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lundi 27 janvier 2020

Grèce : Chronologie à partir du 25 janvier 2015 jusqu’en 2019

Il y a 5 ans, le 25 janvier 2015, le peuple grec lançait un grand signe d’espoir au reste du monde.

Le but de cette chronologie est de passer en revue les grands moments de l’année 2015. La chronologie se termine par les résultats des élections de mai-juin-juillet 2019.

25 janvier 2015 : aux élections législatives, victoire de Syriza (Syriza en grec signifie coalition de la gauche radicale).

27 janvier : début du gouvernement Syriza-Anel avec Alexis Tsipras comme premier ministre.

30 janvier : la conférence de presse de Yanis Varoufakis (ministre des Finances) et Jeroen Dijsselbloem (président de l’Eurogroupe) est l’occasion de l’expression publique des désaccords entre le gouvernement Syriza et les institutions européennes, et lance le coup d’envoi d’une première séquence de « négociations » jusqu’à l’accord du 20 février.

4 février : la Banque centrale européenne fait un coup de force contre le gouvernement Tsipras en refusant que les banques grecques continuent de déposer des titres grecs comme garantie pour l’accès aux liquidités. En conséquence, les banques grecques ont vu augmenter leurs coûts, l’État grec a vu diminuer sa source principale de financement interne au pays et les déposants grecs ont accéléré le retrait de leurs dépôts. C’était une véritable déclaration de guerre de la BCE au gouvernement Tsipras. Le gouvernement Tsipras a appris également que la BCE ne reversera pas le 1,9 milliard € de profits qu’elle a fait sur les titres grecs et qu’elle avait promis de reverser en 2015.

5 février : mobilisation populaire à Athènes, et à petite échelle à Paris et dans d’autres capitales européennes, en réponse au coup de force de la Banque centrale européenne

8 février : premier discours de politique générale d’Alexis Tsipras au parlement grec (la Vouli). Le premier ministre grec confirme qu’il commencera immédiatement la mise en oeuvre du programme de Thessalonique qui impliquait notamment de mettre fin au mémorandum et de le remplacer par un plan de reconstruction nationale. __ 11 février :__ première rencontre officielle du gouvernement grec avec l’Eurogroupe, en vue d’un accord exigé par les institutions européennes avant le 20 février date de la fin du mémorandum en cours d’exécution. Varoufakis s’engage à assumer la continuité des obligations contractées par les gouvernements précédents. Le « mouvement des places » appelle à des rassemblements à Athènes et dans plusieurs villes grecques. Une manifestation de soutien à la Grèce a lieu à Francfort.

12 février : le gouvernement de Tsipras commence à vider les caisses publiques pour rembourser 747,7 millions € au FMI.

18 février : élection par le parlement du conservateur Prokopis Pavlopoulos comme président de la République. C’est Alexis Tsipras qui a convaincu le groupe parlementaire de Syriza de proposer et d’élire ce personnage de l’establishment en signe de continuité avec le régime antérieur et d’apaisement.

20 février 2015 : le président de l’Eurogroupe, le travailliste néerlandais Jeroen Dijsselbloem, annonce à Varoufakis que le solde de 11 milliards € du Fonds de recapitalisation des banques (FHSF) sur lequel le gouvernement Tsipras comptait pour réaliser une partie de ses promesses électorales part vers le Luxembourg au lieu d’être mis à disposition de la Grèce. Varoufakis apprend également que le versement de la dernière tranche (7,2 milliards €) du crédit attribué par la Troïka à la Grèce dans le cadre du mémorandum n’aura probablement pas lieu. Varoufakis signe le communiqué de l’Eurogroupe fixant le cadre des négociations dans les mois suivants : il s’agit de la première capitulation et du renoncement à l’application des principaux points du programme de Syriza.

23 février : le ministre des Finances grec, Yanis Varoufakis, envoie au président de l’Eurogroupe une lettre contenant les grandes lignes de la liste des réformes proposées dans le cadre de l’accord du 20 février. Cette lettre, comme l’a révélé la presse grecque le jour-même, a largement été rédigée par Declan Costello de la Commission européenne.

24 : réunion houleuse du gouvernement grec

25 : débat prolongé du groupe parlementaire Syriza, un tiers des députés s’oppose à l’accord du 20 février

27 : Varoufakis signe un courrier rédigé par la Troïka, c’est un acte de soumission.

28 février-1er mars : première réunion du comité central de Syriza après les élections. L’amendement présenté par la Plateforme de gauche rejetant l’accord du 20 février et la liste de réformes du 23 février obtient 41 % des suffrages.

Début mars : Varoufakis propose aux autorités chinoises d’acheter les chemins de fer grecs et de compléter l’achat du port du Pirée.

4 mars : conférence de presse au parlement grec pour annoncer la création de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque. Cette commission est créée par la présidente du parlement grec Zoé Konstantopoulou. La coordination scientifique de la commission est confiée à Éric Toussaint (Comité pour l’Abolition des dettes illégitimes, CADTM). Voir : http://www.cadtm.org/Grece-Une-commission-d-audit-de-la

6 mars : la Grèce rembourse 299 millions € au FMI.

