Les Gilets jaunes devraient regarder vers la Grèce pour voir ce que sera notre avenir si leur mouvement s’enlise
Par Le concierge du Musée le samedi 23 février 2019, 20:08 - Quatrième nuit de Walpurgis - Lien permanent
En février 1948, le général américain Van Fleet analysait l’intervention américaine dans la guerre civile grecque, qu’il supervisait, comme « une expérience de laboratoire ». Depuis 2010, les prétendues élites européistes mènent dans ce pays une autre expérience de laboratoire : jusqu’où une société européenne peut-elle, en temps de paix, être martyrisée, la démocratie réduite à une coquille vide, les forces de résistance collective paralysées par ce que Naomi Klein a décrit dans son livre de 2007, alors prophétique pour la Grèce, intitulé La Stratégie du choc ou la montée d’un capitalisme du désastre ? Et les Gilets jaunes en France, aujourd’hui, devraient regarder vers la Grèce pour voir ce que sera notre avenir si leur mouvement s’enlise, s’il se laisse circonvenir par les habiletés du pouvoir. S’ils ne prennent pas conscience que l’ensemble des questions économiques et sociales qui ont provoqué leur soulèvement tient au carcan de l’euro, à la libre circulation des capitaux, de la main-d’œuvre et des marchandises à l’intérieur du marché unique où règne la loi de la jungle du moins-disant salarial et fiscal, à la non-protection de ce marché par rapport aux pays à bas coût de main-d’œuvre. S’ils reprennent l’antienne d’une UE qu’il faudrait réformer, alors qu’elle est irréformable parce qu’elle a été conçue pour servir exactement à quoi elle sert : démanteler l’État social, faire du salaire la seule variable d’ajustement de la compétitivité, maximiser les profits d’une caste de plus en plus réduite et, au final, vider de toute substance la démocratie pour assurer, dans un cadre de plus en plus autoritaire au fur et à mesure que les peuples regimbent, le pouvoir technocratique de ceux qui sont persuadés de savoir mieux que les peuples ce qui est bon pour eux.
Les accusations portées contre les Grecs n’avaient qu’une utilité : faire croire qu’ils avaient mérité, par leurs « fautes », le traitement qu’on leur appliquait – de sorte que les autres ne puissent imaginer voir leur avenir dans le présent des Grecs. Mais dix ans plus tard, c’est bien ce même discours de culpabilisation que Macron transpose dans l’ordre intérieur en insultant ceux qui ne s’en sortent plus.
Le démantèlement de l’État social, de toutes les protections collectives, de tous les filets de sécurité, la paupérisation des classes moyennes et, au final, la spoliation des petits propriétaires, voilà le véritable agenda européen. Il s’applique à des rythmes et selon des modalités différents suivant les spécificités nationales, mais ce qui s’est passé et qui continue à se passer en Grèce marque la direction.
Ce que montre aussi la Grèce, c’est qu’une alternance de « gauche radicale » dans le cadre de l’euro et de l’UE ne peut se traduire par rien d’autre que par la poursuite et l’aggravation continue des mêmes politiques néolibérales. C’est que, comme la gauche réformiste avant elle, elle se discrédite et finit par restituer le pouvoir à la droite sans avoir rien modifié de l’ordre économique et social mais en ayant au passage achevé de discréditer le politique et la démocratie : le seul choix aujourd’hui est entre le cadre européen et l’alternance réelle.
Sortir de cette spirale mortifère pour la nation, la société et la démocratie suppose donc de sortir du cadre européen – ou de le faire exploser. Mais cela ne peut être ni de droite ni de gauche. La sortie du carcan européen ne peut rien régler « en soi ». La récupération de la souveraineté est un préalable indispensable à la reprise d’un vrai débat politique, projet contre projet, et à la restitution au peuple de sa capacité à trancher entre ces projets. Il ne faut donc pas demander à un Frexit d’être « de gauche », cela ne veut rien dire. La sortie ne peut prédéterminer l’avenir puisque son rôle est de rouvrir le champ des possibles, de mettre fin à l’alternance du pareil et du même. Car si l’on ne peut pas dire qu’il faut un « Frexit de gauche », on est en revanche assuré qu’en restant dans le cadre euro/UE, les politiques suivies seront toujours plus ordolibérales, austéritaires, liquidatrices des droits sociaux, du patrimoine et des services publics, et au final – comme on le voit se dessiner aussi bien en Grèce qu’avec le pouvoir macronien – des droits individuels et des libertés fondamentales.
La Résistance n’était ni de droite ni de gauche, elle visait à libérer le territoire de l’occupant afin de rendre à la nation sa liberté et au peuple sa capacité à maîtriser son destin.
En revanche, le Comité National de la Résistance qui regroupait des personnes et des mouvements de toute obédience – des communistes à une partie de l’extrême droite d’avant-guerre –, a réfléchi et élaboré un cadre économique et social assurant à chacun des sécurités élémentaires, le cadre dans lequel s’inscrirait le débat politique une fois la souveraineté nationale restaurée. C’est ce travail que nous avons à accomplir aujourd’hui.
Lire la 2eme partie de l'entretien avec Olivier Delorme paru sous le titre Olivier Delorme 2/2 : « Le principal acquis de l’ère Syriza restera sans doute l’immense discrédit qui frappe désormais le politique. »