''La réunion de l'Eurogroupe du 27 juin 2015 ne restera pas comme un moment très glorieux dans l'histoire de l'Europe. Les Ministres ont refusé la demande du gouvernement grec d'obtenir un délai d'une petite semaine pour que le peuple grec puisse se prononcer par oui ou par non sur les propositions des institutions – des propositions cruciales pour le futur de la Grèce dans l'Eurozone. L'idée même qu'un gouvernement puisse consulter son peuple sur une proposition problématique émanant des institutions a suscité la stupeur et été traitée avec un dédain proche du mépris. On m'a même demandé : “Comment voulez-vous que les gens ordinaires comprennent des problèmes aussi complexes ?”. Pas de doute, la réunion de l'Eurogroupe d'hier ne fut pas un beau jour pour la démocratie! Cette proposition refusée, le président de l'Eurogroupe a rompu avec la pratique de l'unanimité (en publiant une déclaration que je n'avais pas approuvée) et a été jusqu'à convoquer une réunion de suivi suspecte d'illégalité hors la présence du ministre grec, ouvertement pour discuter de “la suite”. La démocratie et l'union monétaire peuvent-elles co-exister ? C'est une question décisive que l'Eurogroupe a décidé de mettre sous le tapis. Seulement pour le moment, j'espère.'' (note de présentation de Yanis Varoufakis sur son blog)

Intervention de Yanis Varoufakis, réunion de l'Eurogroupe du 27 juin 2015

Collègues,

Lors de notre dernière réunion (25 juin) les institutions ont présenté leur offre définitive au gouvernement grec en réponse à notre proposition d'Accord de haut niveau (SLA) du 22 juin 2015 (et signée par le Premier Ministre Tsipras). Après un examen long et approfondi, notre gouvernement a décidé que, malheureusement, la proposition des institutions n'était pas acceptable. Considérant que nous sommes très proches de l'échéance du 30 juin, date à laquelle l'actuel accord de prêt expire, cette impasse est d'une grande gravité pour nous tous et ses causes doivent être examinées avec attention.

Nous avons rejeté les propositions des institutions du 25 juin pour différentes raisons très importantes. La première d'entre-elles est le coktail d'austérité et d'injustice sociales qui s'imposerait à une population déjà ravagée par... l'austérité et l'injustice sociale. Notre proposition SLA du 22 juin était elle-même austéritaire, c'était une tentative de coller aux institutions et de se rapporcher d'un accord. La différence est que notre proposition tentait de déplacer le fardeau du renouvellement de l'agression austéritaire sur ceux qui peuvent plus le supporter – par exemple en se concentrant sur l'augmentation de la contribution des employeurs aux caisses de retraite plutôt qu'en réduisant les retraites les plus faibles. Malgré cela, notre proposition comprend de nombreuses mesures refusées par la société grecque.

Donc, après avoir été contraints d'accepter de nouvelles mesures d'austérité substantielles pouratteindre des surplus d'excédent primaire absurdes (3,5% du PIB à moyen terme, même si c'est un peu moins que le chiffre abyssal accepté par les gouvernements grecs précédents – à savoir 4,5%) nous en sommes arrivés à devoir faire des compromis déflationnistes entre, d'un côté, l'augmentation des taxes et impôts dans une économie où ceux qui remplissent leurs obligations fiscales sont saignés aux quatre veines, et de l'autre, la réduction des pensions et des avantages sociaux dans une société déjà ravagée par des coupes dans le soutien aux bas revenus des personnes en difficulté qui se multiplient.

Permettez-moi de vous redire, collègues, ce que nous avons déjà dit aux institutions le 22 juin, lorsque nous avons présenét nos propres propositions : même ce SLA, celui que nous proposions, serait extrêmement difficile à faire accepter par le Parlement, étant donné les mesures récessives et l'austérité qu'il contient. Hélas, en guise de réponse, les institutions ont insisté sur des mesures (par exemple l'augmentation de la TVA sur l'hôtellerie de 6 à 23%!) encore plus récessives (dites paramétriques) et plus grave encore, faisant porter tout le poids non plus sur les entreprises mais sur les membres les plus faibles de la société (par exemple la réduction des pensions les plus faibles, la suppression du soutien aux agriculteurs, le renvoi aux calendes grecques de lois assurant un peu de protection aux travailleurs les plus exploités.)