13 mars : la Grèce rembourse 336 millions € au FMI.

16 mars : la Grèce rembourse 560,8 millions € au FMI.

18 mars : vote au Parlement grec de la première loi du gouvernement Tsipras, consacrée à un paquet de mesures sociales en faveur des personnes les plus pauvres ainsi qu’à la création d’un secrétariat à la lutte contre la corruption.

20 mars : la Grèce rembourse 336,5 millions € au FMI.

1er avril : création par la présidente du parlement grec, Zoe Konstantopoulou, avec le soutien d’Alexis Tsipras, d’une Commission sur les réparations des dettes de guerre de l’Allemagne envers la Grèce.

3 avril : le cabinet des ministres décide d’annoncer au FMI que la Grèce suspendra le paiement de la dette et décide d’envoyer à Washington Varoufakis pour expliquer cette décision à Lagarde et rendre cela public

4 avril : séance inaugurale de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, créée par la présidente du parlement grec Zoé Konstantopoulou. https://www.cadtm.org/4-avril-2015-Journee-historique-pour-la-recherche-de-la-verite-sur-la-dette Assistent à cette séance inaugurale, le premier ministre, le président de la république, la présidente du parlement et la majorité des membres du gouvernement dont le ministre des finances. La séance est introduite par la présidente du parlement, par Éric Toussaint et par le président de la République. https://www.cadtm.org/Chronique-des-interventions-de-l Voir aussi sur le site officiel du parlement grec : https://www.hellenicparliament.gr/Enimerosi/Grafeio-Typou/Deltia-Typou/?press=eb4f5c35-72d3-4aba-884a-a473018a6e4f

5 avril : Varoufakis arrive à Washington et accepte l’ordre de Tsipras de renoncer à la suspension du paiement de la dette.

9 avril : la Grèce rembourse 448,6 millions € au FMI.

24 avril : lors de la réunion de l’Eurogroupe à Riga, le constat est celui d’un échec des négociations, et le versement d’une dernière tranche d’aide (7,2 milliards d’euros) prévu suite à l’accord du 20 février est remis à plus tard.

27 avril : remplacement de Yanis Varoufakis par Euclide Tsakalotos au titre de coordinateur de l’équipe de négociation grecque.

11 mai : réunion de l’Eurogroupe à Bruxelles. La partie grecque accepte notamment l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence, une large abrogation des taux réduits de TVA et la poursuite des négociations. Les discussions achoppent notamment sur la question de la réforme des retraites et du marché du travail.

12 mai : la Grèce, à court de ressources, rembourse quand même au FMI 747,7 millions €. Une astuce a été trouvée par le FMI afin d’être remboursé : il a utilisé un compte ouvert par la Grèce au FMI, y a versé 650 millions considérés comme prêts à la Grèce. La Grèce les a utilisés pour ensuite rembourser le FMI en y ajoutant la différence.

15 mai : un communiqué du secrétariat politique de Syriza appelle à défendre les « lignes rouges » du gouvernement au moyen de mobilisations populaires en Grèce et en Europe. Communiqué d’Eric Toussaint suite à la rencontre avec le ministre Dimitris Stratoulis qui a en charge les retraites https://www.cadtm.org/Communique-d-Eric-Toussaint-suite .

24 mai : réunion du comité central de Syriza. L’amendement déposé par la Plateforme de gauche qui critique le cours des négociations et la stratégie du gouvernement, appelant à des mesures unilatérales en vue de la mise en œuvre effective du programme de Thessalonique, obtient 44 % des suffrages.

3 juin : convoqué par Juncker, Tsipras accepte de se rendre à Bruxelles le 3 juin et confirme qu’il est d’accord de s’engager à dégager un surplus du budget primaire de 3,5 % pendant dix ans, ce qui est totalement en contradiction avec le programme de Thessalonique et intenable pour un pays qui veut rompre avec l’austérité. Mais la Troïka veut plus : elle exige une nouvelle réduction des retraites (notamment la suppression de l’aide –appelée EKAS- apportée aux retraités touchant une pension très basse) et une augmentation de la TVA qui doit être portée à 24 % pour certains produits et services. Dans la restauration, la Troïka veut que la TVA passe de 13 à 23 %.

4 juin : alors que la Grèce doit effectuer un nouveau remboursement au FMI de 305 millions €, celui-ci propose que tous les paiements dus en juin, pour un montant total de 1532,9 millions €, soient payés en un seul coup le 30 juin 2015. Cela permet de mettre la pression maximum sur la Grèce pour qu’elle accepte de signer une nouvelle capitulation avant la fin du 2e mémorandum dont l’échéance est le 30 juin 2015.

5 juin : face à ces nouvelles exigences exprimées le 3 juin par la Troïka, Tsipras décide de ne pas aller à une réunion convoquée à Bruxelles le 5 juin et prend la parole au parlement grec devant lequel il dénonce les exigences de la Troïka

13 juin : réouverture de la chaîne de radio - télévision publique, ERT qui avait été fermée en juin 2013. Tsipras et Pappas, son ministre en charge des médias, mettent à sa tête un personnage de l’establishment ce qui provoque du mécontentement chez ceux et celles qui attendaient une radio TV menant une politique d’indépendance, d’enquête et d’aiguillon critique.

