Ils organisent des «guerres de la dette» entre les peuples d'Europe, comme ils l'ont fait entre la Belle Époque et la Première Guerre mondiale.

Les marchés ont lancé une guerre contre la Grèce, un État membre de l'UE, dont le peuple a joué un rôle décisif dans la résistance contre la barbarie et pour la libération de l'Europe durant la Deuxième Guerre mondiale. Au début, cette guerre n’était qu’une guerre de communication, qui nous a rappelé les campagnes contre des pays hostiles, des pays bannis, comme l'Irak ou la Yougoslavie. Cette campagne a présenté la Grèce comme un pays de citoyens paresseux et corrompus, tout en essayant de blâmer les «PIGS» de l'Europe et non pas les banques internationales pour la crise de la dette.

Peu après, cette offensive a évolué par l'usage de l'arme financière qui a abouti à la soumission de la Grèce avec un statut de souveraineté limitée et l'intervention du FMI dans les affaires internes de la zone euro.

Lorsqu’ils ont obtenu ce qu'ils voulaient de la Grèce, les marchés ont tourné leur attention vers d’autres pays, plus petits ou plus grands de la périphérie européenne. L'objectif étant dans tous les cas : La garantie totale des intérêts des banques contre les États, la démolition de l'État-providence européen, qui a été la pierre angulaire de la démocratie et de la culture européenne, la démolition des États européens et la soumission des structures restantes à la nouvelle «Internationale de l'argent".

L'UE, qui a été présentée à ses peuples comme un moyen de progrès collectif et de démocratie, devient maintenant le moyen de mettre fin à la prospérité et à la démocratie. Elle a été présentée comme un moyen de résistance à la mondialisation, mais les marchés en ont voulu autrement, et elle devient l’instrument même de cette mondialisation. Elle a été présentée aux Allemands et aux autres peuples européens comme un moyen pacifique pour augmenter leur puissance et leur prospérité, mais la façon dont tous les peuples ont été abandonnés pour devenir la proie des marchés financiers a détruit l'image de l'Europe et a transformé les marchés en acteurs d'un nouveau totalitarisme financier, et en nouveaux patrons de l'Europe.

A présent nous sommes confrontés au danger de répéter sur notre continent l'équivalent financier de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième Guerre mondiale réunies et de se trouver dissous dans le chaos et la décomposition, en faveur d'un empire international de l'argent et des armes, dont la puissance des marchés est l’épicentre économique.

Les peuples d'Europe et du monde entier sont confrontés à une concentration historiquement sans précédent du pouvoir, non seulement financier mais aussi politique et médiatique du capital financier international

c'est-à-dire par une poignée d'institutions financières, agences de notation, une classe politique et des médias rachetés par eux, avec plusieurs centres d’activité plutôt à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'Europe. Ce sont les marchés qui aujourd'hui, attaquent les pays européens les uns après les autres, en utilisant le levier de la dette pour démolir l'État-providence européen et la démocratie.

L '«empire de l'argent" maintenant exige une transformation rapide, violente, et brutale d'un pays de la zone euro, la Grèce, en un pays du tiers monde, avec un programme que l'on appelle de «sauvetage» En fait, c’est plutôt le «sauvetage» des banques qui ont prêté. En Grèce, l'alliance des banques et des dirigeants politiques – avec la bénédiction de l'UE, la BCE et le FMI - ont imposé un programme qui équivaut à «un assassinat économique et social» du pays et de sa démocratie, et organise le pillage du pays avant la faillite à laquelle il conduit, voulant ainsi en faire le bouc émissaire de la crise financière mondiale et l'utiliser comme un «paradigme» pour terroriser tous les peuples européens.

C’est la politique actuellement menée en Grèce et elle tente de se propager, elle est la même qui était appliquée dans le Chili de Pinochet, la Russie d'Eltsine ou en Argentine et elle produira les mêmes résultats, si elle n’est pas stoppée net immédiatement. Le résultat d'un programme qui est supposément destiné à aider un pays, la Grèce, mène au bord d’un désastre économique et social.

La Grèce est utilisé comme un cobaye pour étudier les réactions des peuples au darwinisme social et pour effrayer l'Union européenne tout entière, avec ce qui peut arriver à un de ses membres.

