Il y a deux ans : « La Grèce doit devenir le miroir de l’Europe en matière de législation du travail »
Par Le concierge du Musée le vendredi 23 novembre 2018, 16:17 - ça se passe dans l'UE ! - Lien permanent
La Commission "Europe" de "Nuit Debout" a eu la bonne idée d'organiser à la Bourse du Travail de Paris le 30 juin 2016 un Débat sur les lois travail en Europe. Malheureusement, la Commission n'a pas diffusé les textes des interventions sous forme écrite et la captation enregistrée à partir du streaming et non de la source est intermittente[1]. Nous avons retranscrit ci-dessous l'intervention d'Emmanuel Kosadinos, membre d'Unité Populaire et psychiatre des hôpitaux. Le Concierge
« La Grèce doit devenir le miroir de l’Europe en matière de législation du travail ». Pour comprendre cette phrase sibylline du Ministre actuel du travail, membre de Syriza, (Geórgios) Katroúgaloss, il faut évoquer l’historique des 6 dernière années de la tragédie grecque du travail connue sous le nom « memorandum ». Et plus récemment, aussi, sous l’euphémisme, « meilleures pratiques européennes ». Il faut aussi évoquer les conclusions du semestre européen printemps 2016 où l’on peut lire que « le service d’appui à la réforme structurelle facilite la mise en œuvre des réformes en tirant parti de l’expérience à Chypre et en Grèce. Une proposition législative visant à étendre ce service à l’ensemble des États-membres permettra de fournir un appui dans un large éventail de réformes essentielles. »[2]
Quelle est donc l’expérience tirée en Grèce et quelle sont ces "meilleures pratiques européennes" ?
Les luttes historiques de la classe ouvrière grecque avaient permis, malgré la défaite de la gauche pendant la Guerre civile et un septennat de dictature militaire, l’existence d’un cadre législatif protecteur du travail et le développement d’un secteur public productif conséquent. Puis, pendant les années 1990 et sous la gouvernance du parti dit socialiste Pasok, la tendance s’inverse et prolifère le travail précaire et non déclaré, touchant à l’époque surtout les travailleurs jeunes et immigrés. Cela a été également favorisé par les investissements des fonds sociaux européens. C’est aussi l’époque des privatisations. Le syndicalisme grec, inféodé pendant cette période aux partis traditionnels, plutôt qu’expression de la lutte des classes, devient un mécanisme de délégation du pouvoir central et d’arrangements sous couverture de l’idéologie sociale-démocrate du partenariat social. Les actions symboliques des grandes confédérations n’assurent pas la défense légitime des travailleurs et, à cause de leur inefficacité, font chuter les adhésions, et notamment dans le privé. La crise de la dette grecque, consécutive à la défiscalisation du capital.
(inaudible)
La capitulation s’est fait au prix de l’éclatement de Syriza et de l’installation d’un sentiment profond de rancœur et de désarroi parmi les citoyens. En terme de travail, la loi de ratification du 3eme mémorandum votée en août dernier :
- confirme les politiques salariales de 2010-2015;
- déclare caduques les mesures prises par le premier gouvernement Syriza;
- s’engage à faciliter les licenciements collectifs
- à aligner les négociations collectives à la doxa néolibérale;
- à entraver d’avantage l’action syndicale
- bannir le retour au système antérieur;
- subordonner les politiques de travail à une autorité indépendante d’experts[3];
- et supprime aussi le repos dominical.
L’application de ces mesures est attendue pour cette rentrée 2016, dans un contexte de négociation serré entre le gouvernement et les créanciers. À l’ordre du jour, la signature d’un mémorandum supplémentaire, 3bis,
- la libéralisation complète des licenciements (…);
- l’abandon du salaire minimum et de la négociation dite « libre »;
- l’harmonisation (…) du marché du travail grec;
- l’autorisation de grève uniquement par référendum;
- l’allongement du préavis de grève
- la levée de la protection des syndicalistes;
- et enfin l’autorisation de la grève patronale, le lock-out, ce qui aujourd’hui est inconstitutionnel aussi bien en Grèce qu’en France, en Espagne et dans d’autres pays.
Face à la tourmente qui s’abat sur (...), l’heure n’est pas à la tergiversation. Les mobilisations se poursuivront en Grèce contre l’oppression et la violence économique de l’austérité et contre le gouvernement néolibéral de Syriza, dont une partie des cadres syndicaux a volontiers rejoint les vieilles coutumes du syndicalisme étatique et patronal. Le point culminant de ces mobilisations a été la grève générale du 4 février 2016, à laquelle nous avons fait écho à Paris par un meeting solidaire, Place de la République, le même jour. Des recompositions aux niveaux syndical et politique sont en cours dans la perspective de création d’une nouvelle force d’opposition de gauche, d’un front de lutte de classe pour le renversement des politiques d’austérité néolibérales, des mémorandums et du régime d’asservissement néo-colonial aux créanciers et au capital international. Une lutte particulière doit-être menée en Grèce, compte-tenu des conditions particulières, mais elle doit aussi converger avec les luttes des salariés de l’Europe et du monde entier. Si nous avons perdu une grande bataille, nous sommes toujours en guerre, que nous espérons victorieuse pour les forces du travail et pour le peuple.
Emmanuel Kosadinos
Pièce entrée aux collections du Musée le 8 juillet 2016
Notes
[1] On ne saurait trop ici conseiller à ceux/celles qui prennent ce genre d'initiatives d'en faire des CR écrits et d'ouvrir des blogs, comme celui-ci, pour entreposer ces documents et qu'on puisse en faire usage dans le temps. Car FB est le domaine de l'évanescence, aussitôt publié pour quelques abonnés, aussitôt disparu.
[2] Sur le "Semestre européen, lire La lutte contre la loi travail peut être considérée comme un test majeur pour la Grosse Bertha de la "gouvernance économique" de l'UE
[3] Cette mesure est préconisée pour tous les États-membres dans le Rapport des cinq Présidents, lire "La Grèce et la politique sociale" in La Grèce, la « loi travail », l’eurofascisme et la « gauche » de la « gauche »