Les nouvelles propositions des institutions, présentées le 25 juin dans le document préparatoire SLA/Actions prioritaires transforme un paquet déjà politiquement problématique – du point de vue de notre Parlement – en un paquet qui serait extrêmement difficile à faire adopter par une majorité au Parlement. Mais ce n'est pas tout. C'est bien pire que cela quand on avance dans la lecture du paquet de financement proposé. Ce qui rend impossible de faire passer les propositions des institutions au Parlement est l'absence de toute réponse à la question : ces mesures douloureuses nous laisseraient-elles au moins tranquilles le temps de mettre en oeuvre les réformes et les mesures consenties ? Un choc d'optimisme compensera-t-il les effets récessifs des mesures extra-fiscales de consolidation imposées à un pays qui est en récession depuis 21 trimestres consécutifs ? La réponses est claire : c'est non. Les propositions des institutions n'offrent aucune perspective de ce type.

C'est ce qui rend les propositions de financement pour les cinq prochains mois problématiques à différents points de vue. Premièrement, il n'offre rien pour répondre à la banqueroute de l'Etat, causée par cinq mois de remboursements sans avoir rien reçu et à la chute des revenus fiscaux causée par la menace permanente de Grexit qui a plané dans l'air, pour ne pas dire plus.

Deuxièmement, l'idée de cannibaliser le Fonds de soutien et de stabilité monétaire (FESM) pour rembourser les obligations acquises par l'ECB lors du programme de rachat (SMP) constitue un danger évident et immédiat : ces sommes furent allouées, à juste titre, pour renforcer le secteur bancaire grec fragilisé, éventuellement à travers une opération visant la montagne de créances pourries (NPLs) grevant leur capitalisation. De hauts responsables de la Banque centrale européenne dont je tais les noms m'ont dit que si nécessaire le FESM serait recapitalisé pour répondre aux besoins de capitalisation des banques. Et qui recapitalisera ? Le Mécanisme de stabilité monétaire (ESM) m'a-on répondu. Mais, et c'est un “mais” abyssal, il n'en est pas question dans l'accord proposé, et pire encore, cela ne peut en faire partie car les institutions n'ont pas mandat pour contraindre le ESM de cette manière – comme j'en suis sûr Wolfgang ne manquera pas de nous le rappeler. Mais si un nouvel accord de ce type est donc envisageable, pourquoi notre proposition raisonnable et modérée d'un nouveau financement de la Grèce par l'ESM permettant de transférer la charge de la Banque centrale européenne à l'ESM n'est pas discutée ? La réponse “nous n'en discuterons pas parce que nous n'en discuterons pas” sera assez difficile pour moi à présenter au Parlement accompagné d'un nouveau train de mesures d'austérité.

Trosièmement, le calendrier de déboursement comporte des échéances d'évalution sans nom – une par mois – qui aura deux conséquences. Premièrement le gouvernement grec sera noyé quotidiennement, hebdomadairement, dans le processus d'évaluation pendant cinq longs mois. Et bien avant la fin des cinq mois, nous entrerons dans des négociations fastidieuses sur le prochain programme - puisqu'il n'y a rien dans la proposition des institutions susceptible d'inspirer le moindre espoir qu'à la fin de ce nouveau prolongement la Grèce pourra se tenir sur ses deux pieds.

Quatrièrement, étant donné qu'il est plus qu'évident que notre dette restera insoutenable à la fin de l'année et que nous serons toujours aussi loin de revenir sur les marchés financiers qu'aujourd'hui, on ne peut compter sur le déboursement de sa part par le FMI, 3,5 milliards que les institutions comptabilisent pourtant dans le plan de financement qui est sur la table.

Notre gouvernement a de solides raisons de considérer qu'il n'a pas le mandat d'accepter la proposition des institutions ou d'user de sa majorité au Parlement pour le faire passer en force.

Dans le même temps, nous n'avons pas non plus mandat pour repousser les propositions des institutions. Notre parti a obtenu 36% aux élections et le gouvernement dans son ensemble est soutenu par un peu moins de 40%. Pleinement conscients de l'importance de notre décision, nous sommes obligés de soumettre la proposition des institutions au peuple grec. Nous allons lui expliquer le plus complètement ce que signifie un Oui aux propositions des institutions, de même qu'un Non, et le laisser décider. En ce qui nous concerne nous accepterons le verdict du peuple et agirons en conséquence pour le mettre en oeuvre – d'une façon ou d'une autre.