Les marchés peuvent également être insistants et utiliser le leadership de l'Allemagne pour mener des actions de destruction de l'Union européenne. Mais cela constitue un acte de cécité politique et historique extrême pour les forces dominantes de l'UE et en premier lieu, pour l'Allemagne, de penser qu’un projet d'intégration européenne ou simplement de coopération, puisse voir le jour sur les décombres d'un ou plusieurs membres de la zone euro.

La destruction prévue des réussites majeures, des réalisations politiques et sociales d'importance mondiale des peuples européens, ne peut servir à bâtir quelque Union européenne que ce soit. Elle conduira au chaos et à la désintégration et elle favorisera l'émergence de solutions fascistes sur notre continent.

En 2008, les géants des banques privées de Wall Street ont contraint les États et les banques d’État à les renflouer suite à la crise qu’elles avaient elles-mêmes créée, en faisant payer avec l'argent des contribuables le coût de leurs énormes fraudes, tels les prêts hypothécaires, mais aussi le coût d’un capitalisme de casino non réglementé, imposé au cours des vingt dernières années. Ils ont réussi à transformer leur propre crise en une crise de la dette publique.

Maintenant, ils utilisent la crise et la dette qu'ils ont eux-mêmes créées pour priver les États et les citoyens des rares pouvoirs qu'ils avaient encore. C'est une facette de la crise de la dette. Son autre facette c'est que le capital financier, de concert avec les forces politiques qui le soutiennent dans le monde, a imposé la mondialisation néolibérale comme agenda, ce qui conduit inévitablement aux délocalisations de la production hors d'Europe et à la baisse des normes sociales et écologiques de l'Europe qui rejoignent celles du Tiers-Monde. Pendant de nombreuses années ils ont caché ce processus par des prêts, mais maintenant ils utilisent les prêts pour le compléter.

L' "Internationale de l'argent" qui veut éliminer toute notion d’État en Europe, menace la Grèce aujourd'hui, et demain ce sera le tour de l'Italie ou du Portugal; elle encourage la confrontation entre les peuples européens et met l'Union européenne devant un dilemme : faut-il se transformer en une dictature des marchés ou se dissoudre ? Elle vise à faire régresser l'Europe et le monde pour qu’ils se trouvent dans des circonstances pareilles à celles d'avant 1945, ou bien d’avant la Révolution française et « les Lumières ».

Dans les temps anciens, l'abolition, par Solon, des dettes qui avaient forcé les pauvres à être les esclaves des riches, la réforme dite Seisachtheia, a posé les fondations nécessaires à la naissance, dans la Grèce Antique, des idées de démocratie, de citoyenneté, de politique et d'Europe, les fondations d'une culture européenne et mondiale. Luttant contre la classe des plus aisés, les citoyens d'Athènes ont pavé la voie à la construction de Péricles et de la philosophie politique de Protagoras qui a déclaré que

“l'homme est la valeur au delà de toute monnaie”.

Aujourd'hui les classes possédantes semblent vouloir se venger de l'esprit de l'homme : “les marchés sont la valeur au dessus des hommes” est en quelque sorte le slogan que nos dirigeants politiques embrassent volontairement, s'alliant avec le diable de l'argent, comme Faust l'a fait.

Une poignée de banques internationales, d'agences de notation, de fonds d'investissement, une concentration globale du capital financier sans précèdent historique, prétend au pouvoir en Europe et dans le monde et prépare l'abolition des États et de notre démocratie, utilisant l'arme de la dette pour asservir les peuples d'Europe, mettant en place, la dictature de l'Argent et des Banques; la puissance d'un empire totalitaire de mondialisation, dont le centre politique est à l'extérieur de l'Europe continentale, malgré la présence de banques européennes puissantes au cœur de l'empire.

Ils ont commencé par la Grèce, l'utilisant comme cobaye, pour se déplacer ensuite vers les autres pays de la périphérie européenne et progressivement au centre. L'espoir de quelques pays européens d'être épargnés prouve seulement que les leaders européens d'aujourd'hui font face à la menace d'un nouveau "fascisme financier", de la même manière avec laquelle ils ont fait face à la menace d'Hitler pendant la période d'entre-deux guerres.

