Les neuneulogues sautent sur l'école
Par Le concierge du Musée le jeudi 18 janvier 2018, 15:13 - Bibliothèque - Lien permanent
Au sujet de Dynamiser les pratiques éducatives avec les neurosciences, Pascale Toscani (dir), Chronique sociale, 2017
Cet ouvrage est issu d'un symposium où des pratiques d'intégration des neurosciences à l'école ont été présentées, la plupart par des enseignants du secondaire. Dans son introduction, la coordinatrice de l'ouvrage Pascale Toscani, prend soin de souligner que ces enseignants ne sont pas des scientifiques spécialistes des neurosciences mais ont « transposé » ces « savoirs » dans des « pratiques ». Comme elle le souligne : « certains se lancent dans l'aventure après la lecture d'ouvrages scientifiques » et « leur démarche est basée au départ sur des intuitions de transfert ». Elle en reconnaît d'emblée la limite : « les travaux présentés ici n'ont pas la prétention d'être étayés par des preuves, au sens scientifique du terme » et « on pourrait peut-être leur reprocher une simplification des faits neuroscientifiques ». Mais l'essentiel est sans doute que « nous ne leur en tiendrons pas rigueur » et que « Tous les contributeurs de cet ouvrage sont dorénavant persuadés que cette démarche doit entrer à l'école ». Qu'importent les preuves, en effet, comme dit le poète « Faites semblant de croire et bientôt vous croirez »[1], et finalement si « sans le vouloir, l'école est un lieu qui favorise très fortement les neuromythes, c'est à dire qu'elle sursimplifie les résultats des recherches neuroscientifiques et établit en conséquence des protocoles au sein des classes, qui sont des raccourcis théoriques », il faudrait vraiment avoir l'esprit mal tourné pour craindre que les élèves fassent les frais d'expériences de MM. Jourdain des neurosciences, autrement-dit d'apprentis-sorciers, même si les « vendeurs de poudre de Perlimpimpin » du « neuromarketing » sont en embuscade (op.cit.)!
Le but recherché est de faire travailler ensemble des spécialistes universitaires du développement neuronal et des enseignants spécialistes du « développement des fonctions cognitives ». Pour y parvenir, « il est indispensable que des liens internationaux se tissent entre les universités », proclame sans le moindre argument notre auteure, ajoutant : « Ainsi pourra se développer cette discipline non encore académique que nous appellerons 'les neurosciences de l'éducation' ». On voit que l'enjeu social et institutionnel pour les promoteurs d'une nouvelle « discipline académique » en termes de postes et de crédits, n'est jamais loin...
Nous avons retenu deux articles particulièrement significatifs dans le premier tiers[2] de l'ouvrage.
1) Eureka ! La science du cerveau permet de changer fondamentalement l'organisation de l'ordre scolaire !
Le premier nous raconte une expérience dans un collège, la mise en place d'un projet pédagogique autour des neurosciences, visant à lutter contre les difficultés scolaires, telles qu'elles sont couramment identifiées : problèmes de concentration et d'attention, défaut d'éducation parentale, classes trop chargées, programmes inadaptés, fatalisme des élèves face à leur orientation et leurs résultats, méthodes de travail inappropriées, gestion des émotions et du stress.
Pour lutter contre le « fatalisme », l'atelier d'initiation aux neurosciences mis en place a permis que les élèves réalisent que leur cerveau évoluera tout au long de la vie et que rien n'est jamais perdu et que « tout ne se joue pas avant six ans ». Puis il s'est centré sur la notion d'intelligences multiples, permettant aux enfants de reprendre confiance en eux-mêmes.
Sur la base du « rôle des systèmes nerveux sympathique et parasympathique » on a mis « en évidence le rôle positif que peuvent jouer des exercices respiratoires sur le stress » : « à l'issue de trois semaines d'exercices respiratoires (à raison de deux fois par jour durant 5mn), 96% des élèves se déclarent favorables à la pratique de cet exercice avant un devoir ».
Ici le lecteur mal intentionné se dit que, à défaut de neurosciences, un peu de Taï Chi suffirait certainement, même sans justifications théoriques... Et partant de là, on découvre ce que l'article cache en creux et qui explique le succès de l'expérience. Résumons le dispostif :
les enseignants découvrent la matière presque en même temps que leurs élèves, il y a donc co-construction sans que le statut de prof omniscient n'entrave la réflexion des élèves ;
les enseignants s'engagent à suivre la même classe pendant deux ans ;
les ateliers sont effectués sur les heures de cours, 2 à 5h semaine prises sur les différents cours (qui en sont donc réduits d'autant);
les enseignants interviennent en binôme voire en trinôme dans ces ateliers (trois profs en classe, le luxe total!) ;
Ils travaillent en commun et ont du temps dégagé pour cela ;
les ateliers de neurosciences ne font pas l'objet d'évaluation notée pour les élèves (Bingo!) ;
les parents sont associés.
Dans de telles conditions on ne s'étonnera pas de la satisfaction des élèves et des enseignants. Ainsi les premiers déclarent-ils des choses bien étranges telles que : « envie d'y aller », « j'aime mieux l'école », « on voit les profs autrement, en positif », « ils ont l'air gentils ».
Mais est-ce là une victoire neuroscientifique ou la simple suspension temporaire des principales tares institutionnelles du système éducatif ?
2) Enseigner des erreurs scientifiques grâce à la neurobiologie...
