Cet article paru dans l'écho prouve au moins une chose : La Belgique existe ! Et elle existe suffisamment pour que nombre de ses politiciens fassent de la politique politicienne belge le cœur de leur activité. Cela doit vouloir dire que leur objectif n'est pas de vivre à New-York ou Singapour (ni même Londres ou Berlin!).L'égaré des Pouilles "le plus aguerri des négociateurs" n'est pas dans ce cas. Dame, la définition de "l'international", c'est juste un type qui fait chier la terre entière en se vendant au plus offrant... susceptible de faire bombarder sa terre d'origine armé jusqu'aux dents depuis une enclave cosmopolite réunissant un ramassis d'aigris au service du premier impérialisme qui passe par-là : cela s'appelle la mondialisation.

"Mais, en fait, vous discutez avec votre opposition, là? On retrouve toujours les mêmes personnes et interlocuteurs partout dans votre pays?" s'étonne le pied-tendre. Manque une répartie : "Ben oui Du Con, on habite ici nous, l'UE ça rapporte des tunes, mais sinon on s'en branle. Elle peut bien disparaître, depuis 1830 on a une petite rente car c'est nous qui accordons le concert des Nations neuneues qui se croient seules au monde, peut bien arriver n'importe quoi, le cabinet de conseil belge ne fermera pas pour autant ! Alors évidemment, on a quelques neuneux comme Van Rompuy à qui ça permet de se croire chefs d’État... Mais ceci n'est pas un Président, comme dirait Magritte..."

Ceci pour dire qu'il ne faut pas non plus trop compter sur un champ politique national largement autonome de la demande sociale pour "entendre" les râles et les plaintes d'une population en voie d'immolation. Tout au plus, les protestations de la "société civile" fournissent-elles des "éléments de langage" à une nouvelle génération de politiques tout aussi rouée que la précédente, et entièrement concentrée sur la conquête et la préservation du pouvoir. Il n'y a pas de "débouché politique", ou plutôt, comme toute l'expérience des mouvements sociaux le démontre, toute stratégie du "débouché politique" se fait au détriment des luttes, transformées en capital symbolique pur générant la croyance, seule la musique circulant à défaut des paroles, que tout sophiste peut donc fredonner... Dans une telle conjoncture, il faut renverser la table. Par un acte de souveraineté populaire. Qui ne peut être que la sortie des traités européens. Car tout "processus constituant" est un leurre dès lors que la Constitution, ce sont les traités européens...

Le Concierge (très laborieusement réécrit plusieurs fois, avec mes excuses...)

Ils sont venus, ils sont tous là. Ce mercredi matin, sur le coup des 10h30, c’est à l’Université libre de Bruxelles que cela se passe. Le grand auditoire de l’Alma Mater est d’ailleurs trop exigu pour contenir tout ce beau monde. Ils sont venus assister au départ du ministre d’État Roger Lallemand. Il y a là, entre autres, le Premier ministre Charles Michel, assis aux côtés du président de la Chambre Siegfried Bracke. Didier Reynders et Paul Magnette sont là, également. Un rang plus loin encore, assis côte à côte, les deux ex-Premiers ministres Elio Di Rupo et Guy Verhofstadt. Ce dernier se fend d’ailleurs d’un fort joli discours où il fait notamment l’éloge du vin italien. "Une parenthèse dans ces négociations de brutes", décrit un participant, la larme à l’œil.

Ah, vous avez dit "négociations"? Reprenons avec ordre et méthode – là où nous avions laissé Paul "Wallonix" Magnette et son "non" au traité entre le Canada et l’Europe.

