Le Parti du Capital
Par Le concierge du Musée le dimanche 11 octobre 2015, 21:16 - Bibliothèque - Lien permanent
"La souveraineté populaire c'est lorsque le corps n'en peut plus" (Proclamation du Concierge à la librairie Filigranes le 24 septembre 2015)
Au vrai c’est toute la droite générale, celle qui va du PS à l’UMP, organes médiatiques inclus, qui, dans un spasme réflexe a refait son unité, comme toujours quand un événement à fort pouvoir de classement la soumet de nouveau à l’épreuve – référendums européens, conflits sociaux durcis, etc. Bien sûr, dans la droite générale, il y a la composante honteuse, qui préférera s’abstenir de paraître. A côté des habituels L’Opinion, Le Figaro, Les Echos, Le Parisien, dont les unes sont toutes plus gratinées les unes que les autres, la presse de droite complexée fait courageusement la sienne sur un écrivain suédois disparu – abstention qui a malheureusement tout le poids d’un parti. Le parti pris d’un certain parti, qui est ce parti informel de l’ordre social capitaliste, parti agglomérant bien sûr des partis politiques au sens classique du terme, on a dit lesquels, mais également tous ceux qui concourent activement à sa reproduction symbolique, économistes, éditorialistes, faux intellectuels, à commencer par ceux qu’on pourrait appeler les objecteurs cosmétiques, spécialistes de la critique secondaire, passionnés de l’inessentiel, stratèges de l’évitement [1] , en tout cas tous bien occupés à fermer le champ du pensable, pour donner comme impensable que les choses soient fondamentalement autres qu’elles ne sont.
C’est qu’en effet, de ceux qui installent les structures à ceux qui les font tourner en passant par ceux qui les déclarent nécessaires (quand ils ne les disent pas admirables), tout ça fait du monde ! Un parti de fait. Le parti du capital. Car on peut bien appeler « parti du capital » l’ensemble de ceux qui approfondissent le règne du capital, qui s’abstiennent de lui opposer la moindre critique sérieuse, et qui barrent résolument la route à ceux qui auraient le projet de le faire. Le parti du capital va donc bien au-delà des seuls capitalistes, mais se scandalise uniquement lorsque des têtes se relèvent.
Pour ce grand parti informel, nul doute que les images d’Air France n’ont rien que de glaçant. C’est qu’elles lui tendent le miroir de son devenir possible : en parti de la liquette, grand rassemblement des candidats à la guenille car, avéré l’inexistence des solutions institutionnelles d’endiguement à froid du capital et de son emprise totalitaire sur la société, la probabilité des solutions à chaud va croissant chaque jour. À ce stade d’ailleurs, ça n’est même plus une question de préférence ou de jugement : c’est une question entièrement positive. Quoi qu’on en pense, la tyrannie, la maltraitance que rien n’arrête, finissent toujours, privées de régulation externe et incapables de contenir leur propre tendance interne à l’abus, par franchir un de ces seuils invisibles où la peur des maltraités se retourne en fureur. Il ne faudra pas venir chialer ce jour-là qu’il y a du verre brisé et « d’inadmissibles violences » comme dirait l’éditorialiste de Libération. Car quand le couvercle de la cocotte ne peut plus que sauter, il saute ! Et les vrais coupables sont ceux qui ont installé la gazinière, monté le feu, et célébré la nouvelle cuisine.
Lire l'article de Frédéric Lordon dans son entièreté paru sur son blog La Pompe à Phynances sous le titre "Le parti de la liquette"
Notes
[1] Voir « Les évitements visibles du “Parlement des invisibles” », 7 février 2014.