Eric Toussaint : "sur la base de l'expérience grecque, il faut la désintégration de l'UE, il faut la désintégration de la zone euro"
Par Le concierge du Musée le vendredi 30 décembre 2016, 21:56 - Centre d'Economie du Bonheur - Lien permanent
En douze minutes, Eric Toussaint donne son point de vue sur ce que la gauche radicale devrait adopter comme orientation face à l’Union européenne suite à l’expérience de la capitulation de Syriza en 2015 en Grèce. Il explique quelles mesures prioritaires un gouvernement de gauche devrait prendre.
Cette intervention a été réalisée lors de la conférence internationale intitulée « France et Europe après Brexit » réalisée à Paris les 2 et 3 décembre 2016 à l’initiative du réseau EReNSEP (voir le programme complet).
On peut voir la vidéo sur le site du CADTM
Transcription (et titre) du Musée de l'Europe
Bon évidemment, il y a crise capitaliste, crise de la gouvernance néolibérale, crise de l'UE, tout cela ce sont des évidences… Le problème principal, pour nous, c'est qu'il y a crise de la gauche radicale. La gauche radicale a peur de son ombre. De son ombre socialiste, marxiste, anti-capitaliste… La gauche radicale alors qu'elle a une ouverture, une fenêtre qui ne s'était pas présentée depuis une soixantaine d'années dans une série de pays européens, cette gauche radicale a peur de dire qu'il faut rompre avec le système, qu'il faut appliquer des mesures clairement anti-capitalistes (…)
Le point que je veux faire, c'est que depuis 2008-2009, je pense qu'il est absolument évident que des secteurs très importants des différents pays européens non seulement rejettent l'UE, le néolibéralisme et l'austérité mais veulent des solutions clairement radicales, et ils peuvent voter pour des solutions radicales à droite ou à gauche. Mais manifestement, on a encore une ouverture pour plusieurs années où l'option de gauche radicale de rupture a véritablement des chances de convaincre. C'est vrai en Europe, et je pense que ça reste vrai en GB vu le succès des propositions de Corbyn. C'était vrai aussi très clairement dans le cadre de la campagne des élections aux EU où les différents sondages indiquaient clairement qu'en cas de bataille entre Sanders et Trump, c’est Sanders qui l'aurait emporté. Parce que nous avons bien vu que c'est la défection du soutien populaire à Clinton qui a permis à Trump de gagner. Si Bernie Sander avait été candidat avec un programme radical socialiste il aurait réduit les abstentions et il aurait pu gagner les élections.
Donc je pense qu'après ce qui s'est passé en Grèce, la gauche radiale doit dire très clairement, l'UE est irréformable, la zone euro est irréformable. Je pense qu'il faut faire l'économie d'essayer de démontrer dans un premier temps qu'on pourrait réformer et montrer la mauvaise volonté de la Commission européenne pour dire ensuite il faut radicaliser. On n'a pas le temps de faire ça. Il faut dire maintenant sur la base de l'expérience grecque, il faut la désintégration de l'UE, il faut la désintégration de la zone euro. Et expliquer bien sûr pourquoi ces institutions ne sont pas réformables. Je pense que la gauche radicale doit dire dans ses propositions, dans sa politique concrète de tous les jours quand elle s'adresse à la population qu'elle se propose d'être portée au gouvernement, qu'elle veut éviter une capitulation comme la capitulation grecque et que dès lors elle s'engage très clairement pendant sa campagne électorale et avant, en cas d'élection, elle s'engage à désobéir à la Commission européenne. Dire très clairement, nous refusons les contraintes budgétaires, nous nous engageons à augmenter les dépenses publiques, nous le disons très clairement. Nous userons du droit à l'auto-défense. Il y a une obligation des gouvernements face aux attaques néolibérales de protéger le peuple par des actes unilatéraux basé sur des arguments du droit international, du droit interne, des principes généraux. Nous nous engageons à appeler à la mobilisation populaire dans le pays pour nous soutenir dans notre affrontement avec les institutions européennes et nous appelons à la mobilisation en Europe. Nous nous engageons à réaliser un audit de la dette avec le maximum de participation citoyenne. Et dans certains cas, ça dépend des circonstances concrètes et des pays concrets , s'engager à suspendre le paiement de la dette immédiatement. Je dis dans certains cas. C'était évident pour la Grèce, il fallait suspendre le paiement de la dette dès février 2015, cela aurait changé radicalement la situation pour la Grèce et pour l'Europe. Il faut s'engager à contrôler les mouvements de capitaux. Il faut s'engager à socialiser les banques et à poursuivre en justice les responsables de la crise. il faut s'engager à créer une monnaie complémentaire et dans certains cas il faut opter clairement pour une sortie de la zone euro d'emblée. Pour cela il faut s'être préparé à ça et avoir préparé l'opinion à cela et obtenir un soutien de celle-ci, ce que Syriza avait refusé de faire, puisque Syriza n'a pas demandé un mandat pour sortir de l'euro et est allé au gouvernement avec un mandat pour y rester avec la formule "pas de sacrifice supplémentaire pour l'euro" mais qui avait même été un peu mise de côté pendant la campagne électorale. Il faut s'engager à des mesures fiscales radicales c’est-à-dire supprimer la TVA sur des produits de base, augmenter évidemment la TVA sur les produits de luxe, un impôt très fort sur la fortune, donc le patrimoine du 1% le plus riche, un impôt progressif sur le revenu et fortement progressif. S'engager à déprivatiser, à renforcer les services publics, à réduite le temps de travail, à abroger les lois anti-sociales et s'engager à convoquer un véritable processus constituant.