Mauro Petriccione dans le chaudron belge

Dans la salle du Palais d’Egmont, le mardi soir, une flopée d’éminences ont été réunies autour du ministre des Affaires étrangères Didier Reynders. Magnette, Demotte, Vervoort, côté socialiste. Prévot, Greoli, Fremault, coté centriste. Ajoutez, pour la forme, le ministre-président flamand Geert Bourgeois. "Ça nous a quand même fait doucement rire, dit un ministre. Bourgeois n’arrêtait pas de s’inquiéter pour les dommages causés à l’image de la Belgique." De la part d’un nationaliste flamand, en effet, c’est cadeau. Bref, parmi cet aréopage de belgo-belges, il y en a un qui écarquille les yeux. Comme des soucoupes. Il s’appelle Mauro Petriccione. Cet Italien, originaire des Pouilles, est le négociateur en chef de la Commission européenne sur le Ceta. Il a déjà à son actif d’avoir bouclé un traité similaire avec le Vietnam, bref, il n’en est pas à son coup d’essai. "C’est un as", résume un diplomate. Voilà pourtant Mauro Petriccione dans le chaudron belge et même pour le plus aguerri des négociateurs, lui qu’on décrit comme habituellement "d’un calme olympien", cela peut avoir des effets secondaires. Ainsi l’entend-on glisser à Didier Reynders: "Mais, en fait, vous discutez avec votre opposition, là? On retrouve toujours les mêmes personnes et interlocuteurs partout dans votre pays?" Bienvenue en Belgique.

Didier Reynders, donc. Lui aussi commence à sentir le vent du boulet: un "non" définitif des Wallons, ce serait un trou dans sa cape de ministre des Affaires étrangères – incapable de forger le compromis. Du coup, il veut des textes. Sur tous les tons, il demande et redemande des textes avec les positions des entités fédérées, entre autres sur l’agriculture. Et il veut les envoyer à l’Europe, histoire de montrer que l’affaire progresse.

"À un moment, on va arrêter avec les multinationales qui mangent les enfants et les agriculteurs qui vont mourir dans les champs: il faut avancer."

"Bon, je vous préviens, moi, si je n’ai pas de périmètre de négociation défini ni de textes, ça ne va pas aller, je ne vais pas me lancer dans un truc de kamikaze", siffle Reynders tandis qu’à ses côtés son ambassadeur hoche la tête. Et, par sms, il débriefe le Premier ministre. Et certains participants assurent l’avoir entendu dire: "à un moment, on va arrêter avec les multinationales qui mangent les enfants et les agriculteurs qui vont mourir dans les champs: il faut avancer."

Paul Magnette, lui, ne dit pas grand-chose. Sans doute est-ce l’air d’Egmont. "C’est comme s’il avait buggé lors de cette réunion", décrit un de ses collègues. Alors Demotte, mais surtout Maxime Prévot prennent le relais du ministre-président. Le Namurois met six points à trancher sur la table. Dont l’agriculture. "Sur l’agriculture, j’ai attrapé leur mollet, j’ai été hargneux et je n’ai rien lâché", se félicitera d’ailleurs Prévot, plus tard, devant quelques collaborateurs.

Mauro Petriccionne décode, analyse et explique, pour la énième fois, les tenants et aboutissants du Ceta. Reynders: "Moi, je peux attendre toute la nuit", insiste-t-il. Puis, il suggère une réunion le lendemain matin. Ce qui a lieu après, on l’a vu, l’interlude des obsèques de Roger Lallemand à l’ULB.

Les fameux textes wallons manquants sont maintenant arrivés. "Reynders a fatigué le poisson, il n’y avait plus qu’à le ferrer", rapporte un de ses collègues.

Le chien de garde cdH

À la résidence du Premier ministre, les réunions du comité de concertation s’enchaînent. Magnette sait qu’il flirte avec les lignes constitutionnelles. Les Wallons ont mis des textes sur la table, le Fédéral et la Commission qui veulent accélérer les choses ne bronchent pas. Et le tout doit être expédié au Conseil européen. "C’est quand même limite", admet-il devant Charles Michel. "On va se parler franchement, reprend alors le socialiste devant plusieurs participants. On veut un accord, nous, ici, nous ne sommes pas pour le ‘non’ et notre but n’est pas d’exploser le Ceta." À partir de là, les socialistes, en séance, n’émettront plus que des remarques mineures sur l’objet négocié.

Mais il y a le cdH. Prévot, on l’a dit, joue les chiens de garde (agricole). Et il veut des "garanties juridiques". Il le répète une fois, deux fois. Il veut pouvoir consulter la firme d’avocats engagée par le cdH pour l’épauler dans le dossier. La séance du comité de concertation est suspendue.

"Bon, maintenant, je vais aller expliquer à mon parti que ce mauvais Ceta est devenu un bon Ceta."

