Essayage : le Prix Nobel de la Paix vous va si bien !
Par Le concierge du Musée le mercredi 12 décembre 2012, 06:13 - Quatrième nuit de Walpurgis - Lien permanent
« C'est un moment, dans la vie des nations, qui ne manque pas de grandeur dans la mesure où, en dépit de l'éclairage électrique et même de tous les expédients de la radiotechnique, on renoue avec l'état primitif et où un bouleversement de toutes les conditions de vie passe souvent par la mort. »
Vue de cette sorte de théâtre qu'est la Place du Luxembourg, à Bruxelles, la stupéfiante cérémonie de remise du Prix Nobel de la Paix à l'Union européenne, un de ces moments de violence symbolique qui paralyse durablement le cerveau aussi sûrement qu'un rouleau compresseur aplatit un personnage de Tex Avery, mais qui lui s'en relève, fut un de ces moments où l'on ressent physiquement que même l'illusion de toute prise sur les événements, qui permet encore de vivre, est désormais refusée. C'est peut-être du Parthenon dans des temps historiques qui s'emballent qu'on aurait atteint au meilleur point de vue, sorte de point médiateur entre les forces qui donnent forme au monde et les créatures terrestres qui l'habitent tant bien que mal,
« cœurs piétinés, volontés brisées, honneurs souillés, toutes ces minutes de bonheur ravies de la Création et tous ces cheveux défrisés sur la tête de ceux qui n'ont commis d'autres fautes que d'être nés ! »
Mais, en ce qui nous concerne, c'est plus modestement sur cette place du Luxembourg que nous apparut soudain ainsi qu'à quelques égarés, comme par un déchirement dans le ciel d'une tempête shakespearienne, la magnificence de l'Hôtel de ville d'Oslo, qui évoquait tant un royaume antique que médiéval (avec ces drôles de personnages célébrant l'entrée des invités à grand son de trompe, ce Roi et ces Princesses), peut-être aussi parce que le style moderne semble tellement appartenir à un lointain passé, et plus sûrement parce qu'il était observé depuis l'angle, comme nous allons le voir, des laideurs les plus grandes, néanmoins typiquement « européennes ».
Cette fenêtre en forme d'écran géant absurdement muet s'ouvrit à peu près au niveau du Salon Léopold de la gare du Luxembourg, qui abrite désormais les services de propagande du soit-disant Parlement européen affectés à la diffusion du portrait du soit-disant Souverain, dont le rideau de verre et de béton écrase de toute sa masse l'échelle du commun, projetant l'intérêt général à des altitudes que seuls des ennemis qu'un défaut de la pensée proclame « sans visages » peuvent sans doute atteindre. Il faut décidément beaucoup de béton, et même un Prix Nobel de la Paix !, pour asseoir un mensonge, celui d'une Union européenne « plus grande démocratie parlementaire du monde » quand la forme n'est habitée d'à peu près aucune des fonctions.
Dans l'alignement s'élève une statue de Cockerill, maître des Forges avec assis à ses pieds, à chaque coin : « un verrier, un puddleur, un houilleur et un mécanicien. » Les guides touristiques précisent que chacun portait le nom de son (ouvrier-) modèle en médaillon, ajoutant que cela les fit « entrer dans l'histoire » mais que pour ainsi dire, ils n'y auront fait qu'un petit tour, les dits-médaillons ayant disparu. Le monument est didactiquement intitulé « John Cockerill, père des ouvriers » et ces temps-derniers affublé d'un calicot : « Mittal, assassin ! » du meilleur effet ; comme quoi, il suffisait d'attendre que le passé se transforme en futur pour que l’œuvre fondue dans le paysage résonne de nouveau.
