Comment veux-tu mourir mon fils ?
Par Le concierge du Musée le dimanche 5 avril 2015, 13:13 - Tunisie - Lien permanent
J’ai 24 ans ici.
J’ai 24 ans ici, c’est 100 ans ailleurs.
Une voix dans ma tête parle plus vite que ma bouche: « Tu as 24 ans ici ». A ce moment là, je prends une bouteille de Javel et je nettoie la cuisine jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ce que la peau de mes mains se fissure, jusqu’à ce que la voix se calme, jusqu’à ce que j’oublie que j’ai 24 ans ici.
Ici, c’est une prison, en rouge et blanc, construite sur des années de cris muets, de larmes et de respirations étouffées. D’ici on regarde la tête levée, vers l’autre monde, inaccessible et avancé, propre et libéré. Ils nous jettent des miettes, les bouches ouvertes nous avalons, les quelques livres, les quelques musiques, les bribes de libertés. D’autres que moi, ont 24 ans ici, ils risquent leurs vies, pour aller vers l’autre monde, traversant le cimetière de la Méditerranée.
Comment veux-tu mourir mon fils ? Noyé ou de chagrin ?
Que veux-tu devenir mon fils ? Un immigré clandestin ou rien (un citoyen ) ?
Comment veux-tu aimer mon fils ? Pour les papiers ou pour l’argent ?
C’est comme ca qu’on a 24ans ici. A 24 ans , on connaît tout sur le dossier pour le visa, dés nos 10 ans , nous apprenons la leçon : fiches de paie des parents, actes de naissance, passeport valide de 6 mois, réservation d’hôtel ou invitation d’un proche , bulletin numéro 3, raison du départ , date de retour, billet d’avion et devises, rendez-vous, détecteur de métaux, fouille , attente, dialogue a travers une vitre , prise d’empreinte « appuyez avec votre pouce » , « revenez dans 4 jours », « il manque un papier » , « pour quoi vous partez ? » , « vous revenez quand exactement ? » . visa accordé pour 30 jours, guichet pour les non européens, vérification sur vérification, fouille, enlevez vos chaussures, ouvrez votre sac, fermez votre gueule . Les oreilles rougissent de colère, la chaleur du corps devient un manteau de honte.
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