Dans une interview donnée à The Hindu, Mr Toussaint, qui était récemment au Sri Lanka pour un séminaire régional sur la dette, a parlé des risques des banques qui s’engagent dans des activités spéculatives.

Accusant les autorités de contrôle d’être « très indulgentes » envers les banques, il a déclaré que les gouvernements et les autorités de contrôle sont censés moraliser le système bancaire, séparer les banques commerciales des banques d’affaires, mettre fin aux salaires et bonus exorbitants et finalement financer l’économie réelle. « Au lieu de quoi … tout ce que l’on a eu est une longue liste de détournements qui ont été mis en lumière par une série de faillites bancaires et de grosses arnaques. »

Meera Srinivasan : Dans votre livre Bancocracie, publié en 2015, vous parlez de la façon dont les banques et les gouvernements à travers le monde s’entendent pour augmenter la dette publique de façon dramatique. Comment considérez-vous la crise maintenant ?

D’abord, il est très clair que les grandes banques aux États-Unis, en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest n’ont pas purgé leurs actifs. Elles étaient censées nettoyer leurs bilans comptables en réduisant les produits toxiques qu’ils contenaient, réduire leurs créances douteuses et augmenter le rapport entre leurs fonds propres et leurs actifs totaux. En réalité, elles n’ont pas pris les décisions nécessaires pour ce faire et pour arrêter une activité spéculative très dangereuse. Les autorités de contrôle étaient censées renforcer leur contrôle sur les banques, mais nous avons vu ces deux dernières années qu’elles ont été très laxistes envers les banques. Les gouvernements et les autorités de contrôle étaient censées moraliser le système bancaire, séparer les banques commerciales des banques d’investissement, mettre fin aux salaires et bonus exorbitants et finalement les amener à financer l’économie réelle. Au lieu d’une moralisation du système bancaire, tout ce que nous avons eu est une longue liste de détournements et de spéculations qui ont été mis en lumière par une série de faillites et de grosses arnaques.

Sous la présidence d’Obama, le Congrès américain a adopté une loi, la loi Dodd-Franck, afin de renforcer la régulation et le contrôle des banques états-uniennes. Et maintenant Trump la démantèle et fait disparaître les quelques règles et mesures régulatrices prises dans le cadre de la loi Dodd-Franck.

Ensuite, les banques centrales – la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon – ont mis en place une politique d’Assouplissement Quantitatif (QE) : cela consiste à injecter beaucoup de liquidités dans les banques, à acheter des produits très toxiques, telles que des créances hypothécaires titrisées (MBS en anglais) et des titres adossés à des actifs (ABS en anglais). Les banques centrales ont acheté ces produits aux banques et leur ont donné beaucoup d’argent en retour. Mais ces banques ne l’ont pas utilisé pour le prêter aux producteurs, aux petits ou moyens producteurs ou aux ménages. Elles utilisent cet argent pour augmenter leurs activités spéculatives, par exemple pour racheter leurs propres actions en bourse. Cela a conduit au développement d’une nouvelle bulle sur les marchés boursiers depuis environ quatre ans. Il y a un risque réel d’un nouvel effondrement boursier. Il est difficile de prédire quand cela va arriver, mais il est absolument évident que la capitalisation boursière est totalement exagérée, qu’elle ne correspond pas à la valeur réelle des actifs des grosses entreprises. Tôt ou tard, il y aura une nouvelle crise financière. Il y a également une grande inquiétude au sujet de la dette privée des grandes entreprises financières (principalement les banques et les assurances) et non-financières. La dette de ces entreprises a énormément augmenté ces dernières années, et donc il y a une autre bulle dans le segment des marchés obligataires. Ces obligations (corporate bonds en anglais) sont émises par les grandes entreprises afin d’emprunter de l’argent à long terme. L’éclatement de cette bulle dans le financier obligataire constitue une autre possibilité de crise. Le dernier grand effondrement du marché obligataire a eu lieu en 1987. Dans l’avenir, nous allons probablement connaître une crise dans ce secteur, qui sera peut-être plus puissante et plus dangereuse que ce qui s’est passé alors.

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Meera Srinivasan : Quand nous avons parlé de l’ultra-droite, vous avez dit qu’il était possible pour les forces progressistes de présenter une alternative. Vous avez aussi dit plus tôt que les mouvements ouvriers et les syndicats doivent élargir leur lutte afin d’incorporer les questions de l’endettement.

Oui ! Nous, à gauche, sommes en déclin depuis que Thatcher et Reagan sont arrivés au pouvoir au début des années 1980. Il y a eu une offensive générale du grand capital contre les droits sociaux. La classe ouvrière traditionnelle a été affectée. De plus en plus d’ouvriers et d’employés ont un emploi très précaire. La partie des salariés, qui est employée dans le secteur formel, est une minorité dans la plupart des pays du Sud, vous le savez en Inde car le secteur informel de l’économie est largement dominant. Cette tendance est aussi vraie dans des pays comme les États-Unis et la majorité des pays d’Europe : les emplois précaires, les temps partiels augmentent. De plus en plus de gens sont endettés parce que les salaires diminuent. Pour maintenir leur pouvoir d’achat, de plus en plus de gens s’endettent.

C’était très clair, par exemple aux États-Unis, avec la crise des subprimes. Après l’explosion de la crise des subprimes en 2006-2007, 14 millions de familles endettées ont été expulsées de leur logement aux États-Unis.

Ma visite au Sri Lanka m’a montré à quelle vitesse l’industrie du microcrédit a développé ses activités dans le pays après la fin de la guerre en 2009 et quelle brutalité elle pouvait exercer ; il est impossible aux gens de rembourser une dette s’ils doivent payer des taux d’intérêts de 40 à 60%. Accorder des micro-prêts à ce taux, c’est créer la condition d’un surendettement. Les gens doivent contracter plus de micro-prêts pour rembourser les précédents. C’est un cercle vicieux qui cause d’énormes problèmes aux victimes de cette situation, dont la majorité sont des femmes. Il est incroyable d’écouter les témoignages ; des femmes nous disent que des agences de microfinance accordent des prêts à des gens sans revenu. Il est impossible de rembourser une dette sans revenu, et donc ils vont perdre le peu de biens qu’ils peuvent avoir, s’ils ont une maison, un lopin de terre où ils cultivent des légumes, ils vont les perdre pour rembourser la dette.

Et dans le Nord global et dans le Sud global, le défi des mouvements ouvriers est de prendre en compte la question de la dette privée des ménages parce qu’il est très difficile de s’engager dans des mouvements sociaux et des grèves pour des gens qui se trouvent sous une énorme pression parce qu’ils doivent rembourser leur dette

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