Dans une analyse d'une décision récente du Conseil Constitutionnel ayant trait à la constitutionnalité des perquisitions administratives menées dans le cadre de l'Etat d'urgence avant l"entrée en vigueur de la loi du 15 novembre 2015, Paul Cassia pointe une évolution particulièrement dangereuse de la jurispridence du Conseil qui n'hésite pas à faire prévaloir l'Etat d'urgence sur la Constitution.

En effet, si ces perquisitions ont été déclarées anti-constitutionnelles,

Dans le dernier paragraphe de sa décision, le Conseil constitutionnel décide ceci : « la remise en cause des actes de procédure pénale consécutifs à une mesure prise sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et aurait des conséquences manifestement excessives. Par suite, les mesures prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent, dans le cadre de l'ensemble des procédures pénales qui leur sont consécutives, être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ». En clair, l’inconstitutionnalité de la version originelle de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 est tout simplement neutralisée par le Conseil constitutionnel, parce que… celui-ci en a décidé ainsi ; par comparaison, en censurant une partie des dispositions du I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa version issue de la loi du 20 novembre 2015 en tant que cette loi n'entourait pas de suffisamment de garanties les saisies informatiques réalisées au cours des perquisitions administratives, le Conseil constitutionnel avait décidé, dans sa décision Perquisitions administratives de l'état d'urgence I du 19 février 2016, que cette inconstitutionnalité "peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement".

Six mois plus tard, un simple « objectif de valeur constitutionnelle » de préservation de l’ordre public, qui n'est rien d'autre qu'une création issue de l'imagination des membres du Conseil constitutionnel dépourvue de valeur contraigante, vient tout-à-trac faire échec au droit constitutionnel au respect de la vie privée ancré dans la Déclaration de 1789 ; l'invocation stéréotypée et purement abstraite par le Conseil constitutionnel de vagues « conséquences manifestement excessives » (excessives pour qui ? pourquoi manifestement ?) ne constitue pas davantage une « motivation » suffisant à masquer l’arbitraire du « raisonnement » du Conseil constitutionnel sur les effets dans le temps de la censure ainsi neutralisée. Laurent Fabius ne cesse de dire, depuis sa nomination à la présidence du Conseil constitutionnel en février 2016, qu'il entend "enrichir" la motivation des décisions de l'institution qu'il préside ; il y a encore loin de la coupe au lèvres....

En définitive, des personnes pourront continuer à être poursuivies sur la base des plus de 780 perquisitions inconstitutionnelles menées entre le 14 et le 20 novembre 2015, alors que chacun sait désormais que l’opération de police qui est à l’origine des poursuites ne repose pas sur une assise législative conforme à la Constitution.

Ainsi va - ou plus exactement ne va pas - l’Etat de droit à la française sous l’empire de l’état d’urgence…

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