Un autre article retient l'attention. Il porte sur le traitement de l'erreur en sciences par le recours à des « cartes mentales ». Un professeur de biologie a en effet identifié un problème récurrent de ses élèves « la confusion entre paires de chromosomes et chromosomes dupliqués, la difficulté de représenter des chromosomes sous la forme simple ou dupliquée ainsi que la difficulté de comprendre le concept d'allèle et de les placer correctement sur les chromosomes ». Ce problème d'acquisition des connaissances de base sur le chromosome entraîne des difficultés l'année suivante à maîtriser la mitose et la méiose.
Le problème est que ce professeur mélange tout. Alors qu'il était de tradition d'étudier le patrimoine génétique et les chromosomes avant la mitose (où les chromosomes se dupliquent) notre professeur a fait une « analyse didactique » qui « nous amène à proposer » (...) de faire l'impasse sur les chromosomes, pour étudier directement le concept opérationnel pour cette résolution qui est celui du gène ». Il n'est pas certain que « faire l'impasse sur les chromosomes » soit la meilleure façon de permettre l'assimilation des connaissances de base sur le chromosome ! On passe donc directement des caractères héréditaires à l'ADN, et cela grâce à l' « alerte mentale n°1 » (sic) : « Alerte 1 : nous n'observons pas de chromosomes maintenant, cette observation à ce stade de nos connaissances pourrait nous induire en erreur ». Rappelons qu'historiquement, c'est à dire aussi scientifiquement, la génétique a pu se passer de la connaissance de l'ADN, découvert bien plus tard, qui se situe à un autre niveau logique et qu'on ne saurait transmettre la démarche scientifique en partant de ses résultats les plus avancés exposés de façon théorique pour remonter artificiellement les étapes chronologiques et conceptuelles (et leurs applications pratiques) en mode « retour vers le passé ». Par ailleurs, il n'est pas étonnant, « didactiquement » que brûler l'étape de l'observation des chromosomes à l'état stable, pour partir de l'état instable de leur duplication amène à « la confusion entre paires de chromosomes et chromosomes dupliqués » !
De plus en plus délirant : juste après l'alerte n°1, « nous passons ensuite à l'étude de la transmission de l'information génétique des parents aux enfants », c'est à dire à la reproduction sexuée... reproduction sexuée passant par la production de cellules haploïdes (gamètes) ! On comprend que l'élève n'y comprenne plus rien puisqu'on confond des processus ou dans un cas les paires de chromosomes sont dupliquées (mitose) et dans l'autre les paires sont séparées !
Pour s'y retrouver, heureusement il y a « deux cartes alertes » !
« carte 1 : attention lorsque j'observe un caryotype, j'observe des chromosomes dupliqués, donc porteurs des mêmes allèles ».
Prenons un définition du caryotype : « Le caryotype (ou caryogramme) est l'arrangement standard de l'ensemble des chromosomes d'une cellule, à partir d'une prise de vue microscopique. Les chromosomes sont photographiés et disposés selon un format standard : par paire et classés par taille, et par position du centromère. » (wikipedia).
Comme on n'a plus le droit d'observer les chromosomes quand c'était le temps de le faire, on passe directement à l'observation du classement des chromosomes en caryotype sans savoir comment cette représentation a été construite...
Et un caryotype, ce ne sont pas des « chromosomes dupliqués », désolé. Ce sont des paires de chromosomes.
Bis repetita : on comprend mieux « la confusion entre paires de chromosomes et chromosomes dupliqués » puisque la confusion est dans le cours du prof et dans sa « carte mentale » !
On continue ?
« donc porteurs des mêmes allèles » : ben non, un caryotype ce sont des paires de chromosomes porteurs de différents allèles, justement !
On pourrait continuer ainsi, mais lorsqu'on s'approche ainsi de « Hauteurs béantes »(Zinoviev) la sensation de vertige pousse à s'en éloigner.
On dira juste que sur les 7 connaissances de base sur le chromosome que le « neuneulogue » se propose de faire rentrer dans le crâne des élèves à coups de « cartes mentales » et d'envois d' « inputs », 5 sont ouvertement fausses ou gravement confuses (on apprend au passage que les chromosomes ont... un sexe!!!).
Heureusement, l'enseignement par chocs électriques de « 2+2=5 » est encore (provisoirement?) interdit...
Comme l'écrit dans son introduction Pascale Toscani : « Aidons (les enseignants) à comprendre les enjeux de la rigueur méthodologique, qui passe par une connaissance précise des concepts et de ce qu'ils recouvrent » ! Et encore « Nous pourrions d'ailleurs faire le parallèle entre conquête spatiale, la « conquête du cerveau » au service du décryptage neural, et la conquête du décryptage du génome ; nous sommes là au cœur de bien belles aventures scientifiques et humaines ».
Un livre éminemment relu et corrigé puisque : « Je félicite tous les professionnels qui ont accepté de proposer leur travail dans cet ouvrage. Ils ont corrigé plusieurs fois leur texte, conscients des erreurs méthodologiques qui persistaient. Ils sont des pionniers de cette collaboration université/établissement scolaire ou de soin. »
Dans l'espace de la collaboration université/établissement scolaire, personne ne vous entend crier...
Benoît EUGENE
Ancien co-responsable des sciences sociales aux éditions Agone
Notes
[1] "Faites semblant de croire et bientôt vous croirez" doit se lire ainsi : N'ayant pas de problème avec Dieu, on traduira Dieu par neurobiologie, .psycho, pédagogie etc. dans cette belle chanson
[2] Ceci est un compte-rendu d'ouvrage devant être réalisé en "trinôme" mais sous forme individualisée pour des raisons de "quotation"! Il n'est pas prévu dans les consignes que ce compte-rendu soit "critique". Pour des raisons d'hygiène mentale (sans attendus neuroscientifiques superflus), il est proposé ici au public avant même d'avoir été remis...