"Alors voici enfin la pauvre vérité : tout cela est normal"
Par Le concierge du Musée le jeudi 8 juin 2017, 11:24 - Quatrième nuit de Walpurgis - Lien permanent
La dernière fois que je suis revenu d’Athènes, c’était avec une mise en garde. Cette fois, c’est avec une révolte pure, drue, angoissante, dégagée de tout sentimentalisme et de toute illusion sur le cynisme des coupables. S’ils avaient été prêts à reconnaître leur échec, ils auraient déjà d’eux-mêmes abandonné l’exercice du pouvoir. Tout a été dit sur eux, y compris leurs noms. Et voici qu’ils s’apprêtent à se faire remettre toutes les commandes de mon pays, la France, et cela au nom du renouveau — mieux, de la « révolution ».
(...)
La mort des hommes n’a l’air de rien, puisqu’elle fait partie du plan.
Mais ce n’est pas parce qu’ils sont incompétents, corrompus, malveillants ou stupides que nos gouvernants ne nous aident pas à nous sauver de cette chute lente, prudente, dans la bassesse. C’est parce qu’ils ont sincèrement, honnêtement, ignoblement accepté l’idée qu’une grande partie des humains doit par nécessité supporter sans protester les mille morts d’une vie indigne. Les grands riches sont d’ailleurs toujours de profonds pessimistes. Leur cupidité ou leur imbécillité ne sont que des conséquences de ce chagrin philosophique. C’est lui le problème. On consume le monde par préférence, comme de petits bardes regardant brûler Rome en jouant de la lyre.
Les zombies de Grèce ne sont pas des oubliés : ils sont le carburant du monde. Ou plutôt : sa fumée. La terreur de ce destin inimaginable sert de lien social aux Européens modernes. Cette damnation attend chacun de ceux qui ne veulent pas, ou ne savent pas, jouer à la grande belote infantile du salut par l’argent. Hors d’elle, c’est la chute aléatoire dans une trappe, la chasse ouverte, le tir aux pigeons. Qui tombera le premier ? Soi-même ou l’un des fantômes qui peuplent, seuls eux aussi, les coursives de nos immeubles ?
L’idéal des modernes, c’est donc de maintenir l’équilibre entre la misère et son produit, parce que, comprenez-vous, l’homme ne vaut pas mieux et que, voyez-vous ça, leurs adversaires sont tous des irresponsables. Et dire que c’est au nom de ce nihilisme qu’une petite majorité dispersée, divisée et même contradictoire s’occupe de gérer les affaires publiques…
Face à cet univers bien pensé, nul besoin de mise en garde, je m’étais trompé. C’était une diversion et je suis tombé dans le piège. On voulait me faire croire que le projet politique dominant ne militait pas pour cette habitude face à la mort spectaculaire et aléatoire, ou alors si peu. Et je l’ai cru pendant de longues années, au point d’avoir choisi mon métier, mes plaisirs, mes paix intimes en la considérant comme la dernière poche de l’ennemi à réduire. Mais non. Le tri a commencé entre nous.
C’est de refus que je vais faire preuve aujourd’hui, et dorénavant.
Lire Je reviens d’Athènes, par Léonard Vincent.