Pour être totalement complet, on peut prolonger l'alignement, même si la vue ne porte pas jusque-là tandis que l'esprit hésite d'autant plus à s'y aventurer qu'il doit franchir un tunnel où il pourrait bien se perdre définitivement, de l'autre côté de la façade du soit-disant Parlement : s'y côtoient en effet, une déesse Europe en fonte brandissant un grand « E » avec une légèreté barrosienne, et un arbre de la Liberté (des affaires) gracieusement offert au pseudo-parlement par la Fédération européenne des lobbyistes, auto-célébration d'une contribution démocratiquement essentielle « aux discours et aux votes » comme il est gravé dans le plexiglas, usurpation généreusement et logiquement acceptée par des députés qui n'en ont que le nom et en tous cas nul talent de bûcheron, y compris quand il ne s'agit point d'arbres mais d'amendements suggérés par les serviteurs des trusts. Cockerill, dont wikipedia nous apprend opportunément qu'« en 1838, malgré la faillite de son établissement bancaire, il fond(a) un complexe industriel indépendant comprenant les différentes fabriques destinées à développer le premier complexe industriel intégré » et la Déesse se répondent ainsi joliment par-delà les siècles, cette dernière ayant été inaugurée, parmi quelques autres œuvres de même facture, par ces saintes paroles : « Ces œuvres sont la concrétisation d'un accord particulier conclu entre les mondes de l'art, de la politique et de l'économie en vue de la réalisation en commun d'un projet profitable à tous. Celle-ci a été mise en œuvre grâce, notamment, à l'initiative d'entreprises privées soucieuses de s'affirmer comme sociétés européennes...une telle initiative ne s'intègre-t-elle pas dans les perspectives ambitieuses auxquelles nous convie l'Europe de 1992, à savoir l'expansion des entreprises et leur coopération à l'échelle communautaire, l'amélioration de l'environnement et l'aspiration à une société tournée vers l'homme et la culture ? »
De cette « société tournée vers l'homme et la culture » le Quartier Léopold porte plus que la marque depuis que « la politique » lâcha la bride à des « entreprises privées » immobilières « coopérant » à l'échelle bruxelloise pour en assurer la « destruction-créatrice » et rémunératrice. Juste retour des choses diront les Africains, car le Quartier Léopold, comme son nom l'indique, devait lui aussi son existence à la férocité prédatrice s'étant abattue sur leur continent. Ceux « qui n'avaient commis d'autres fautes » que d'y habiter ne sont plus là pour témoigner, ou se comptent sur les doigts d'une main, de la place qui leur fut laissée au sein de « cet accord particulier » et de ce « projet profitable à tous ». C'est à peu près celle qui est réservée aux « Européens » dans la « démocratie européenne » où les mots ont perdu tout sens, quand ce n'est pas déjà la vie. On aurait pu le rappeler aux deux célèbres comiques troupiers (les soit-disant « députés » européens Cohn-Bendit et Verhofstadt) qui, quelque temps plus tôt, dans la magnifique salle du Palais des Beaux-Arts de Victor Horta valant bien l'hôtel de ville d'Oslo, car nul besoin de s'y boucher les oreilles pour être hors de portée des râles, justifièrent du « nécessaire » « passage » (en force) à une « Europe fédérale » en exaltant, parmi tout un bric-à-brac et dignes de petits garçons devant un réseau trans-européen de transports ou un Premier ministre devant un aéroport sensé remettre l'extrême-ouest du continent en son centre, l'unité urbanistique continentale de « la ville européenne », autrement-dit de la Renaissance. Les historiens ont rétrospectivement eu tort d'avoir tordu le coup à cette mythologie sociale, car dans ce domaine « l'expansion des entreprises et leur coopération à l'échelle communautaire, l'amélioration de l'environnement et l'aspiration à une société tournée vers l'homme et la culture » confèrent à « la ville européenne » une homogénéité de plus en plus caractéristique s'agissant d'extraire de l'or de son sol sans grande attention pour les formes de vie qui se sont sédentarisées sur ces gisements fonciers.
Et de ce point de vue là, le Quartier Léopold est en effet « férocement européen », au sens prédateur du terme, il est même précurseur, terrain d'expérimentation de l'expropriation généralisée du bien commun depuis le sol sous nos pieds jusqu'à nos droits à vivre les plus immatériels, la vente à la découpe du continent s'opérant désormais à l'échelle de pays entiers. Car qui ne voit que la construction de l'Europe des trusts est à l'image de ce quartier car elle obéit au même processus ? Les politiques de santé, les retraites, l'agriculture, la culture... ressemblent déjà singulièrement à des Déesses en fonte brandisseuses de « E » frappant les trois coups de la tiers-mondisation du continent. Au martyre grec, donc, le Quartier Léopold compatissant. Même si tout a commencé, en Europe au moins car en Afrique, guerres, rapines, prédations n'ont jamais cessé, par le dépeçage de l'Allemagne de l'Est et de l'Europe centrale, bien que les râles des agonisants ne nous soient pas même parvenus. Les habitants du quartier ont aussi péri de n'avoir pu concevoir que leur destin, loin d'un « dysfonctionnement », présageait du sort commun. Les lobbies industriels les y ont remplacés d'où ils réalisent les « perspectives ambitieuses auxquelles nous convie l'Europe » qui n'épargnent pas plus quà l'époque léopoldienne le reste du monde. Si « tout est arrivé par défaut d'avoir su le représenter » comme le gémissait Karl Kraus, le Quartier Léopold est un monument européen, visible but unseen.