"On a vite compris que le cabinet qu’il voulait consulter c’était la firme Lutgen, Lutgen & Lutgen, célèbre cabinet ayant son siège à Bastogne", ricane une source fédérale. Effectivement, direction les bureaux de partis pour le cdH et le PS. Il s’agit de faire avaliser l’atterrissage définitif. Avant de quitter le Lambermont, Paul Magnette lâche: "Bon, maintenant, je vais aller expliquer à mon parti pourquoi ce mauvais Ceta est devenu un bon Ceta." Amen: le Ceta est sauvé, le PS de Magnette va s’engager pour le "oui".

Mais il y a le cdH. "Cela fait dix jours que Paul veut atterrir envers et contre tout", grince un centriste wallon de (tout) premier plan mais n’occupant pas un poste ministériel pour autant. Suivez mon regard.

Benoît Lutgen, lui, c’est son combat, le Ceta. Plusieurs semaines qu’il a pris le dossier à bras-le-corps, alors il ne va pas lâcher la poule aux œufs d’or, celle qui redore le blason centriste de la résistance, en si bon chemin. Le voilà donc, ce mercredi soir, rue des Deux Églises au siège de son parti, assis et faisant face à ses mandataires. À ses côtés, le ministre Maxime Prévot. Lutgen n’est pas spécialement pour l’accord, il brosse un contexte général assez noir, et laisse la parole à son ministre. Prévot – "héroïquement", note un participant – décrit les avancées obtenues et le gibier que les centristes ramènent de la négociation dans leur besace. Et c’est la curée.

Plusieurs parlementaires soupirent – au premier rang desquels des "Lutgen boys". Il y a là entre autres Dimitri Fourny. "Qu’on débranche la prise de ce truc!" siffle-t-il. François Desquesne, un autre député wallon, embraye: "Pour l’agriculture, c’est quand même pas terrible ce qu’on a obtenu." Jusqu’à André Antoine. "Bof", soupire le président du Parlement wallon. Même René Collin y va de son refrain: "Ce qui ne va pas, c’est qu’on ne touche pas au Traité." Notez encore: l’absence de l’ex-présidente Joëlle Milquet. Bref, l’affaire, à la rue des Deux Églises, est mal emmanchée. Ou plutôt: emmanchée vers le "non".

À quelques quartiers de là, au boulevard de l’Empereur, le siège du Parti socialiste, la trame de la pièce est la même. Le président Di Rupo trouve qu’il est trop tôt pour atterrir. Mais Magnette prône le oui. Il est important que les deux partis s’alignent – imaginez le PS à la remorque du cdH sur ce dossier sensible à gauche, ça ferait tache. "On allait quand même pas se fâcher pour le Canada", ricane un député socialiste. Benoît Lutgen et Elio Di Rupo décrochent leur téléphone et la ligne chauffe entre les deux partis. Et on accorde les violons.

Eurêka! On va temporiser et gagner encore un peu de temps. Alors, on demande "des garanties juridiques". C’est pratique, ça permet de se libérer de la pression durant quelques heures. "On doit être certain que tout ce qu’on a obtenu tienne bien la route juridiquement", expose Benoît Lutgen en guise de conclusion devant son bureau politique.

Retour au Lambermont pour un comité de concertation. L’ambiance est lourde. Surtout quand les libéraux Michel et Reynders apprennent que Benoît Lutgen doit s’exprimer dès le lendemain matin à la radio.

"On va quand même éviter de jouer avec les pieds de tout le monde", se fâche Charles Michel, après avoir fait sortir tous les collaborateurs de la salle de réunion. Didier Reynders embraye: "Un peu de correction n’a jamais tué personne." À l’arrachée, le cdH Maxime Prévot consent à une réunion le jeudi matin. Rideau sur une longue journée. Et les avocats du cdH planchent, et Maxime Prévot revient avec quelques amendements, pour la forme, le jeudi en séance. Et c’est le feu vert définitif. Chacun doit vendre sa version. Et commence la bataille de "celui qui fera pipi le plus loin", selon les mots, lucides, d’une excellence ministérielle.

Martin Buxant, L'Echo, via Jean-Claude Du Cru