Certains s'inquiètent qu'un vote Oui serait un vote de défiance à l'égard de notre gouvernement (puisque nous recommanderons de voter Non), et dans ce cas nous ne pourrioons assurer l'Eurogroupe d'être en position de signer et mettre en oeuvre l'accord avec les institutions. Il n'en va pas ainsi. Nous sommes des démocrates convaincus. Si le peuple nous donner l'instruction claire de ratifier les propositions des institutions, nous ferons en sorte que cela soit fait – même si cela nécessite un remaniement du gouvernement.

Collègues, la solution du référendum est la meilleure pour tous, face aux contraintes auxquelles nous faisons face.

Si notre Gouvernement acceptait l'offre des institutions aujourd'hui en promettant de la présenter demain au Parlement, nous serions mis en minorité au Parlement et il en résulterait de nouvelles élections dans le mois qui suit, un très long mois – dès lors ce délai et les incertitudes amoindriraient très très considérablement les chances qu'une solution soit trouvée. Et même si nous réussissions à faire passer la proposition des institutions au Parlement, nous ferions face à un grave problème de crédibilité et de mise en oeuvre. Pour le dire simplement, tout comme dans le passé les gouvernements qui ont fait passer les politiques dictées par les institutions ne pouvaient s'appuyer sur la population, nous n'y parviendrions pas.

Sur la question qui sera posée au peuple grec, beaucoup a été dit sur ce qu'elle doit être. Beaucoup d'entre-vous nous disent, nous conseillent, nous font la leçon : nous devons en faire une question de Oui ou Non à l'euro. Je serai clair. Tout d'abord la question a été formulée par le Cabinet et vient d'être adoptée par le Parlement – c'est la suivante : “ Approuvez-vous la proposition des institutions telle qu'elle nous a été présentée lors de l'Eurogroupe du 25 juin?”. C'est la seule question pertinente. Si nous avions accepté cette proposition il y a deux jours, nous aurions eu un accord. Le gouvernement grec demande désormais à l'électorat de répondre à la question dans les termes où tu me l'as posé, Jeroen – particulièrement quand tu m'as dit et je te cite: “tu peux considérer ça si tu veux comme une proposition à prendre ou à laisser”. Et bien c'est exactement comme cela que nous avons pris les choses et nous faisons donc honneur aux institutions et à la population grecque en demandant à cette dernière de donner une réponse claire à la proposition desinstitutions.

À ceux qui déclarent en effet que c'est un référendum sur l'euro, je réponds : vous avez le droit de le dire mais je ne ferai aucun commentaire. C'est votre opinion, votre interprétation. Pas la nôtre ! Votre perspective n'est logique que s'il existe une menace implicite que le Non du peuple grec aux propositions des institutions déclenchera des manoeuvres pour éjecter illégalementla Grèce de l'euro. Une telle menace serait en contradiction avec les principes démocratiques de l'Europe, de la gouvernance et de la loi européenne.

À ceux qui nous somment de tourner la question du rééfrendum comme un choix entre l'euro et le drachme, ma réponse est cristalline : les traités européens comportent des dispositions pour sortir de l'UE. Mais rien ne prévoit la sortie de l'Eurozone. Pour de bonnes raisons évidemment, puisque l'indivisibilité de notre union monétaire est sa raison d'être. Nous demander de rédiger la question du référendum comme un choix impliquant la sortie de l'Eurozone, c'est exiger que nous violions les traité de l'UE et la loi européenne. Je suggère à toute personne qui exige de nous, ou de tout autre, d'organiser un référendum sur la participation à l'union économique et monétaire de recommander un changement des traités. Collègues, il est temps de faire le bilan. La raison qui nous amené au présent blocage est la suivante : la première proposition de notre gouvernement à vous et aux institutions que j'ai présentée ici-même à l'Eurogroupe lors de ma première intervention n'a jamais été prise au sérieux. Elle suggérait de rendre compatible le Mémorandum en vigueur avec le programme de notre nouveau gouvernement. Pendant un moment fugace, la déclafration de l'Eurogroupe du 20 février en pavait le chemin – en ne faisant nulle référence au Mémorandum et se concentrant sur une nouvelle liste de réformes que notre gouvernement présenterait aux institutions.

