Distanciation et Hauteur
Par Le concierge du Musée le vendredi 2 mars 2018, 02:57 - Bibliothèque - Lien permanent
Le 8 octobre 2017, le Professeur Tariq Ramadan tenait une conférence à Genève sur le thème "Quel engagement citoyen pour la jeunesse ?". La ou l'une des dernières en Europe avant d'être réduit au silence des cachots par l'arbitraire d'une "détention provisoire" qui s'annonce interminable. Nous en avons transcrit les 10 premières minutes, conscient que face au déferlement de haine médiatique (sous le regard aterré d'une partie du monde) le public français qui n'a jamais entendu parler que d'un "prédicateur islamiste" et des fatwa' de Caroline Fourest a peu de chance de savoir, en fait, comment s'exprime et ce que dit Tariq Ramadan (qui n'engage pas le Musée, beaucoup moins citoyenniste...).
Le Concierge
Cliquer sur l'image pour écouter la conférence dans son intégralité
NB : la transcription respecte au mieux le discours oral sans modification. Impasse faite sur quelques citation coraniques (marquées par "citation).
Quel engagement citoyen pour la jeunesse ?
Le sujet qui nous a été... qui a été choisi... est celui de la jeunesse et la compréhension pour la jeunesse de l'engagement citoyen et ce que j'aimerais vous proposer c'est un propos assez synthétique puisque nous avons 45mn et je vais essayer pour des raisons d'horaires de m'en tenir au temps alloué de réfléchir ensemble à la façon dont on dvrait considérer notre engagement, en Suisse, sur le plan local, dans notre engagement citoyen, dans notre engagement au niveau de la Cité, ici à Genève ou dans le Canton de Vaud ou... puisque ici nous sommes dans l'Union des organisations islamiques de Genève donc au niveau local et essayer de comprendre comment les choses devraient s'articuler, comment est-ce qu'on peut donner un objectif, une vision, voire une espérance à la jeunesse ?
La vulnérabilité d'un certain nombre de jeunes... nous dit bien l'état dans lequel nous sommes aujourd'hui dans nos sociétés
Si vous regardez les différents... les différentes études qui sont menées aujourd'hui sur ceux qu'on appelle... ceux qui basculent dans la violence ou dans la violence extrémiste, par exemple. Les rapports qui ont été faits sur ceci au niveau européen, il y a un indicateur qui est très très intéressant et cet indicateur, c'est celui de la frustration et du mal-être. C'est à dire que... et c'est très très surprenant. Là, je reviens des États-Unis, où on a eu une rencontre sur la question de l'extrémisme et de l'islamophobie en études comparées, et c'est assez impressionnant, sur 632 vidéos postées sur internet qui attirent les jeunes vers la radicalité, 7%, 7,3% seulement, font référence à une donnée religieuse. Tout le reste parle de l'engagement politique, de la lutte contre la frustration, du fait qu'on ne soit pas aimé et c'est comme ça qu'on réussit à attirer des jeunes sur internet et qu'on leur fait un lavage de cerveau. Donc, on ne passe pas par la motivation religieuse, puisque 93% en l’occurrence sont liés à la psychologie, à..., au positionnement par rapport à la société. Et donc il faut se rendre compte de ça, il faut se rendre compte de la vulnérabilité d'un certain nombre de jeunes et ça c'est pour ceux qui peuvent basculer, mais plus généralement, ça nous dit bien l'état dans lequel nous sommes aujourd'hui dans nos sociétés.
Alors moi, je vais vous surprendre un tout petit peu, en disant, en termes d'introduction, que ce qui est vraiment le début de notre engagement, avant simplement d'avoir compris le fonctionnement de la société, c'est un certain état d'esprit. Et cet état d'esprit, il est exactement l'opposé de tout ce qu'on est en train de nous faire vivre tous les jours. En fait, aujourd'hui, vous le savez, vous regardez les reportages qui sont faits sur l'Islam... dans le livre Le génie de l'Islam, je le disais en 4ème de couverture, il n'y a pas un jour où on ne nous parle pas d'Islam aujourd'hui et majoritairement c'est négatif. La représentation générale est extrêmement négative. Et ça va très loin, puisque aujourd'hui on arrive à des chiffres qui sont de 75% ou 60% d'opinions négatives. Et ça,ça a un impact sur les jeunes musulmans, sur les citoyens de confession musulmane, évidemment que ça a un impact.