C'est dans ce visible, devant quelques rares passants, que nous assistions, comme à la messe, à la mise en rang à Oslo d'un parterre de politiciens petits-bourgeois enrichis, rois fainéants d'une Europe à laquelle trois inconnus étaient censés donner un visage et même une âme ! Le Belge Van Rompuy, le Portugais Barroso et l'Allemand Schutz. Le premier inconnu n'avait pas hésité depuis le paradis des rentiers et des exilés fiscaux qu'est sa charmante bourgade de Rhode-St Genese, où la liste électorale de sa femme accueillait récemment 8 candidats NVA, parti séparatiste flamand tout à fait euro-compatible et même avant-gardiste du point de vue de l'exacerbation des tensions ethniques générées par la « concurrence pure et parfaite », à se féliciter, devant les caméras, de ce prix Nobel, et cela au nom de 500 millions d'Européens. Un an plus tôt, il se décrivait lui-même comme une sorte de fantoche : « Le poste est un compromis boiteux. Le Pt du Conseil est déconnecté du Conseil, de l'administration et du Parlement. Il doit donc développer un réseau informel pour pallier les manques institutionnels n'étant ni chef d’État ni Premier ministre. » Il est sûr qu'un inconnu se prétendant Président de l'Europe, développant un « réseau informel » au sein du pouvoir et prétendant parler au nom de 500 millions d'Européens qui, non seulement n'est pas conduit immédiatement à l'hôpital psychiatrique, mais reçoit le prix Nobel de la Paix à Oslo au nom de la démocratie, met à l'épreuve notre propre santé mentale. D'autant plus que le fantoche professe ouvertement son machiavélisme, se réjouissant, sans être arrêté par un agent, que la crise financière constitue l'arme idéale sous la menace de laquelle on pourra forcer le « passage » vers un fédéralisme européen, soit à y bien comprendre la remise du pouvoir entre les mains d'institutions tyranniques « éclairées » (une lumière à laquelle on risque de ne plus trop oser regarder). « Never waste a good crisis » se félicitait-il un an plus tôt, ajoutant : « un saut qualitatif ne se fait jamais en convaincant par des arguments intellectuels » tandis que son conseiller, un philosophe catholique-brabançon adepte du fouet et théoricien de ce « passage » (vers l'Empire) ajoutait : « Si 27 États ont des difficultés budgétaires, on ne va pas régler le problème en faisant tourner la planche à billets. Cela déresponsabiliserait les gouvernements ». Le ready-made européen ne nous laissant aucun répit, le philosophe reçut même des mains du cinéaste Costa-Gavras, pourtant grec et auteur d'un film sur l'establishment financier, le prix du meilleur essai décerné sous l'égide du socialiste français Pascal Lamy qui fit tant pour la déréglementation du secteur bancaire, ancien Commissaire au commerce et désormais Directeur de l'OMC... L'ex « Baby Thatcher », Verhofstadt, converti à l’œcuménisme européen « lors d'une visite dans une église du Rwanda », avait d'ailleurs précisé à sa manière cette tendance résolument putschiste qui anime les nouveaux pères sévères de l'Europe, dans une interview-sourire au journal Le Soir : « Il n'y a pas d'alternative. Ce qui est important, c'est que la pression ne diminue pas. Ainsi (il sourit) il vaudrait mieux que la Banque centrale européenne ne soit pas laxiste car si elle relâche sa politique et que cela va mieux, le sentiment d'urgence va disparaître, or c'est notre allié. » Nul ne releva. L'alliance objective entre la finance et les architectes de l'Europe, également matérialisée par la présence parmi les chefs d’État lors des sommets européens décidant du sort des Grecs et de tous les autres du représentant de l'International Institute of Finance, ne pouvait pourtant mieux être confirmée. Et si le prix Nobel fut remis misérablement dans les mains du petit Machiavel brabançon, il manquait tout de même que l'architecte en chef, Mario Draghi, le Pt de la Banque centrale européenne, fût convié. Dans la fenêtre ouverte dans le ciel menaçant du Quartier Léopold offrant vue sur le Royaume de Norvège aurait pu s'ouvrir en abyme la vue d'une dimension encore plus céleste réduisant toutes ces éminences à notre sort commun de mortels dont on tire les ficelles et qui jouent à se croire sujets de l'Histoire. Au moins au Palais des Beaux-Arts, l'appariteur du duo comique Verhosfstadt-Cohn-Bendit s'appelait Etienne Davignon, l'un des principaux artisans du pacte conclu avec les multinationales en vue de faire advenir une Europe unie sous leur souveraineté exclusive, celle des trusts et des Konzerns, la seule possible... Place du Luxembourg, le « père des ouvriers » avait la discrétion de feindre regarder dans l'autre direction...
