Le Premier ministre Manuel Valls a affirmé lundi sur RTL que la France avait été attaquée vendredi "parce que nous sommes la France", évoquant un "combat de valeurs, un combat de civilisations".

Claudine André, infirmière qui sillonne la planète pour Médecins sans frontières depuis 15 ans, observe :

"J’ai rarement été confrontée à de telles conditions sanitaires. J’ai passé plusieurs mois dans un camp à la frontière entre le Soudan et l’Ethiopie qui était géré par le HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, NDLR). C’était beaucoup plus organisé qu’à Calais. Et les conditions d’hygiène y étaient meilleures."

La Charte humanitaire et les standards minimums de l’intervention humanitaire exigent en effet un robinet pour 250 personnes, une latrine pour 50 individus et la fourniture de 2.100 calories quotidiennes. Loin des "équipements" de la jungle. Seulement trois rampes d’eau, 90 toilettes chimiques et un repas par jour distribué par le centre d’accueil de jour Jules Ferry, mis en place par le gouvernement.

"Jamais vu autant de boiteux"

Il y a quelques jours encore, par une matinée pluvieuse de la fin octobre, des dizaines de migrants faisaient la queue devant le panneau "Welcome to Médecins du Monde’s clinic", accroché avec deux punaises. A l’intérieur, pas d’eau, pas d’électricité, juste une table, un stéthoscope, des boîtes de médicaments. Dehors, debout, un Syrien de 18 ans, débarqué d’Alep il y a un mois, qui a cassé ses lunettes dans une bagarre avec d’autres migrants ; un Afghan auquel il manque un bout de doigt ; un Erythréen à la bouche tuméfiée, recouverte d’un bandeau ensanglanté ; un Iranien qui n’a plus de médicaments pour soigner son épilepsie ; et tous les autres qui sont venus en traînant la patte.

Cela arrive, parfois, qu’ils ne puissent plus marcher et qu’ils soient transportés dans un chariot de supermarché. Isabelle, la médiatrice bénévole de Médecins du monde, chargée d’accueillir les patients, avec quelques mots de farsi et d’anglais, commente :

"Je n’ai jamais vu autant de boiteux de ma vie. La frontière avec l’Angleterre est devenue tellement hermétique qu’ils prennent de plus en plus de risques pour essayer de passer. Ils arrivent ici avec des fractures déjà ressoudées, des mains lacérées jusqu’à l’os, des plaies infectées partout sur le corps. On se croirait dans une unité de soins pour accidentés de la route".

Abraham, 29 ans, était électricien dans son pays, l’Erythrée. Il a fui pour échapper au service militaire obligatoire. Et aujourd’hui, il attend, parapluie dans une main, lunettes cerclées de noir sur le nez, jambes croisées, sous l’auvent de bois. Cela fait des heures qu’il pleut des cordes sur la lande. Abraham s’est réveillé ce matin dans la tente qu’il partage avec sa femme, enceinte, avec des frissonnements, une fièvre de cheval, et une toux à s’arracher les poumons.

"Nous avons traversé l’Ethiopie, le Soudan, la Lybie… La jungle est le pire endroit que nous ayons connu. Il n’y a aucun respect, personne ne s’occupe de nous, j’ai été battu par la police à chaque fois que nous avons essayé de passer en Angleterre, ma femme a été poussée violemment…"

extrait d'un reportage de Natahlie Funes publié dans l'Obs sous le titre Dans la jungle de Calais : "Les migrants ont les mains lacérées jusqu'à l'os"