"Baise ton prochain : Une histoire souterraine du capitalisme"
Par Le concierge du Musée le vendredi 13 décembre 2019, 22:34 - Quatrième nuit de Walpurgis - Lien permanent
Cliquer sur l'image pour voir la conférence de Dany-Robert Dufour, auteur du livre qui donne le titre à ce billet, publié aux Éditions Actes Sud
« Là où la propriété est suffisamment protégée, il serait plus facile de vivre sans argent que sans pauvres, car qui ferait le travail ?... s'il ne faut donc pas affamer les travailleurs, il ne faut pas non plus leur donner tant qu'il vaille la peine de thésauriser. Si çà et là, en se serrant le ventre et à force d'une application extraordinaire, quelque individu de la classe infime s'élève au-dessus de sa condition, personne ne doit l'en empêcher. Au contraire, on ne saurait nier que mener une vie frugale soit la conduite la plus sage pour chaque particulier, pour chaque famille prise à part, mais ce n'en est pas moins l'intérêt de toutes les nations riches que la plus grande partie des pauvres ne reste jamais inactive et dépense néanmoins toujours sa recette... Ceux qui gagnent leur vie par un labeur quotidien n'ont d'autre aiguillon à se rendre serviables que leurs besoins qu'il est prudent de soulager, mais que ce serait folie de vouloir guérir. La seule chose qui puisse rendre l'homme de peine laborieux, c'est un salaire modéré. Suivant son tempérament un salaire trop bas le décourage ou le désespère, un salaire trop élevé le rend insolent ou paresseux... Il résulte de ce qui précède que, dans une nation libre où l'esclavage est interdit, la richesse la plus sûre consiste dans la multitude des pauvres laborieux. Outre qu'ils sont une source intarissable de recrutement pour la flotte et l'armée, sans eux il n'y aurait pas de jouissance possible et aucun pays ne saurait tirer profit de ses produits naturels. Pour que la société -(qui évidemment se compose des non-travailleurs) soit heureuse -et le peuple content même de son sort pénible, il faut que la grande majorité reste aussi ignorante que pauvre, Les connaissances développent et multiplient nos désirs, et moins un homme désire plus ses besoins sont faciles à satisfaire [1]. »
Bertrand de Mandeville (1770)
via Librairie Tropiques
Notes
[1] B. de Mandeville : « The fable of the Bees », 5° édition, Lond., 1728.