"Ce sont des salauds. Et ils sont partout."
Par Le concierge du Musée le vendredi 6 février 2015, 16:27 - Quatrième nuit de Walpurgis - Lien permanent
Ce sont des salauds. Et ils sont partout. Reuters a rendu publique la teneur d’un rapport allemand préparé en vue de la réunion des ministres des finances du 5 février : c’est non sur toute la ligne. Non et rien, les deux mots de la démocratie-européenne-selon-les-traités. Croit-on que l’Allemagne soit seule en cause dans cette ligne de fer ? Nullement – ils sont partout. Ni l’Espagne, ni l’Irlande, ni – honte suprême – la France « socialiste » ne viendront en aide à Syriza. Et pour une raison très simple : aucun d’entre eux n’a le moindre intérêt à ce qu’une expérience alternative puisse seulement se tenir : dame ! c’est qu’elle pourrait réussir ! Et de quoi alors auraient l’air tous ces messieurs d’avoir imposé en pure perte à leurs populations un traitement destructeur ? De ce qu’ils sont. Des imbéciles, en plus d’être des salauds.
On n’aimerait pas être à la place de Tspiras et de ses ministres : seuls et abandonnés de tous. Mais l’Union européenne se rend-elle bien compte de ce qu’elle est en train de faire ? Il y avait de sérieuses raisons de penser qu’une combinaison minimale de dureté en coulisse et d’amabilité en façade permettrait un faux compromis qui aurait vu de facto Syriza plier sur toute la ligne ou presque – à quelques concessions-babioles dûment montées en épingle. Entre le désir de rester dans l’eurozone, les effets inertiels du recentrage de campagne, le découplage des institutions politiques qui protège un moment les gouvernants, il était probable que Tspiras aurait choisi un mauvais compromis qui gagne du temps et, laisse l’espoir (qui fait vivre) d’une possible amélioration future.
Mais il y a des degrés dans l’offense auquel, sauf à abdiquer toute dignité, un chef d’Etat peut difficilement consentir. Et tout se passe comme si l’UE était en train de pousser elle-même la Grèce vers la sortie. En s’en lavant les mains naturellement. Mais en ne laissant guère plus d’autre choix au gouvernement grec – passer sous la table ou la renverser, on n’en sort pas... C’est-à-dire, quand les conditions minimales d’estime de soi ne sont plus réunies pour passer dessous, renverser – comme on sait, la position défendue ici de longue date tient que cette Europe n’est pas amendable et que « renverser » est la seule solution offerte à un affranchissement d’avec la camisole libérale.
Si jamais on en venait à ce point critique, les événements connaitraient un de ces emballements qui font l’histoire. Car tout devrait aller très vite : séparation immédiate de la Banque centrale grecque du Système européen des banques centrales (SEBC), répudiation complète de la dette, instauration d’un contrôle des capitaux, nationalisation-réquisition des banques. Dans une interview à laquelle on n’a probablement pas assez prêté attention, Yanis Varoufakis lâche une phrase qui vaut son pesant de signification : « nous sommes prêts à mener une vie austère, ce qui est différent de l’austérité . Et en effet c’est très différent, radicalement différent même. Entre la vie austère et l’austérité, il y a l’abîme qui sépare une forme de vie pleinement assumée et la soumission à une tyrannie technique. Car il est certain que la sortie de l’euro n’aurait rien d’un dîner de gala. Mais c’est faire de la politique, et au plus haut sens du terme, que de prendre à témoin le peuple et de lui mettre en mains les termes de son choix : nous pourrions bien, en effet, être plus pauvres un moment mais, d’abord, sous une tout autre répartition de l’effort, et surtout en donnant à cette « vie austère » la signification hautement politique d’une restauration de la souveraineté, peut-être même d’un profond changement de modèle socioéconomique.
Lire l'intégralité de l'article de Frédéric Lordon paru sous le titre "Syriza cernée" sur son blog du Monde Diplomatique