Distanciation et hauteur
Quand le contexte général est négatif, et bien la perception de soi, elle ne peut pas être immédiatement positive. Et pourtant, ce qu'il faut aujourd'hui, c'est commencer avec cet état d'esprit positif. Et comment est-ce que l'on est positif, quand tout parait autour de nous aussi négatif ? Et c'est là que c'est le plus important. Le plus important, c'est une double disposition. La première des dispositions qui rend les choses positives, c'est que quand on est dans une démarche avec Dieu et quand on est dans une démarche de connexion avec Dieu, on sait que tout ce qui nous est donné de vivre a un sens. Et que la difficulté, « ba'da al 'usr al yurs », c'est à dire qu'après la difficulté, il y a de la facilité. C'est que le projet et la réalité de notre présence en Suisse, en Europe, c'est lié à des difficultés et des obstacles, mais il faut avoir la vue longue, il faut rester positif en se disant que ce test de la difficulté, ces campagnes médiatiques que nous voyons contre l'Islam aujourd'hui ou contre les musulmans ou contre les pratiquants, et bien il faut de ce point de vue-là se reconnecter et savoir que même dans notre histoire, l’Islam a commencé comme ça. Le Prophète, Sallallahu Allahy wa salam, il a commencé comme ça, il a commencé avec un rejet massif (Sourate 73-10) Première chose ,c’est « Sois patient par rapport à ce qu’ils disent et retire-toi un tout petit peu. » C’est à dire « reste positif avec le message que tu as et patient par rapport au négatif »… Vous voyez. Qu’est-ce que ça veut dire « exile-toi » ? ça veut dire :Sois patient, prends de la distance par rapport à leurs attaques et trouve le refuge en Moi… . C’est à dire que c’est avec Moi que tu vas réussir à répondre… Le positif c’est de savoir où chercher la force. Et quand on dit « la hawala quwwate illa billah » c’est de comprendre « il n’y a de pouvoir et de puissance qu’en Dieu » ,c’est se protéger de l’aggression humaine et faire confiance au pouvoir divin.
"-Réponds de la meilleure des façons"
Et donc c’est un moment donné être positif en se disant « mais tout ça c’est pas… ça passera… ça passera comme c’est passé dans l’histoire, qu’on sera attaqué, qu’on sera insulté… » On prend de la distance. Et on prend de la hauteur. Si les gens pourraient s’attendre à ce que quand ils vous agressent vous allez leur faire comme ça, le geste du terroriste (il passe le doigt sur sa gorge - NDE), vous vous faites comme ça et comme ça (il trace une barre horizontale puis verticale, formant un "L" avec son doigt NDE). Je prends de la distance et de la hauteur. De la hauteur, je ne vais pas vous répondre. Je ne vais pas vous répondre et ça c’est ce qui nous est dit dans le Coran quand il est dit (El Furqan 25-63) cad on prend de la distance et même quand on va être attaqué, même cad ceux qui sont avec les serviteurs du Divin et bien ils marchent sur la terre avec légerté et quand on les agresse, quand ceux qui ne savent pas vont les agresser, et bien qu’est-ce qu’ils disent ? Ils disent «Paix »[1]. Alors ça c’est une… donc une démarche de distanciation, une démarche de patience et même une démarche (citation coranique). Cad : qu’est ce qui va se passer ? Réponds de la meilleure des façons. Mais pour répondre de la meilleure des façons, en face du négatif, il faut avoir du positif. Vous ne pouvez pas répondre de la meilleure des façons si le négatif répond au négatif. Comment on nourrit le positif ? Et bien c’est une vision qui doit être ce lien avec Dieu en se disant, ce qu’il veut lui, malgré tout ce que veulent les hommes, si nous sommes des agents de Bien dans la société et bien ça va se voir, et bien avec le temps... il faut du temps (...)