La comédie bourgeoise ne pouvait se dérouler sans violon ni piano, car c'est tradition que les pires crimes soient toujours commis sur le plus grand air de la culture, et tandis que la soliste jouait, l’œil était irrésistiblement attiré par les fenêtres du salon desquelles on croyait deviner le carnage de la prédation capitaliste s'abattant sur l'Europe, tandis qu'à travers ce prix, les rois fainéants se célébraient eux-mêmes d'une paix dans laquelle ils n'étaient pour rien à la différence des guerres en-cours et à venir. Après tout Paix et Guerre entre les nations tenaient pour Van Rompuy en deux mots n'en formant qu'un, Freundschaft, Amitié : « To think of what France and Germany had gone through, and then take this step. Signing a Treaty of Friendship. Each time I hear these words – Freundschaft, Amitié –, I am moved. They are private words, not for treaties between nations. » La Chancelière allemande, toute à sa puissance retrouvée, et le Président français, plus « normal » que jamais même s'il se préparait à quelques guerres normales en Syrie et au Mali ce qui valait bien le revival du Drang nach Osten de sa voisine, se levèrent alors en se prenant la main formant une de ces pâtisseries que l'on sert lors des banquets de mariage. Le Président fantoche reprit d'un ton grave pour se fendre pourtant d'une bluette dont le kitsch digne de la collection Arlequin ne retint pas Excellences et Éminences d'applaudir à tout rompre comme à la première de Sissi Impératrice : « When Konrad Adenauer came to Paris to conclude the Coal and Steel Treaty, in 1951, one evening he found a gift waiting at his hotel. It was a war medal, une Croix de Guerre, that had belonged to a French soldier. His daughter, a young student, had left it with a little note for the Chancellor, as a gesture of reconciliation and hope. »
S'il fut un acquis de la « Paix » qui ne fut bien sûr ni évoqué ni célébré lors de la remise de ce prix, c'est bien la conquête des droits sociaux et le recul de la misère qu'elle permit, et cela des deux côtés du Mur, grâce au rejet des politiques d'avant-guerre et de la loi des trusts redevenus aujourd'hui aussi d'actualité que la statue de Cockerill, la neutralisation du champ de bataille européen par l'équilibre de la terreur, la guerre n'ayant jamais cessé ailleurs au prix de millions de victimes de la lutte pour l'appropriation de toutes les richesses de la planète, et la relative autonomie laissée par les vainqueurs aux États européens vassalisés qui s'étaient de toutes façons détruits les uns les autres durant la guerre mondiale. Van Rompuy n'y était donc pour rien, pas plus que la fille du soldat français qui, à la différence des grands de ce monde, n'avait pas de nom. Tout au contraire : les « visionnaires » européens menaient désormais une guerre sociale totale contre les acquis mêmes de la Libération qui ne furent pas pour rien dans l'émergence de sociétés européennes temporairement pacifiées. Et avec le même résultat : le retour de la grande misère en Europe suivie des croix gammées. Il n'est pas exclu que l'histoire y voit un jour l'une des réussites les plus remarquables de l'Union européenne qui valait bien un Prix Nobel de la Paix 2012...
« Beaucoup d'appelés ont pris le pas sur peu d'élus et tous ne sont pas satisfaits ; pourtant ils ont emprunté des idéaux pour ennoblir leur besogne. C'est venu du tréfonds et va s'abîmer dans le tréfonds ; le compromis social est régi à partir d'un point mystique. L'ordre commence à régner. Si l'on se bouche les oreilles, on n'entend plus aucun râle. »
Qui mieux indiqué que José Manuel Barroso pouvait alors prendre la parole ? L'ancien Premier ministre portugais qui organisa le sommet des Açores où Blair, Bush et Aznar décidèrent de l'invasion de l'Irak sans mandat des Nations-unies était en effet le plus qualifié pour recevoir le Prix Nobel de la Paix et en promettre cyniquement le montant aux « enfants victimes de la guerre » tout en appelant à demi-mot à une intervention militaire en Syrie ! Sans un mot pour les milliers de morts aux frontières de la Forteresse Europe, ni pour les migrants issus des régions où les Prix Nobel de la Paix font la guerre, pris au piège des accords de Dublin II dans une Grèce colonisée où meurent les plus faibles, parfois sous les coups des chemises noires. Mais pas sans célébrer, outre Karol Wojtyła, l'arme de destruction massive des marchands du Temple européen, avec la grâce d'une déesse en fonte brandissant un « E » : « And today one of the most visible symbols of our unity is in everyone's hands. It is the Euro, the currency of our European Union. We will stand by it. »
L'euro était Prix Nobel de la Paix ! Et présageait de la réunification de la Chrétienté... contre des peuplades aux mœurs commerciales barbares.
