Colonialisme : Sucer la Grèce jusqu’à la moelle
Par Le concierge du Musée le jeudi 10 août 2017, 15:27 - Quatrième nuit de Walpurgis - Lien permanent
À la lumière de cette entreprise de dépossession des richesses grecques à une échelle quasi industrielle (il s’agit du plus grand transfert de propriété en Europe de l’Ouest) et menée par et pour des puissances étrangères ou les intérêts qui y sont liés, il est difficile de ne pas faire le parallèle avec les pays du Sud et l’installation d’un régime néo-colonial. Un régime qui s’installe et se fortifie non pas au rythme des bottes d’une armée coloniale, mais à celui des prêts et échéances de remboursement d’une dette publique illégitime.
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Le 1er juillet 2016 Le Hellenic Corporation of Assets and Participations S.A (HCAP S.A.) est mis sur pied. Il remplace le TAIPED ou plus exactement l’englobe. En effet, ce nouveau fonds de privatisation est pensé comme une véritable multinationale avec quatre filiales :
- l’agence de privatisation (TAIPED ou HRADF) ;
- le fond hellénique de stabilité financière (HFSF), qui détient les parts que possède encore l’État grec dans certaines banques privées ;
- une société des biens publics (ETAD S.A. ou PPCo S.A.), qui possède les propriétés publiques (hôtels, bâtiments administratifs ou ministériels, site de camping, d’aéroports…) ;
- une société des participations publiques (EDHS S.A ou PHCo S.A.) qui détient et contrôle les entreprises publiques grecques mais aussi toutes les parts que l’État possède dans certaines entreprises. Les bénéfices réalisés par ces entreprises publiques ou semi-publiques y sont inclus.
L’État grec transfère donc à ce nouveau fonds l’ensemble de ses actifs (entreprises, patrimoine, propriétés, actions…), sans contreparties, c’est-à-dire sans recevoir de l’argent en échange. Ce fonds est ensuite chargé de vendre ou céder les droits des actifs en question. En septembre 2016, le ministre des finances, Euclide Tsakalotos avait d’ailleurs tenté de calmer la colère suscitée par la privatisation des réseaux municipaux de l’eau d’Athènes et Thessalonique, en jouant sur les mots et arguant « ce n’est pas une privatisation, mais juste un transfert au fonds ». Or, comme le prévoient les statuts du fonds, aucun retour en arrière n’est possible : « la chose ou le droit qui est transféré ou cédé au Fonds ne peut en aucun cas être réattribué à son ancien propriétaire ou ayant droit (donc l’État grec) ». À la différence de son prédécesseur, le TAIPED, qui détenait « seulement » 25 % des actifs grecs pour 6 ans, ce supers-fonds a vocation d’en gérer la quasi-totalité |4| et ce pour 99 ans. L’horizon des 50 milliards de privatisation est toujours d’actualité. 50 milliards dans un pays où, soit dit en passant, le PIB s’élevait à 185 milliards en 2015.
C’est donc le super-fonds qui se charge des privatisations en tant que telles et qui encaisse l’argent des contrats conclus. Que fait-il ensuite des recettes issues des privatisations ? Bonne question… Selon le texte du troisième mémorandum, sur 50 milliards, 50 % des profits réalisés seront destinés à couvrir les besoins de recapitalisation des banques grecques, 25 % pour le remboursement de la créance du MES et enfin 25 % pour des investissements décidés par le fonds lui-même. Quant à savoir qui, concrètement, touchera l’argent : l’État grec ? Les créanciers directement ? Le fonds garderait la partie destinée aux investissements ? Les textes sont soudain silencieux.
Qui est le pilote dans l’avion ?
Ce super-fonds est dirigé par un conseil de supervision (supervisory board) composé de cinq membres : trois sont nommés par la Grèce, après aval des institutions, et deux nommés, dont le président, par la Commission européenne et le MES, après l’accord du ministre des finances grec. Les derniers jouissent d’un droit de véto. Parmi ses prérogatives ce conseil de supervision se charge de nommer le conseil des directeurs (board of directors) qui, à son tour, désignera les membres des organes de directions des différentes filiales (excepté le FHSF).
En octobre 2016, le supervisory board est nommé. Les deux représentants choisis par les créanciers sont le français Jacques Le Pape pour la direction du fonds et l’économiste espagnol David Vergara. Le premier, un haut fonctionnaire pantouflard, est passé notamment par Air France et le cabinet de Christine Lagarde, aujourd’hui directrice du FMI, qui -s’il est encore nécessaire de le rappeler- est créancier de la Grèce. Le second est un ancien membre du MES, lui aussi créancier du pays. Sans surprise, les créanciers ont placé des « visages connus » aux manettes de ce super-fonds.
À peine désigné, ce conseil de supervision a lancé un processus de recrutement afin de former le conseil des directeurs. Processus de recrutement géré par les cabinets de conseil KPMG et Stanton Chase, contractés pour l’occasion
Parmi les candidatures retenues, on trouve George Diamantopolous (directeur du conseil d’administration), ancien PDG de Jacobs Suchard et Kraft Foods en Grèce et dont le super-fonds vante la « vaste expérience dans les multinationales ». Ourania Aikaterinari a plus d’une corde à son arc en tant qu’ancienne de BNP Paribas, Eurobank, Deutsche Bank, Ernst and Young, et surtout, avant de rejoindre le HCAP, elle était directrice adjointe de PPC S.A la compagnie publique grecque d’électricité, dont une partie devrait être bientôt vendue par le super-fonds.
Enfin, Stefanos Giourelis, globtrotteur pour le compte de la multinationale américaine Hewlett Packard. Bref, des cadors du monde de l’entreprise et des banques pour gérer au mieux la vente des biens publics grecs.
Les créanciers ne semblent pas tellement avoir tiré les leçons de l’expérience de l’ex-TAIPED dont plusieurs membres sont aujourd’hui devant les tribunaux suite à de nombreux scandales de corruption et de conflit d’intérêts. D’ailleurs, lors de la dernière réunion de l’Eurogroupe du 15 juin 2017, le ministre des finances espagnol, L. de Guindos, menaçait d’utiliser son véto au déboursement d’une tranche de crédit supplémentaire, si la Grèce ne cessait pas les poursuites judiciaires engagées contre trois experts (un Espagnol, un Italien et un Slovaque) du TAIPED pour irrégularités lors de la vente de propriétés immobilières. Finalement, les fonds ont bien été débloqués et les poursuites annulées par la Cour suprême grecque quelques jours après.
Les créanciers ont trouvé derechef la parade pour de futurs cas similaires avec le vote en 2016 d’une loi grecque instaurant l’immunité juridique aux agents du super-fonds et aux hauts fonctionnaires de la Troïka en général.
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Extrait de l'article d'Anouk Renaud à lire en intégralité sur le site du CADTM. L'article date de juillet 2016. Depuis, l'abondance des biens de salut politique lancés quotidiennement sur le marché, comme les faits divers font diversion, a, à peu près, nettoyé de l'espace public nombre de sujets fondamentaux... (le Concierge)