"La dernière version de la loi Uber/El Khomri est (hormis la parenthèse Sénat) la pire"
Par Le concierge du Musée le mardi 5 juillet 2016, 11:09 - Centre d'Economie du Bonheur - Lien permanent
Il faut toujours vérifier : comme pour les lois Sapin (juin 2013), Macron et Rebsamen (août 2015), la dernière version de la loi Uber/El Khomri est (hormis la parenthèse Sénat) la pire. Aux reculs précédents rappelés plus loin en complément, il faut ajouter pour le projet de loi qui revient à l’Assemblée nationale :
1/ A défaut d’accord les modalités du « droit à la déconnexion » seront décidées unilatéralement par l’employeur, qui, dans les entreprises de plus de cinquante salariés, ne sera tenu qu’à se conformer à une charte élaborée…par l’employeur (article 2)
2/ Abusivement présentée dans les « dispositions supplétives » a été insérée une modification sur le travail du dimanche : désormais le maire, qui devait déjà depuis la loi Macron fixer la liste des dimanches où il autorise le travail (entre 5 et 12), pourra modifier la liste de ces dimanches deux mois avant chaque dimanche concerné ! (article 2)
3/ confirmation (des moutures précédentes) de l’instauration d’un secret des accords collectifs : les employeurs signataires pourront invoquer le secret pour interdire la publication d’un accord collectif. Rendant ainsi plus difficile l’information des salariés à leurs droits ainsi qu’aux représentants du personnel et militants syndicaux (article 7).
A contrario, l’article L.225-102-1 du code du commerce prévoit l’information des actionnaires par le conseil d’administration (« Il est fait état des accords collectifs conclus dans l’entreprise et de leurs impacts sur la performance économique de l’entreprise ») (article 20 ter)
4/ Le licenciement « pour cause réelle et sérieuse » des salariés qui refuseront de voir baisser leur salaire et augmenter leur temps de travail prévus par leur contrat, en raison de la signature d’un accord dit de « développement de l’emploi », reposera sur un « motif spécifique ». Une façon cavalière de bien certifier que le motif n’est pas économique et de fortifier ainsi le recul par rapport au projet de texte précédent qui renvoyait entièrement la procédure à celle du licenciement individuel pour motif économique : le salarié licencié n’aura ainsi pas droit au « contrat de sécurisation professionnelle » mais à un « parcours d’accompagnement » pendant lequel son allocation ne sera pas celle prévue pour le contrat de sécurisation professionnelle (75% du salaire brut pendant douze mois) mais une allocation simplement « supérieure » à celle prévue par le régime commun d’assurance-chômage (57% du salaire brut) et ce pour une durée « maximale » de douze mois » (article 11).
5/ Légalisation d’UBER et des autres employeurs utilisant des plateformes électroniques : la formulation du texte précédent expliquant que les travailleurs de ces entreprises ne sont pas salariés (« L’article L.7411-1 ne s’applique pas ») devient « Le présent titre est applicable aux travailleurs indépendants recourant, pour l’exercice de leur activité professionnelle, à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique »). Le projet de loi tend ainsi à annuler la procédure entamée par l’Urssaf d’Ile de France réclamant à Uber plus d’un million d’euros pour les cotisations sociales de ses salariés non déclarés. Sans doute pour calmer les craintes d’Uber sur sa « responsabilité sociale » évoquée dans la précédente version du projet de loi, le droit de grève reconnu à ces travailleurs est restreint (« sauf abus » a été ajouté) et la prise en charge par Uber et Cie de la cotisation volontaire d’accident du travail ne sera pas automatique (le travailleur devra dépasser un chiffre d’affaires qui sera déterminé par décret) et sera plafonnée à une hauteur déterminée également par décret (article 27 bis).
6/ L’inspection du travail est réduite à une mission de conseil et dans ce cadre, les employeurs et les salariés sont mis sur le même plan (« Ils fournissent des informations et conseils techniques aux employeurs et aux salariés sur les moyens les plus efficaces d’observer ces dispositions (Code du travail) et stipulations (accords collectifs) ». Cet ajout à l’article L.8112-1 du code du travail (version d’avant le 7 avril 2016) figure dans le même alinéa et à la suite de la définition du rôle de l’inspection du travail (veiller à l’application du Code du travail et des accords collectifs).
