FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour Coralie Delaume, qui avait lancé avec David Cayla une pétition en ligne contre la privatisation d’ADP, la procédure de référendum d’initiative partagée initiée par des parlementaires de l’opposition est la dernière chance d’espérer un réel débat citoyen sur cette mesure contestée.

rics.PNG Londres, le 29 mars 2019, Collections du Musée de l'Europe

FIGAROVOX.- Une procédure de référendum d’initiative partagée contre la privatisation d’ADP a été initiée par plus de 200 députés et sénateurs. A-t-elle une chance d’aboutir?

Coralie DELAUME.- Il y a beaucoup d’obstacles à franchir avant qu’un référendum ne soit organisé. D’abord, il faut que la proposition de loi déposée par les députés et sénateurs soit validée par le Conseil constitutionnel. Celui-ci va étudier si le sujet peut-être être soumis à référendum, car tous les sujets ne peuvent pas l’être. Le Conseil constitutionnel va devoir se prononcer sur le fait de savoir si la privatisation d’ADP est une «réforme relative à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent», au sens de l’article 11 de la Constitution (qui énumère les sujets pouvant être soumis à référendum).

Si le Conseil constitutionnel valide la proposition de loi, il faudra ensuite que 10 % du corps électoral l’appuie, c’est-à-dire 4,7 millions de personnes inscrites sur les listes électorales, ce qui est énorme. Mais le délai pour obtenir les signatures étant de 9 mois, cela va laisser du temps pour débattre. Il est probable que la question des privatisations dans leur ensemble vienne sur le tapis. Celle notamment, scandaleuse, des autoroutes, qui a beaucoup mobilisé les «gilets jaunes» et donné lieu à diverses actions sur des péages. On pourra sans doute saisir l’occasion pour rappeler que le Conseil d’État vient d’obliger Bercy, par une décision en date du 18 mars, à rendre public un «protocole secret» signé entre l’État et les sociétés concessionnaires des autoroutes (SCA) en 2015. Un militant écologiste de Grenoble s’est battu pendant trois ans pour obtenir la publicité de ce texte et on sait désormais ce qu’il contient. Du coup, on comprend que plusieurs ministres de l’époque, notamment Emmanuel Macron - ministre de l’économie à l’époque et l’un des deux signataires du protocole avec Ségolène Royal - aient tout fait pour que son contenu reste confidentiel.

On aura également l’occasion d’évoquer ce projet fou de privatisation de certaines routes nationales, récemment révélé par une enquête de la cellule investigations de Radio France. Ou encore le précédent de la privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. On savait déjà qu’il était en train de tourner au vinaigre. On savait que le concessionnaire chinois avait tendance à vider les caisses de l’entreprise, qu’il n’avait aucune expérience en matière de gestion aéroportuaire, qu’il avait été épinglé très durement dans un rapport de la Cour des comptes en octobre 2018. On sait désormais également, grâce à une récente enquête de Médiacité, que ça empire de jour en jour. Casil Europe (le consortium chinois auquel on a imprudemment concédé la gestion de l’aéroport) vient apparemment de faire adopter en conseil de surveillance le principe de reverser 100 % du résultat de l’aéroport en dividendes pour les cinq prochaines années. Ce qui devrait représenter environ 170 millions d’euros pour les actionnaires. Un «pognon de dingue», comme on dit désormais.

Bref, le temps de collecte des signatures citoyennes (9 mois) va permettre de reparler de tout cela, de mettre les choses en perspective, et de montrer à quel point cette orgie de privatisations qui n’a que trop duré, relève du capitalisme de connivence et de prédation. Rien que pour cela, ce sera utile!

Si les signatures sont collectées, est-ce que le gouvernement a l’obligation d’organiser un référendum?

Hélas non. Il y a encore d’autres contraintes. D’abord, un RIP ne peut pas abroger une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Or la loi PACTE, qui prévoit la privatisation d’ADP, devrait être définitivement votée ce jeudi par l’Assemblée nationale. Cela dit, votée ne veut pas dire promulguée. Si le Conseil constitutionnel est saisi pour étudier la constitutionnalité de la loi PACTE, cela va différer la promulgation. Or il est bel et bien question qu’il le soit, notamment parce que la constitutionnalité de la privatisation d’ADP est sujette à caution, s’agissant vraisemblablement d’un «monopole de fait» (donc non privatisable aux termes du 9ème alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité).

Enfin, dernière contrainte et non des moindres: si la proposition de loi des 200 députés et sénateurs passe devant les Assemblées (et on peut compter sur la majorité pour s’en saisir), qu’elle est débattue mais rejetée, aucun référendum n’aura lieu. Autant dire que ce n’est pas gagné. Du coup, on a un peu l’impression que cette procédure du RIP a été pensée pour ne jamais pouvoir aller à son terme.

Mais encore une fois, cette action va permettre un débat sur la question des privatisations, ce n’est pas rien. Par ailleurs, toutes les manœuvres politiciennes visant à faire en sorte que la consultation populaire n’ait pas lieu, se verront. Les citoyens vont attendre «leur» référendum, et s’il ne vient jamais (ce qui est probable), il faudra leur expliquer pourquoi...

L’émergence d’une demande de démocratie participative à la suite du mouvement des «gilets jaunes» a-t-elle selon vous favorisé cette initiative?

Tout cela participe en effet d’un profond mouvement de réappropriation, dans la droite ligne du mouvement des «gilets jaunes». Ceux-ci se sont d’ailleurs beaucoup mobilisés contre cette privatisation. Plusieurs d’entre eux ont relayé la pétition que nous avons lancée il y a un mois avec David Cayla et qui atteint aujourd’hui, notamment grâce à des partages sur des pages Facebook «gilets jaunes», près de 158 000 signatures. Des «opérations spéciales» ont également été montées. Des «gilets jaunes» ont par exemple organisé un flashmob dans le terminal 1 de l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle pour protester contre la privatisation. Ils ont beaucoup contribué à la prise de conscience sur ce sujet.

À noter également: l’initiative des parlementaires montre qu’il existe encore des élus capables de prendre à leur compte les intérêts du pays (le caractère transpartisan de l’affaire montre d’ailleurs qu’il s’agit d’une question d’intérêt national, qui transcende les clivages politiques traditionnels). Pour le coup, cela revalorise la politique, dont on avait tendance à croire qu’elle n’était plus le fait, désormais, que d’une oligarchie comprador pressée de tout dépecer pour offrir des rentes à ses amis des banques et des multinationales.

Source : Le Figaro