feef_the_birds_thumb.jpg Nourrissez les oiseaux du Parthénon

Qui peut imaginer qu'Alexis Tsipras puisse se permettre de plier face aux diktats des “institutions” et des néolibéraux d'Etat ? Que cette chose soit socialement possible ?

Beaucoup de monde dirait-on...

Le cynisme n'est peut-être pas du côté qu'on croit. L'intelligence du politique, le vrai, non plus. À croire que les partisans sincères de la lutte du peuple grec qui vivent encore ici dans un certain confort en sont venus à partager la vision du monde de ceux qu'ils prétendent combattre : rien d'historique ne saurait venir du peuple. Les seconds pensent n'en avoir rien à craindre, tandis que les premiers font tout pour n'en faire point partie. Mais tandis que les repus “on vous l'avait bien dit” et autres “c'est la dernière fois que je m'y fais prendre” des classes intermédiaires font echo aux “les promesses n'engagent que ceux qui y croient” des classes gouvernantes, et autres “mais la crise humanitaire on en parle pour être élu, après on passe à autre chose” (transcrit du Sapino-Moscovicien), le peuple grec entre en scène.

Comment Tsipras pourrait-il l'ignorer ? Lui qui a catalysé cette entrée ? Lorsque les beaux esprits nourris des chroniques politiques ordinaires de l'opérette de la Vème République hollandisée diagnostiquent un changement de majorité parlementaire en Grèce ordinairement social-traitre, ils oublient que le consentement aux Macronneries et au cynisme politique nécessite des ventres encore pleins, des corps soignés, des avenirs en lesquels on peut encore croire, même mollement en forçant sur le yoga et les paniers bio.

Le référendum du 5 juillet a accouché d'une nouvelle majorité. Mais pas celle qui s'est exprimée au Parlement grec et qui loin de marquer le retour des collabos en consacre au contraire la neutralisation. Ce qui s'est exprimé dans les urnes, c'est le réveil du peuple grec. Un peuple grec qui s'est courageusement battu, mais comme chez nous aujourd'hui, en ordre dispersé, sectoriel, par fractions de classe, avant d'être défait et mis à genou. Il avait fallu le courage du désespoir face à la punition et la désillusion attendues pour élire Syriza, avec une majorité qu'on considèrerait comme “confortable” sous les régimes où la démocratie est vidée de son sens au profit d'une comptabilité technocratique des suffrages conférant la légitimité formelle. Mais ces majorités de circonstance ne donnent le pouvoir d'aucun acte souverain. Et quand ils sont commis en force par usurpation de mandat, comme en France avec le traité de Lisbonne, la facture se paie un jour (qui est proche).

Qui peut imaginer qu'une semaine après le référendum, Tsipras se lance dans des magouilles parlementaires, vende son pays aux vampires qui le saignent depuis cinq ans et puisse espérer ne serait-ce que se poser à l'aéroport d'Athènes ? Alors qu'il aurait certainement pu le faire au-cours des cinq derniers mois à moindre risque si tel était son programme. L'histoire des Carlos Menem et de ses successeurs obligés de s'enfuir les uns après les autres par hélicoptère ne lui est pas inconnue. Ce raisonnement n'est donc que la projection de notre propre acceptation du cynisme politique dans lequel nous vivons mais ne dit rien des Grecs chauffés à blanc et dont l'existence-même est en jeu.

En fait, le référendum a rendu impossible la poursuite des mémorandums et la colonisation directe de la Grèce. Même si Tsipras voulait signer un compromis sacrifiant les droits du peuple, il ne le pourrait pas. Non pas juridiquement et parlementairement. Mais parce que le peuple ne s'y soumettra pas. Si les néolibéraux veulent aller jusqu'au bout, il faudra occuper la Grèce militairement plutôt que financièrement comme c'est aujourd'hui le cas. C'est ce qu'a obtenu le gouvernement Syriza en cinq mois en montrant pas à pas le chemin de la dignité et de l'espoir à un peuple grec saigné à blanc et proche de succomber.

Face aux peurs de la population face à tout risque de sortie punitive de l'euro (et quel gouvernement serait légitiime pour imposer ses conséquences sans le consentement du peuple ?) et à un risque de clivage de la société très redouté dans un pays qui a la mémoire de la guerre civile (d’autant plus si les Ambassades lancent leurs hashtags type "révolution bleue de la Vierge Marie sur le dos du veau d’or", ce qu'on appelle Europe), les cinq mois de “négociations” n'ont pas seulement arraché une bonne fois le masque des institutions et des néolibéraux, dévoilant une bande d’inquisiteurs fous furieux travestis en bons apôtres par les messes cathodiques. Leur cruauté cynique, en même temps d'ailleurs que leurs noms et visages, inconnus de tous les citoyens européens, est apparue en pleine lumière, rompant comme dans Tartuffe, la croyance, et ici le pouvoir du consentement aux sacrifices humains exigés par les professeurs de vertu aux prospérités mal-acquises. Les conditions d'un sursaut vital face aux Diktats et aux humiliations dont les mensonges sont étalés au grand jour s'en sont trouvées réunies. Le référendum a catalysé ce qu’il manquait, la mobilisation et la volonté du peuple sans laquelle rien n’est possible, ni le combat, ni la rupture, ni la solidarité pour affronter les épreuves du chaos et de la reconstruction.

Du point de vue des humiliations qui unissent le peuple et déclenchent la furie libératrice des révolutions, tout se présente pour le mieux à Bruxelles à l'heure où nous écrivons ces lignes. Le Grand Inquisiteur Schaüble brandit le châtiment suprême pour en finir avec les Païens de l'Euro quand tous les sacrifices précédents ont été consentis par le peuple grec pour la plus grande gloire de cette Divinité. L'accapareuse Merkel se propose de saisir 50 milliards d'actifs grecs indispensables à la survie du peuple et de les transférer dans son coffre-fort luxembourgeois. La liquidation de tous les droits des travailleurs est exigée dans les trois jours et les maigres lois sociales“unilatérales” passées par le gouvernement doivent être révisées car il ne saurait être de législation en dehors du Mémorandum. La Troïka est censée reprendre séance tenante son occupation des institutions grecques.

Tout à leur orgie bruxelloise, les vampires ne voient pas leur aube venir.

C'est en triomphateur que Tsirpas rentrera à Athènes tel qu'un peuple qui n'a plus peur de sa peur (#TsiprasLeaveEUSummit) le lui demande dès qu'il aura prononcé, face à la curée de la Curie, le mot magique qui s'impose :

Supercalifragilisticexpialidocious !

No-Vox, Canal historique

PS (sic) du 13 juillet : Comme il se doit, le sort de la Démocratie en Europe est désormais entre les mains du peuple grec dans les lieux-mêmes où elle est née, c'est à dire ni du Parlement sensé adopter des lois d'ici mercredi hors de toute procédure constitutionnelle autrement-dit s'abolir lui-même, ni du gouvernement désormais mandaté par le Conseil européen et le Parlement invisible.

"La liberté demande de la vertu et de l'audace".