La lutte contre le crime organisé et le terrorisme, à la définition englobant désormais potentiellement les dissidents de toute nature, et accessoirement contre le réchauffement climatique (à l'heure où les lobbies patronaux font pression pour la suspension de toute réglementation environnementale au nom de « la croissance ») justifierait bien sûr, selon Barroso, toujours plus d' « unité » de ce type. Européenne et même mondiale. On ne pouvait que subodorer par-là la concentration du pouvoir dans les mains d'institutions aussi peu démocratiques que la Commission qu'il préside pour guider les peuples vers un monde meilleur que connaîtraient sans aucun doute nos enfants pour peu que nous nous repentions suffisamment de ce qui ressemblait furieusement à ce qu'un certain Maréchal Pétain, qui participa en son temps à un précédent projet d'Europe unie, nomma « l'esprit de jouissance » en référence, déjà, aux conquêtes sociales des mouvements ouvriers.
« - Tu me crois capable de ça ? », demande le criminel qui persécute le témoin pour cause de propagande -, voilà ce qui ôte tout espoir de voir l'entendement se rapprocher du problème. Car s'il n'était pas déjà livré à la folie où se loge l'objet, il serait tenté de toujours ramener ce cas à sa propre folie, qui lui présente peut-être le misérable substitut d'une réalité qui aurait pourtant bien peu de chance d'exister dans la constellation du Grand Chien, même atteinte de la rage. »
Le Président de la Commission européenne ne manqua pas de rendre hommage au Parlement européen : « we have over the years developed a unique transnational democracy symbolised by the directly elected European Parliament ». Mais personne ne sembla remarquer que du trio sensé représenter l'Union européenne, un seul ne prononça aucun discours : Martin Schutz, le Président du Parlement, et le seul des trois doté d'un semblant de légitimité démocratique par l'élection au suffrage universel. Comme son faux Parlement, il n'était là que pour « symboliser, » autrement-dit invoquer ce qui n'est pas, « la plus grande démocratie parlementaire du monde ». C'est à sa place, celle du Luxembourg, qu'il avait eu son heure de gloire, lors de l'inauguration de la manifestation de « démocratisation » du Prix Nobel de la Paix, « Your Peace, Your Prize » où chaque citoyen fut invité à poser pour la photo devant le drapeau marial avec en main un faux diplôme du Prix Nobel de la Paix et une médaille en chocolat, dans les locaux d'un faux Parlement. La sensibilité du lecteur a sans doute déjà été suffisamment éprouvée, mais je dois ajouter une plus grande dose d'obscénité au spectacle de cette parodie se parodiant elle-même, puisque les principaux témoins en furent les portraits de victimes de la barbarie nazie, hâtivement convoqués dans les locaux du Parlement européen, « pour ne pas oublier » que... l'Union européenne n'étant pas nazie, elle est donc malgré tout "démocratique". On déterre désormais les morts pour les transformer en hommes-sophismes...
« Alentour, rien que stupeur, sidération face à l'envoûtant prodige d'une idée qui consiste à n'en avoir aucune. Face au coup de butoir qui a pris tout droit le chemin n'allant de rien à nulle part. Face à l'inspiration d'un monde quadrimillénaire disant que le paradis humain commence tout de suite après l'enfer réservé à son prochain et que toute souffrance d'ordre obscur affublée de notions telles que transfert et réescompte va prendre fin dans un chaos illuminé, dans le rêve chiliastique de millénaristes déchaînés.»
La cérémonie du Nobel se termina par un banquet où Van Rompuy porta un toast et remercia les organisateurs pour lui avoir fait passer une journée inoubliable.
Promettant une Union européenne de « 100 ans de paix », il conclut : « The Demons of the past have been laid to rest ».
Juste au même moment, on entendit le terrible ricanement de l'Histoire.
NB : les citations en italique ne sont pas de Luuk Van Middelaar mais de Karl Kraus.