(Pour l’anecdote, la casse du droit du travail est si rapide que les rédacteurs de cet amendement n’ont pas réalisé que l’article L.8112-1 qu’ils modifiaient l’avait déjà été par l’ordonnance scélérate n°2016-413 du 7 avril 2016 qui limite déjà drastiquement les pouvoirs de sanction des inspecteurs du travail ; cela entraînant une erreur dans l’alinéa modifié) (article 28 bis AA).
7/ Facilitation des licenciements pour motif économique : l’étude du motif économique et l’examen des solutions de reclassement se feront apparemment au niveau de l’entreprise seule, pas même au niveau national pour les entreprises d’un groupe. A apparemment disparu également la référence aux « difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de supprimer des emplois » (article 30)
8/ Extension à des établissements privés hors contrat du bénéfice de la taxe d’apprentissage (article 32)
9/ Du travail gratuit pour les entreprises : des contrats d’apprentissage pourront être conclus dans le secteur public avec une partie de la « formation pratique » en entreprise (article 32 Ter A)
10/ Compte Personnel d’Activité : ce cauchemar de mise en concurrence de tous contre tous (actifs et retraités) et de mise en route d’une société sans statut et sans droits s’enrichit d’une participation des retraités à la formation professionnelle continue (article 33 bis)
11/ Un petit rabotage de seuil social, pour le fun : en faisant passer pour certaines dispositions de la formation continue le seuil de 10 à 11, le nouveau projet de loi va restreindre les droits des salariés des entreprises ayant exactement 10 salariés (ancienneté pour bénéficier du DIF, conditions d’autorisation de la demande, prise en charge des dépenses d’un congé de bilan de compétences) (article 35 bis)
12/ Institutionnalisation de la concurrence sur l’ensemble de l’éducation nationale : en plus des établissements s’enseignement supérieur déjà inclus par la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013, tous les établissements d’enseignement scolaire du second degré, les centres de formation d’apprentis, les sections d’apprentissage et les lycées professionnels doivent rendre publics le taux d’insertion professionnelle, par diplôme, à la suite de la formation dispensée. L’insertion est mesurée dans les douze mois de l’obtention du diplôme pour les établissements du second degré et les centres de formation d’apprentis.
Pour que nul n’ignore que l’objectif de cette publication est de soumettre toujours plus au marché les établissements d’enseignement, il est précisé : « Un élève ou apprenti ne peut s’inscrire dans un cycle ou une formation sans avoir préalablement pris connaissance des taux de réussite et d’insertion correspondant à ce choix » (article 36)
13/ Compte personnel de formation, un rabotage prévisible : les frais de formation étaient pris en charge par les organismes collecteurs paritaires agréés sur la base d’un forfait horaire ; ce forfait ne sera plus horaire (article 36 bis)
14/ Privatisation, toujours plus : extension à l’Etat de la possibilité de créer des groupements d’employeurs avec des personnes de droit privé (article 40 bis)
15/ Maintien de la suppression du recours du salarié auprès de l’inspecteur du travail contre une décision du médecin du travail, mais avec une modification par rapport aux précédentes versions du projet de loi : les prud’hommes sont remplacés par une « commission régionale » composée de trois…médecins du travail. Autant dire un recours perdu d’avance (article 44)
16/ Codification rapide opérée dans cette dernière version du projet de loi des dispositions scélérates de l’ordonnance n°2016-413 du 7 avril 2016 qui limite les pouvoirs des inspecteurs du travail et organise l’évitement des tribunaux pour les employeurs délinquants en créant des « amendes administratives » négociées dans le bureau du D.I.R.E.C.C.T.E avec qui tous les arrangements entre amis seront possibles (articles 51 et 51 quater)
Repris du blog de Richard ABAUZIT, paru sous le titre "LOI UBER/EL KHOMRI : Clap de fin", sur lequel on lira à la suite de ce texte un "RAPPEL de la synthèse des reculs du projet de loi avant sa transmission au Sénat, reculs maintenus pour ce deuxième passage à l’Assemblée nationale"