Je pense que dans une série de propositions qui ont été faites ici et qui sont solides, l'aspect démocratique est insuffisamment mis en avant. Je pense qu'il faut convaincre de la nécessité dans nos différents pays de refonder profondément la structure du pays et donc d'ouvrir un ample débat sur la constitution avec un véritable processus constituant c’est-à-dire des élections générales à une assemblée constituante souveraine pour élaborer en un temps qu'il faut déterminer avec un calendrier précis une proposition de nouvelle constitution à soumettre ensuite à l'approbation populaire au suffrage universel. Et évidemment pour lancer aussi une dynamique à l'échelle européenne dans ce sens là, s'adresser aux autres peuples européens. Le sens de ce que je viens de dire, c’est clairement que dans le contexte européen il n’y aura pas la possibilité pour un pays comme l’Espagne ou le Portugal et c’était le cas de la Grèce il y a un an… un gouvernement de gauche et un peuple qui a porté au pouvoir un gouvernement de gauche ne peut pas attendre les autres peuples, ne peut pas attendre les autres changements, donc il faut des actes unilatéraux très précis. Et il faut renforcer donc de manière délibérée la crise de ceux d’en haut. Et bien sûr pour moi, c’est dans une démarche anti-capitaliste, c’est-à-dire c’est l’affrontement avec la Commission européenne évidemment, mais c’est aussi l’affrontement avec son grand capital. avec le grand capital dans son pays et chercher évidemment l’alliance avec non seulement la classe ouvrière mais les secteurs qui vivent de l’agriculture, les PME, le petit commerce, toute une série de secteurs qui composent le peuple. Dans chacune de nos circonstances concrètes il faut faire ce qu’avait dit Fidel Castro dans son discours de Moncada « l’histoire m’absoudra « quand il a dit « Qu’est ce que le peuple de Cuba ? » Et il cite au moins une dizaine ou une quinzaine de composantes pour que tous les secteurs du peuple se retrouvent dans ce que c’est le peuple et non pas une référence incantatoire à la classe ouvrière qui est juste hors de propos aujourd’hui. Il faut un discours rassembleur sur un véritable bloc populaire.
Pensons juste à ce que ça aurait donné si Varoufakis au lieu de signer l’accord du 20 février avec l’eurogroupe en 2015 avait annoncé la suspension de paiement, l’audit de la dette, la transformation des participations de l’Etat grec dans les banques grecques en actions ordinaires pour socialiser les banques, le lancement d’une monnaie complémentaire, des mesures fortes sur le plan des impôts y compris une annulation des dettes des 2,5 millions de ménages et de petites entreprises qui ont une dette à l’égard de l’Etat grec de moins de 3500 EUR, pour certains c’est 500 EUR de dettes qui les mettent dans l’illégalité, des mesures fortes qui auraient créé un soutien populaire en Grèce pour affronter l’Europe… bien sûr la monnaie complémentaire. et cela aurait amené effectivement à la sortie de l’euro, bien sûr, qu’il aurait fallu préparer au cours de cette confrontation pendant plusieurs mois. Et si Varoufakis avait annoncé cela en demandant à Bruxelles à ce qu’on l’écoute sur la place publique et à ce qu’il y ait des mobilisations populaires et que le gouvernement grec s’exprime sur la place publique devant le peuple, on aurait eu 10 000, 20 000 ou 30 000 personnes à Bruxelles pour l’écouter et on aurait lancé une dynamique sur le plan européen. Il faudrait donc, et je termine, qu’en cas de victoire (…) on connaisse ce type de confrontation avec l’appel à des mobilisations populaires en Europe et des actes unilatéraux.
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