Libéraliser en urgence
Par Le concierge du Musée le samedi 2 juillet 2016, 12:05 - Tunisie - Lien permanent
Censé catalyser les « réformes » exigées par les bailleurs de fonds, le CI (Code de l'Investissement) est l’un des principaux outils de politique économique de l’État. Il détermine les avantages financiers et fiscaux offerts aux investisseurs étrangers ou nationaux. Ses dispositions sont souvent conçues de façon à orienter les comportements des agents économiques. Un code pourrait focaliser sur les investissements directs étrangers. Un autre pourrait protéger certains secteurs comme l’énergie en exigeant des autorisations préalables et des cahiers de charges. Le projet de Yassine Brahim, actuel ministre du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale est ouvertement libéral. Plus d’autorisations, ni de cahiers de charges. Plus de distinctions entre investisseurs tunisiens et étrangers. Les investisseurs qui n’étaient autorisés à recruter que 4 cadres étrangers, peuvent désormais en employer 10 indépendamment de l’effectif de l’entreprise.
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Le foncier agricole menacé ?
Animé par les principes de la liberté d’accès aux marchés et de liberté d’investissement, le projet de CI stipule dans son article 5 que :« L’investisseur est libre d’acquérir, de louer et d’exploiter des biens immobiliers pour réaliser ou poursuivre des investissements directs ou indirects. L’investisseur tunisien peut posséder, louer et exploiter des terres à vocation agricole, pour réaliser ou poursuivre des opérations d’investissement agricoles. L’investisseur étranger peut investir dans le secteur agricole sans que cela ne mène à l’acquisition des terres à vocation agricole ».
Disséqué par l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE) dans une note analytique de 5 pages, l’article 5 introduirait des changements majeurs dans le système foncier national. Jihène Chandoul et Sabra Chraifa, co-auteures de la note, montrent que « le projet de CI permet à des sociétés étrangères ou à des étrangers, sous couvert d’une société tunisienne, de devenir propriétaire de nos terres agricoles ». Une remise en cause radicale de la loi du 12 mai 1964 sur la nationalisation des terres agricoles. « Une société tunisienne peut être détenue à plus de 99,9% par des étrangers par un système emboitement en gigogne de sociétés tunisiennes, comme des poupées russes. » expliquent-elles.
Les craintes de l’OTE irritent également la communauté des agriculteurs tunisiens. Lors d’une table ronde organisée le31 mars dernier par l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), plusieurs agriculteurs ont exprimé leur peur de voir des étrangers s’accaparer des terres nationales, mais c’est surtout des sociétés qu’ils ont peur. Les personnes morales pourraient acquérir les terres agricoles sans y investir. La spéculation pourrait augmenter les prix du foncier d’une manière vertigineuse. Une telle inflation pénaliserait les petits et moyens agriculteurs qui représentent 80% des professionnels du secteur et qui souffrent déjà d’une pléthore de problèmes (pluviométrie, difficulté d’accès au crédit, faible mécanisation…). Hédi Oueslati, représentant du ministère du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale, a beau apaiser les inquiétudes en avançant les arguments de la modernisation du secteur, d’un meilleur accès au financement et d’une lutte contre l’émiettement des terres agricoles, les craintes demeurent intactes.
Lire l'intégralité de l'article de Hafawa Rebhi paru sous le titre Le code de l’investissement, au cœur du débat politique sur nawaat.org