Temps instantané et déficit de mémoire
il y a deux problèmes avec la jeunesse d’aujourd’hui… La jeunesse d’aujourd’hui, elle est en face d’un temps instantané. Nous avons habitué nos jeunes à l’instantanéité. Tout va très très vite, internet ça va très vite, les informations ça va très vite. C’est l’ère de la rumeur et des complots et de ces… je veux dire de tout ce qui construit l’idée que ce que l’on a en face de nous c’est pas vraiment la réalité et qu’il y a des forces qui peuvent être derrière internet ou alors... (En) l’occurrence (...) dès qu’il se passe quelques chose, on n’a plus le temps de l’analyse… Plus vous savez vite ce qui se passe et qu’il se passe vite beaucoup de choses, moins vous avez le temps de l’analyse. Et donc vous êtes dans un temps instantané, donc vous n’avez plus de recul. Et notre jeunesse, on lui demande la réaction spontanée et pas le recul. Deuxième des choses qui manque à la jeunesse d’aujourd’hui, c’est que nous manquons de mémoire. Et la mémoire c’est ce qui nous permet d’être positif. Ce que je dis depuis longtemps, c’est que la présence musulmane en Europe et en Occident a traversé une révolution silencieuse. En l’espace de deux générations, nous avons fait et réussi des choses que vous ne pouvez même pas imaginer. On parle de la présence des musulmans en Suisse… Essayez de demander à ceux qui vivaient ici il y a 60 ans, essayez de demander c’était la communauté musulmane à Genève, ou comment elle était en Europe. C’était complètement différent, c’était une poignée de personnes qui priaient, c’était… dans des lieux vétustes et c’est comme ça partout, c’est vrai en France, c’est vrai en Allemagne, c’est vrai… Partout ! En l’espace de 50 ans… Et pourquoi les gens s’excitent autour de la présence musulmane aujourd’hui, pourquoi il y a cet élément négatif ? C’est parce que en fait, contrairement à ce que disent les politiques, c’est pas que ça marche pas, c’est que ça marche ! Mais ça marche pas dans le sens où ils auraient voulu. On a espéré que la présence musulmane avec le temps ferait que les musulmans seraient moins musulmans. Et il se trouve que les musulmans restent musulmans. Et non seulement ça, c’est pas les plus perdus des perdus qui reviennent à la religion, c’est les plus éduqués. Donc en fait deux choses auxquelles on ne s’attendait pas. On ne s’attendait pas à ce qu’ils restent religieux et on ne s’attendait à ce qu’il y ait plus d’éduation et plus de religion. Donc ça… c’était pas dans la plan, ça. Dans le plan c’est : installez-vous, on va s’occuper de vous. Et vous avez peut-être vue récemment, Bruckner intervenir dans les médias français en disant… en fait il nous reproche de leur permettre non pas de rester musulmans mais de se libérer du carcan. Et dans son idée se libérer du carcan c’est de se libérer de la foi et de la pratique, d’une certaine façon.
"On ne lance des pierres à un arbre que quand celui-ci porte ses fruits"
Donc, nous ce qui est important c’est le caractère positif, l’esprit positif. Et il faut deux choses, le lien vertical avec Dieu et le lien de la mémoire avec le temps qui passe, en se disant les choses avancent… contrairement à ce que… Parce que le discours… Vous connaissez le proverbe africain, souvenez-vous en, de ce proverbe africain. Si les gens s’excitent, c’est qu’il est en train de se passer quelque chose qu’ils ne prévoyaient pas : on ne lance des pierres à un arbre que quand celui-ci porte ses fruits. Dès qu’il y a quelque chose, la nouvelle visibilité des musulmans, on commence à les attaquer parce que on dit : il faut pas que ça marche ! Et on va se persuader que ça marche pas par un discours politique qui dit que ça marche pas, vous n’y arriverez pas, vous serez jamais comme nous… Or nous, on est nous et on est comme vous, on est chez nous. Donc le premier élément, c’est une démarche positive. C’est la meilleure réponse à l’agression et au climat négatif autour de nous. C’est la meilleure réponse (citation)… Belle patience. Nous on n’est pas pressés, on n’a pas des élections. On n’est ni pour ls prochaines élections, ni pour les médias. Les médias parlent de l’instant, les élections de trois ans, nous on parle de générations. Et notre génération, c’est d’être positifs par rapport à ça, en regardant le temps long et en s’en remettant à Dieu (citation)…
Le droit face au droit
C’est à dire… ça ne veut pas dire qu’il faut être passif, ça veut dire qu’il faut entrer dans ce débat-là de façon sereine. Sereine. Et quand (citation) c’est à dire « réponds de la meilleure façon" on t’insulte, tu souris, on te critique, tu réponds, et si on va à l’encontre de tes droits, et bien tu réponds de la meilleure façon, le droit face au droit. Ça ne veut pas dire qu’on se laisse faire, on ne se laisse jamais faire. Mais c’est comment faire, comment on intervient… ça c’est un premier élément, donc, réussir, à l’exemple de ce qu’on a vu du Prophète dès le départ, à la 4ème révélation, il lui dit « sois patient par rapport à ce qu’ils vont dire. Ils vont te rejeter. Les gens de chez toi ! Ils vont te dire, t’es plus un des nôtres ! » C’est ce qu’on nous dit à nous ! On est chez soi. On est Suisses, on a la nationalité on est nés ici et on nous dit : « t’es pas chez toi ! ». Et bien on y sera, par la pensée positive, la pensée confiante et la pensée patiente. Ça c’est un pemier élément. Et donc prise de distance et prise de hauteur. On ne va pas entrer dans tous les débats qu’ils nous présentent comme les seuls débats de la société.
Transcription et intertitres du Concierge
Notes
[1] "Les serviteurs du Tout Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur terre, qui, lorsque les ignorants s'adressent à eux, disent: "Paix" "