Ce n'est pas par accident qu'une grande partie des médias contrôlés par des banquiers ont voulu s'attaquer à la périphérie européenne, en nommant ces pays des “pigs" et ont aussi mené une campagne dédaigneuse, sadique et raciste, non seulement contre les Grecs, mais contre l'héritage du grec ancien et la civilisation de la Grèce antique. Ce choix montre les buts plus profonds, sous-jacents de l'idéologie et les valeurs du capital financier, qui promeut le capitalisme de destruction.

La tentative d'une partie des médias allemands d'humilier des symboles comme l'Acropole ou la Venus de Milo, des monuments qui ont été respectés même par les officiers d'Hitler, n'est que l'expression du dédain profond de banquiers, qui contrôlent ces médias, pas tellement contre les Grecs, mais principalement contre les idées de liberté et de démocratie, qui sont nées dans ce pays.

Le monstre financier a produit quatre décennies d'exonération d'impôt pour le capital, toutes sortes "de libéralisation du marché", une déréglementation largement répandue, l'abolition de toutes les barrières aux flux de capitaux et de marchandises, des attaques constantes contre l’État, le contrôle massif de partis politiques et de médias, la propriété de l'excédent brut mondial par une poignée des banques vampires de Wall Street. Maintenant, ce monstre, un véritable “État derrière les États", s'est révélé en revendiquant l'achèvement du "coup d'État permanent" financier et politique, effectué depuis plus de quatre décennies.

Face à cette attaque, les forces politiques de droite et de la social-démocratie européenne semblent compromises après les décennies d'entrisme par le capital financier, dont les centres les plus importants sont non-européens. D'autre part, les syndicats et les mouvements sociaux ne sont toujours pas assez forts pour bloquer cette attaque de manière décisive, comme ils l'ont fait à plusieurs reprises dans le passé. Le nouveau totalitarisme financier cherche à profiter de cette situation pour imposer des conditions finies, irréversibles à travers l'Europe.

Il y a un besoin urgent d'une coordination d'action immédiate et internationale par les intellectuels, les artistes et la littérature, les mouvements spontanés, les forces sociales et les personnalités qui comprennent l'importance des enjeux; nous devons créer un front puissant de résistance contre l'avancée de "l'empire totalitaire de mondialisation", avant qu'il ne soit trop tard.

L'Europe peut survivre seulement si nous promouvons une réponse unie contre les marchés, un défi plus grand que les leurs, une sorte de “New Deal” européen. Nous devons immédiatement arrêter l'attaque contre la Grèce et d'autres pays de la périphérie de l'Union européenne; nous devons arrêter la politique irresponsable et criminelle d'austérité et de privatisation, qui mène directement à une crise plus profonde que celle de 1929.

Les dettes publiques doivent être radicalement restructurées à travers la Zone Euro, particulièrement au niveau de la dépense des géants bancaires privés. Les banques doivent être recontrôlées et le financement de l'économie européenne doit être sous un contrôle social national et européen. Il n'est pas possible de laisser les clés financières de l'Europe dans les mains de banques comme Goldman Sachs, JP Morgan, UBS, la Deutsche Bank etc. Nous devons interdire les dérives financières non contrôlées, qui sont le fer de lance du capitalisme financier destructif et créer le développement économique réel, au lieu des profits spéculatifs.

L'architecture présente, basée sur le Traité de Maastricht et les règles de l'OMC, a établi une machine de production de dettes en Europe. Nous avons besoin d'un changement radical de tous les Traités, la soumission de la BCE au contrôle politique par les peuples européens, "une règle d'or" pour des minima sociaux, fiscaux, environnementaux standards en Europe. Nous avons instamment besoin d'un changement de paradigme; un retour à la stimulation de croissance par la stimulation de la demande, via de nouveaux programmes européens d'investissement, une nouvelle régulation, la taxation et le contrôle du capital international et des flux de marchandises; une nouvelle forme de protectionnisme intelligent et raisonnable dans une Europe indépendante, qui sera le protagoniste du combat pour une planète multipolaire, démocratique, écologique, sociale.

Nous lançons un appel aux forces et aux individus qui partagent ces idées, pour converger dans un front large et européen d'action dès que possible; pour produire un programme transitoire européen, coordonner notre action internationale, afin de mobiliser les forces du mouvement populaire, renverser l'équilibre des forces actuel et les dirigeants historiquement irresponsables de nos pays, pour sauver nos sociétés avant qu'il ne soit trop tard pour l'Europe

Athènes, Octobre 2011

Mikis Theodorakis et Manolis Glezos