«Le plan d’aide à la Grèce était illégal et illégitime»
Par Le concierge du Musée le mercredi 17 juin 2015, 16:33 - Centre d'Economie du Bonheur - Lien permanent
Cet entretien avec Eric Toussaint a été publié dans le quotidien Le Soir du 17 juin 2015 et est repris du site du CADTM
Alors que les négociations entre la Grèce et ses créanciers sont au point mort, la Commission d’audit de la dette, mise en place par le Parlement grec, dévoile son rapport ces mercredi et jeudi. En ligne de mire : le « plan de sauvetage » de mai 2010, conclu dans des conditions « d’irrégularité, d’illégitimité et d’illégalité », explique le coordinateur scientifique de la Commission, l’économiste belge Eric Toussaint.
La Commission d’audit dénonce le « plan de sauvetage » de mai 2010. Pourquoi ?
Parce qu’il y a eu une volonté conjointe du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE), de la Commission, en accord avec plusieurs gouvernements clefs, en particulier allemand et français, et du gouvernement grec de déformer la réalité et de présenter la situation comme résultant d’une crise grave des finances publiques. C’est pourtant la dette privée qui posait fondamentalement problème. Une fois dans l’euro, la Grèce et le système financier grec ont bénéficié massivement de prêts des grandes banques essentiellement françaises et allemandes. S’en est suivie une bulle du crédit privé. Entre 2001 et 2009, les prêts des banques grecques aux ménages ont été multipliés par 7 ; et les prêts aux entreprises, par 4 ; tandis que les prêts aux pouvoirs publics augmentaient seulement de 20 %. Les banques grecques ont mené une politique aventureuse, prêtant à moyen et long termes en se finançant à court terme. En décembre 2008, les autorités grecques ont dû injecter 5 milliards d’euros de capitaux dans le système bancaire et accorder 23 milliards de garanties. Puis en 2009, le PIB de la Grèce a chuté de 4% ; et des agents économiques, ménages et entreprises, ont commencé à rencontrer des difficultés de remboursement. Au lieu d’affronter la situation, le nouveau gouvernement de M. Papandreou a choisi de dramatiser la situation des finances publiques.
Peu après son arrivée au pouvoir, Papandreou annonce que le déficit public représentait près de 14 % du PIB – et non 6 %, comme l’affirmait son prédécesseur…
Le gouvernement Papandreou a fait pression sur l’Office grec des statistiques pour aggraver les chiffres de déficit et de dette. La dette a ainsi été gonflée de 28 milliards, en y comptabilisant 19 milliards de dettes d’entreprises publiques, 4 milliards de dépenses en médicaments d’hôpitaux et 5 milliards de « swaps ». Initialement, la direction de l’Office des statistiques contestait l’intégration de ces montants. Eurostat, l’office européen des statistiques, également. Puis Eurostat l’a accepté. Or, les règles d’Eurostat n’obligeaient pas d’intégrer ces 28 milliards dans la dette. Dramatiser la situation des finances publiques permettait de cacher les problèmes bancaires.
Pour éviter d’imposer des pertes aux créanciers étrangers des banques grecques ?
Oui. Tout comme on a écarté la possibilité d’une restructuration de la dette publique…
... À nouveau pour protéger les grandes banques étrangères et leur donner le temps de réduire leur exposition. C’est connu.
L’ex-représentant grec au FMI, Panayotis Roumeliotis nous a appris que Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, a menacé Athènes de couper les liquidités aux banques grecques dès avril 2010 en cas de restructuration. Par ailleurs, les banques grecques ont également profité de ce délai : entre 2010 et la restructuration de février-mars 2012, leur exposition à la dette grecque est passée de 43 milliards à un peu plus de 20 milliards. On comprend pourquoi aussi bien M. Papandreou, que MM. Trichet et Sarkozy, Mme Merkel et la direction du FMI se sont mis d’accord pour exclure toute restructuration de la dette en 2010. Or, dans un document interne de mars 2010, le FMI s’attend à ce que les mesures d’ajustement qui vont être imposées à la Grèce provoquent une chute de l’activité économique et une explosion du ratio dette publique sur PIB à 150 % en 2013. Problème : les règles ne permettent pas au FMI d’autoriser un pays à exercer un droit de tirage si la dette n’est pas soutenable. C’est pourquoi ces règles ont été changées, sous la pression de pays comme la France ou l’Allemagne, de la BCE, de la Commission, avec l’accord des États-Unis. Une décision a donc été prise visant à protéger les intérêts d’une minorité privilégiée de grandes banques privées, au détriment de l’intérêt général. Et, comme contrepartie à ces prêts massifs qui ont transformé des dettes privées en dettes publiques, des mesures extrêmement précises en matière de retraites, de salaires, etc. ont été dictées aux gouvernements grecs successifs, qui devaient les faire passer à la hussarde au Parlement grec. Or, les créanciers étaient conscients des graves conséquences économiques et sociales que ces mesures allaient provoquer – notamment la violation d’une série de conventions internationales protégeant les droits humains, que la Grèce tout comme les États créanciers auraient dû respecter.
Quelle peut être l’utilité de ce rapport ?
Le droit international permet à un État de poser un acte souverain de suspension de paiement sans accumulation d’arriérés d’intérêts – donc un moratoire unilatéral – si la dette est clairement marquée d’illégitimité et qu’elle ne peut être remboursée qu’en violant les obligations en matière de droits humains fondamentaux. Mais là, la décision reviendra au gouvernement d’Alexis Tsipras