Hélas, immédiatement après le 20 février, les institutions et nombre de collègues présents dans cette salle se sont empressés de redonner une position centrale au Mémorandum cantonnant notre rôle à des modifications mineures dans le cadre de ce Mémorandum. C'est comme si on nous avait dit, pour paraphraser Henry Ford, que nous pourrions avoir la liste de réformes de notre choix, n'importe quel accord, tant qu'il s'agirait du Mémorandum. Le socle commun a alors été sacrifié en faveur de l'imposition à notre gouvernement d'une retraite humiliante. Tel est mon point de vue. Mais il n'a guère d'importance en ce moment. Aujourd'hui c'est au peuple grec de décider.

Notre tâche lors de l'Eurogroupe d'aujourd'hui adevrait être de faciliter la transition vers le référendum du 5 juillet. Ce qui signifie une chose : l'extension de notre accord de prêt de quelques semaines pour que le référendum puisse se tenir sereinement. Immédiatement après le 5 juillet, si la population vote oui la proposition des institutions sera ratifiée. Dans ce laps de temps, au-cours de la semaine prochaine, à l'approche du référendum, toute perturbation de la normalité, particulièrement dans le secteur bancaire, ne pourra être interprétée que comme une tentative de forcer la main aux électeursz grecs. La société grecque a payé un prix très elevé en forte contractions budgétaires pour être membre de notre union monétaire. Mais une union monétaire démocratique qui menace un peuple sur le point de se prononcer par le contrôle des capitaux et la fermeture des banques est une contradiction dans les termes. J'aimerais croire que l'Eurogroupe respectera ces principes. En ce qui concerne la Banque centrale européenne, gardienne de notre stabilité monétaire et de l'Union elle-même, je n'ai pas de doutes que si l'Eurogroupe prend une décision responsable aujourd'hui et accepte la demande de prolongation de notre accord de prêt que je présente ici, elle fera ce qu'il faut pour donner au peuple grec quelques jours de plus pour exprimer son opinion.

Collègues.

Ces moments sont critiques et les décisions que nous prenons sont cruciales. Dans quelques années, il est possible que l'on nous demande “Où étiez-vous le 27 juin ?”. Et qu'avez-vous fait pour empêcher ce qui s'est produit ? Au moins pourrons-nous répondre ceci : nous avons donné au peuple qui vivait sous la pire dépression une chance de faire son choix. Nous avons essayé la démocratie comme moyen de rompre un noeud coulant. Et nous avons fait ce qu'il fallait pour leur donner les quelques jours nécessaires pour le faire.

PS (sic).

Le jour où le Président de l'Eurogroupe a rompu avec l'unanimité de tradition et exclu la Grèce d'un Eurogroupe réuni selon son bon vouloir.

À la suite de mon intervention, le Président de l'Eurogroupe a rejeté notre demande de prolongation, avec le soutien des autres membres et annoncé que l'Eurogroupe publierait une déclaration faisant porter la responsabilité de cette impasse sur le Grèce et a proposé que les 18 ministres (autrement-dit les 19 ministres des finances de l'eurozone à l'exception du ministre grec) se retrouvent un peu plus tard pour discuter des moyens de se protéger des retombées. À ce moment j'ai demandé le conseil juridique du secrétariat pour clarifier si une déclaration de l'Eurogroupe pouvait être publiée sans unanimité et si le Président de l'Eurogroupe avait le pouvoir de convoquer une réunion sans y inviter le Ministre des finances d'un Etat membre. La réponse fut extraordinaire : “L'Eurogroupe est un groupe informel. Il n'est donc tenu par aucun traité ni réglement écrit. Si l'adhésion à l'unanimité est habituelle, le Président de l'Eurogroupe n'est tenu par aucune règle explicite.” Je laisse au lecteur le commentaire de cette déclaration remarquable.

En ce qui me concerne j'ai ainsi conclu :

Collègues, le refus d'étendre l'accord de prêt pour quelques semaines dans le but de donner au peuple grec une chance de délibérer librement et calmement sur la proposition des institutions, particulièrement si on considère la probabilité élevée que ces propositions soient acceptées (contrairement au souhait de notre gouvernement) portera des coups irréversibles à la crédibilité de l'Eurogroupe comme organe de décision démocratique formé d'Etat partenaires partageant non seulement une monnaie unique mais aussi des valeurs communes.

Traduit de l'anglais par le Musée de l'Europe

Source : As it happened – Yanis Varoufakis’ intervention during the 27th June 2015 Eurogroup Meeting