Q : Mais les Noirs n’ont pas voté Trump…

Emmanuel Todd : Exact mais à ce stade, il faut se demander qui est responsable de la racialisation persistante du vote. Je suis convaincu que cette fois-ci, elle est venue des démocrates, par un discours raciste inversé. Les démocrates proposaient une alliance électorale perverse, ou vicieuse, je ne sais que dire, associant aux vrais privilégiés économiques et éducatifs du système, toujours blancs majoritairement, une sorte de mercenariat électoral des minorités, hispanique et noire, pour casser le cœur blanc de la démocratie américaine. Ce qui m'a le plus écoeuré dans ce processus, c'est la façon dont Hillary Clinton a évincé Bernie Sanders, dont je me sentais évidemment très proche. J’ai suivi les primaires démocrates Etat par Etat. Et c’est bien l'électorat noir qui a empêché la victoire de Sanders. En 2016 l’aliénation politique a changé de couleur. On est passé d'un système où le cœur de l'électorat blanc votait contre ses intérêts à un système où l'électorat noir a voté contre ses intérêts. En effet, les Noirs, surreprésentés dans le monde ouvrier, moins éduqués malgré des progrès importants, sont le groupe qui a le plus souffert du libre-échange, et qui continue d'en souffrir le plus. Le paradoxe ultime de l’élection qui vient d’avoir lieu est que si Trump applique son programme protectionniste, les Noirs seront les premiers à en bénéficier.

Extrait d'une interview d'Emmanuel Todd sur Atlantico