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On connaissait le peu d’appétence de l’ultra-gauche française des nouvelles générations pour les questions géopolitiques et les rapports de forces à l’échelle internationale. Nous ne sommes vraiment plus à l’époque où la socialisation politique de ses militants et sympathisants passait par l’anticolonialisme, l’anti-impérialisme et le tiers-mondisme. Comme le veut la tendance idéologique devenue depuis quelque temps dominante à gauche et au-delà, le désir de changement porte plus sur le « sociétal », à savoir l’évolution des mœurs, des modes de vie et des « identités », que sur le « social », c’est-à-dire l’exploitation et les inégalités de classes, à plus forte raison quand le « social » concerne les populations des territoires situés au-delà les limites de l’hexagone. Certes, une partie de la « gauche de gauche » reste fidèle à la cause palestinienne, dénonce aussi les exactions de la police étasunienne à l’encontre des citoyens noirs, les conditions de travail des ouvrières surexploitées du Bengladesh ou la désagrégation des sociétés rurales d’Amérique latine sous l’effet de l’imposition de cultures d’exportation au profit des multinationales, allant même jusqu’à s’intéresser de temps à autre à l’expérience zapatiste dans les Chiapas mexicains, prise comme nouveau modèle d’émancipation. Mais il est évident que la politique étrangère, tant diplomatique que militaire, à commencer par celle des gouvernants français, est devenu le cadet de ses soucis.

Seule la soumission des politiques économiques menées par les États européens aux « dictats de la Troïka » continue à sérieusement préoccuper l’extrême-gauche, comme en témoigne la part active qu’elle a pris, aux côtés de la gauche sociale-démocrate (PCF, Parti de Gauche, Attac, Le Monde Diplomatique…) dans la campagne contre le projet de constitution européenne. De même dénonce t-elle avec vigueur les négociations clandestines entre celle-ci et les États-Unis pour créer une zone transatlantique de libre-échange (TAFTA) ouvrant la voie à une emprise accrue des grandes compagnies étasuniennes et de la finance globalisée. Et elle se joint avec ardeur à la campagne lancée contre la « loi Travail », qui devrait être rebaptisée « loi Exploitation », que la deuxième droite actuellement au pouvoir en France essaie de faire passer en force pour parachever son règne. Il est vrai que toutes ces mesures découlant de la mise en place d’un capitalisme sans frontières font rimer rentabilité avec austérité, et que la petite bourgeoisie intellectuelle dont les anarcho-libertaires font partie, fût-ce à un rang inférieur, en sera inévitablement affectée.

En revanche, nos « gauchos » de la nouvelle vague semblaient, jusque il n’y a pas très longtemps, peu concernés par les affrontements se déroulant sur la scène internationale. La dernière mobilisation de ses maigres troupes remonte à la « guerre préventive » dite « opération Liberté irakienne », une guerre d’agression, en fait, comme la redéfinira Noam Chomski1, lancée par en 2003 par le gouvernement étasunien pour en finir avec le « régime » irakien. Tout en joignant leurs voix à celles des partisans de l’invasion pour fustiger les méfaits du « dictateur » Saddam Hussein, nos anarcho-libertaires, choqués par les massacres de populations civiles par les bombes et les missiles de l’US Air force lors de la guerre d’invasion précédente en 1991, à laquelle s’était ajouté un embargo mortifère (plus de 500 000 enfants irakiens de moins de cinq ans morts de sous-nutrition ou faute de soins médicaux, selon les statistiques officielles), estimèrent que les « alliés » y étaient quand même allés un peu fort. Depuis lors, silence radio de la gauche « radicale » hexagonale sur ce qui se déroule de l’autre côté de la Méditerranée si l’on excepte les délires révolutionnaires qui se sont emparés à nouveau d’elle au moment de l’éphémère et mythique « Printemps arabe » sur lequel je reviendrai. Ce silence, toutefois, commence à être rompu, mais d’une manière qui pourrait étonner de la part de gens qui prétendent se situer dans la lignée de la tradition anticapitaliste et anti-étatiste.

Jean-Pierre Garnier

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