Bolkenstein est de retour : la prise de pouvoir de la Commission européenne sur les services
Par Le concierge du Musée le mardi 18 décembre 2018, 16:18 - Observatoire de l'UE - Lien permanent
Les institutions européennes négocient actuellement de nouvelles règlementations du marché unique qui pourraient avoir un impact grave et clairement négatif sur les prises de décision des parlements, des assemblées régionales et conseils municipaux à travers l'Europe. La Commission propose de mettre en œuvre la Directive Services – c'est-à-dire la Directive Bolkestein – d'une manière extrêmement intrusive et inédite. Pour faire court, la Commission souhaite avoir le droit d'approuver ou de remettre en cause de nouvelles lois et autres mesures entrant dans le domaine de la directive. Et le domaine de la directive concerne un large éventail de sujets : urbanisme, politique du logement, politique énergétique, distribution d'eau, gestion des déchets etc.
L'opposition au projet de la Commission se fait de plus en plus grande, en particulier de la part des conseils municipaux, dont la capacité à agir pourrait être durement restreinte dans de multiples secteurs si le projet est adopté. Les conseils municipaux n'ont pas été convenablement informés des implications du projet, aussi beaucoup d'entre eux découvrent tardivement que même les municipalités devront demander la permission de la Commission avant d'adopter toute mesure relevant du domaine des services.
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Avant de se pencher sur le fondement juridique de tout ceci - la Directive Services - il peut être utile de se faire une idée des enjeux, et ce à travers quelques exemples concrets.
- Quand le conseil municipal d'Amsterdam s'est déclaré contre le projet de la Commission, Tiers Bakker, le conseiller municipal qui a rédigé la résolution, a fait référence aux tentatives de régulation d'AirBnB par la ville. Pendant longtemps, AirBnB a profité de règles très flexibles à Amsterdam, mais au fil du temps le service est devenu si populaire que cela a engendré des problèmes en termes d'accès à des logements abordables et a changé l'atmosphère et l'environnement en des endroits clés de la ville. Le conseil municipal a décidé d'intervenir, répondant ainsi aux demandes de son électorat, les habitant.e.s de la ville, et a rendu les règles plus contraignantes. Ce faisant, il a découvert que limiter l'utilisation d'AirBnB pouvait être considéré comme une violation de la Directive Services. Selon le nouveau projet, la ville d'Amsterdam se verrait dans l'obligation de demander l'autorisation à la Commission de mettre en place de telles règles.
- Les règles d'urbanisme et d'aménagement font partie du domaine de la Directive Services, selon la jurisprudence récente de la Court européenne de justice. L'aménagement urbain peut conduire les autorités municipales à opérer des choix en matière d'installation et de taille des commerces dans certains quartiers plutôt que dans d'autres. Certaines villes peuvent préférer ne pas avoir de supermarchés énormes (hypermarchés), afin de protéger l'existence de petits commerces. Cependant, cet aspect de la planification urbaine rentre dans le domaine de la Directive Services. Aussi, dans ces cas également, toute décision devrait être soumise à la Commission, donnant à l'institution européenne le dernier mot, peut-être pas à propos de chaque décision, mais lui permettant tout de même de freiner ou de rejeter des projets cohérents d'aménagement de long terme.
- La directive a d'autre part un impact non négligeable sur le droit du travail. Quand la Directive Services a été proposée pour la première fois, de vives critiques ont été formulées à propos du fait qu'elle autoriserait les entreprises de service à avoir des activités dans toute l'UE en ne suivant que les lois et réglementations de leur pays d'origine. Le mouvement syndical a fait remarquer que cela mènerait immanquablement au dumping social, puisque les entreprises basées dans des pays où les salaires sont faibles seraient en capacité d'envoyer des employé.e.s dans des pays où les salaires sont plus élevés tout en ne les payant pas au prix du marché local. A la suite de contestations de masse à travers l'UE, le droit du travail a finalement été laissé hors du domaine de la directive. Mais cela ne signifie pas que des mesures dont le but serait de vérifier le respect par les entreprises de service des conventions collectives nationales ou des lois sont autorisées. Récemment, la Commission a formulé des plaintes à propos de régulations danoises qui autorisent les autorités et les syndicats à identifier des violations potentielles des conventions collectives et du droit du travail.
- La Directive Services a même un impact sur l'utilisation des ressources naturelles. En 2015, l'Autorité de Surveillance de l'Association de Libre-Echange, qui supervise le respect des règles du marché unique dans les pays de l'espace économique européen (EEE ; Islande, Norvège et Liechtenstein) a conclu que la loi islandaise sur l'utilisation de l'énergie géothermique et sur les nappes phréatiques viole la Directive Services parce qu'elle rend difficile l'obtention de l'accès à la ressource par les acteurs privés étrangers. La loi répondait à la crainte des Islandais.e.s que les entreprises privées n'aient tendance à avoir une approche de court-terme de l'utilisation des ressources géothermiques, qui ne tiendrait pas compte de l'intérêt général de long-terme. Pourtant, cette disposition est considérée comme étant en violation de la loi européenne.
Lire l'intégralité de l'article du Corporate Europe Observatory