldman Investment Banker”, Zero Hedge, 02/19/2010 Caruso-Cabrera, Michelle, “Greek Debt Deal Talks: How Much of a 'Haircut'?”, CNBC, 10/1/202 Gikas A. Hardouvelis, Curriculum vitae
1. Les euro-sommets et les sommets du Conseil européen des 21 juillet et des 23 et 26 octobre 2011 2. Voir le site web de l'IIF: www.iif.com/about/ 3. En vertu du droit d'accès aux documents garanti par les traités de l'UE et réglementé par le Réglement 1049/2001. 4. Voir toute la correspondance: http://www.asktheeu.org/en/request/the_role_of_the_institute_of_int#inco... 5. Le Comité économique et financier est un comité de l'UE établi pour favoriser la coordination des politiques parmi les Etats membres. Il rédige des avis à l'initiative du Conseil européen ou de la Commission http://europa.eu/efc 6. O'Donnell, John, “Europe, IMF need to act soon to avoid contagion: IIF”, in Reuters, 12/07/2011 http://mobile.reuters.com/article/topNews/idUSTRE76B41O20110712?irpc=932 7. IIF, IIF Financing Offer, 21/07/2011 http://www.iif.com/press/press+198.php 8. Réponse à LobbyControl via email, 10 Octobre 2011 de l'attaché de presse de l'IIF , Frank Vogl à laquelle le CEO a eu accès. 9. EurActiv et Eux TV, “In Greek rescue, Euro leaders take cue from Deutsche Bank chief”, 22/07/2011 http://www.youtube.com/watch?v=62Su_BSr69c 10. Athens News, “Venizelos: EU summit decisions must be quickly applied”, 09/08/2011, in Athens News http://www.athensnews.gr/portal/11/45974 11. Missé, Andreu, “Asuman la quita del 50% o prepárense”, en El País, 30/10/2011 http://www.elpais.com/articulo/economia/Asuman/quita/preparense/elpepiec... 12. Neuger, James G. and Bodoni, Stephani, “EU Sets 50% Greek Writedown, $1.4T in Crisis Fight”, Bloomberg, 27/10/2011 http://www.bloomberg.com/news/2011-10-27/europe-leaders-set-50-greek-wri... See also:Brühl, Jannis, “Wie die Finanzlobby Politik macht”, Süddeutsche.de, 26/10/2011 http://www.sueddeutsche.de/geld/bankenregulierung-wie-die-finanzlobby-po... 13. TVXS, “Ξεκινούν οι διαπραγματεύσεις για το PSI”, 16/11/2011 http://translate.google.com/translate?hl=en&sl=el&tl=en&u=http%3A%2F%2Ft... 14. IIF, “The July 21, 2011 Support Package for Greece: Key Elements, Likely Impact and Benefits for Debt Sustainability”, 22/09/2011 15. Le Comité économique et financier se réunit aussi dans la configuration zone euro, alors connu sous le nom de Groupe de travail de l'Eurogroupe (EWG), dans lequel seuls les Etats membres de la zone euro, la Commission et la Bnaque centrale européenne sont représentés. Dans cette configuration, le Comité prépare les travaux de l'eurogroupe. 16. Cité in “The power of Financial Lobby in the EU”, a video report by Stephan Stuchlik, Kim Otto and Andreas Orth, for Monitor 17. Landon Thomas Jr., “Anticipating a Brutal Fallout: Banks in Europe Slowly Face Prospect Of Huge Losses From Greek Bonds”, The New York Times, 5/10/2011 http://query.nytimes.com/gst/fullpage.html?res=9A07E4D71730F936A35753C1A... 19. Global Finance Blog, “Greek banks 26.5 billion emergency loan to bail out”, 20/11/2011 http://www.globalfinanceblog.com/2011/11/20/greek-banks-26-5-billion-eme... 20. Voir: http://www.lobbycontrol.de/blog/index.php/was-ist-die-lobbykratie-medaille/ 21. “Cela nous touche durement” déclara Ackermann, interviewé après le sommet de juillet Voir: “The power of Financial Lobby in the EU”, a video report by Stephan Stuchlik, Kim Otto and Andreas Orth, for Monitor.