17-18 juin : rapport de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque présente son rapport et les conclusions de celui-ci. Toute la dette réclamée par la Troïka est identifiée comme odieuse, illégitime, illégale et insoutenable. La commission recommande au gouvernement de répudier la dette par un acte unilatéral souverain. Le premier ministre est présent ainsi que de nombreux ministres. Varoufakis pourtant présent à Athènes le 17 juin n’y assiste pas. https://www.cadtm.org/Compte-rendu-de-la-premiere,11771

18 juin : nouvelle réunion de l’Eurogroupe à Bruxelles sur la Grèce : la Troïka poursuit la pression sur le gouvernement grec.

22 juin : Tsipras fait une nouvelle concession : le gouvernement est prêt à réduire une nouvelle fois les retraites de manière importante mais la Troïka veut plus.

20-26 juin : semaine d’action des mouvements sociaux européens en soutien au peuple grec. Des manifestations, réunissant plusieurs milliers de personnes, ont lieu dans de nombreuses villes européennes, dont une trentaine en France.

24-26 juin : Tsipras est à Bruxelles et négocie. Malgré les concessions du gouvernement, la Troïka refuse de signer un nouvel accord. Or Tsipras tout comme Varoufakis veulent un nouveau mémorandum même s’ils ne le disent pas au public grec.

27 juin : suite à l’échec des négociations à Bruxelles, Alexis Tsipras convoque un référendum pour le 5 juillet au sujet de la dernière proposition des créanciers.

Immédiatement la BCE fait en sorte que le gouvernement doive décider de fermer les banques à partir du lundi 29 juin.

29 juin : Juncker, président de la commission européenne, dénonce la convocation du référendum et appelle les Grecs dans des termes à peine voilés à voter Oui afin de ne « pas commettre un suicide ». Cette intervention a peut-être eu l’effet contraire à celui recherché.

30 juin : Benoît Coeuré, vice-président de la BCE, annonce que si les Grecs votent en majorité pour le Non à l’expulsion de la zone euro est probable tandis que si les Grecs votent pour le Oui, la Troïka viendra en aide à la Grèce.

30 juin : la Grèce n’arrive pas à rembourser le FMI par manque de ressources disponibles. Les caisses sont vides.

3 juillet : dans le cadre de la mobilisation populaire croissante en faveur du non, plusieurs dizaines de milliers de manifestants se rassemblent place Syntagma. Les partisans du Oui qui eux aussi ont appeler à se mobiliser ont été beaucoup moins nombreux.

5 juillet : victoire du non au référendum, avec 61,31 % des suffrages.

6 juillet : démission du ministre des Finances grecs, Yanis Varoufakis, remplacé par Euclide Tsakalotos qui depuis fin avril menait à sa place les négociation, assisté par Georges Chouliarakis. Varoufakis dans l’explication publique de sa démission déclare notamment : « Je soutiendrai donc sans hésitation le premier ministre, le nouveau ministre des finances et le gouvernement »

Jacques Lew, le secrétaire d’État au Trésor des États-Unis appelle Tsipras par téléphone pour mettre la pression afin qu’il accepte un nouveau mémorandum aux conditions voulues par la Troïka et rejetées par les Grecs. François Hollande fait de même.

Tsipras se réunit avec les partis qui ont appelé à voter pour le Oui et élabore avec eux une position conforme aux demandes de la Troïka alors que celles-ci ont été rejetées lors du référendum de la veille.

7 juillet : Juncker est carrément insultant lors du sommet tenu à Bruxelles ce jour-là. En présence d’Alexis Tsipras, il déclare : « Une question a été posée au peuple grec à propos de quelque chose qui n’existe pas. Peut-être voudrez-vous bien m’expliquer en détails quelle était la question posée aux Grecs – à moins que cela trop vous demander ». Tsipras répond que le gouvernement est prêt à négocier.

8 juillet : Tsipras avance une proposition qui ressemble à celle que le référendum a rejeté : nouvelle réduction des retraites, accélération des privatisations, augmentation de la TVA, surplus primaire du budget de 3,5%…

8 juillet : L’opposition dans le groupe parlementaire de Syriza est très forte.

10 juillet : le parlement grec vote en faveur de la proposition que Tsipras a élaborée avec l’accord du FMI et de la BCE ainsi qu’avec celui des partis qui ont perdu le référendum. Les partis de droite votent en faveur (sauf Aube dorée) ainsi qu’une majorité de députés de Syriza (à l’exception de Zoe Konstatopoulou, des 6 ministres membres de la Plateforme de gauche de Syriza et de plusieurs députés). Varoufakis n’est pas allé au parlement afin d’éviter de participer au vote.

11 juillet : alors que le FMI et la BCE sont d’accord avec la proposition grecque à l’élaboration de laquelle ils ont participé, plusieurs ministres et chefs d’État veulent imposer de plus lourds sacrifices.

13 juillet : suite à une réunion d’un sommet des chefs d’États et de gouvernement de la zone euro, le gouvernement grec accepte de rentrer dans un processus conduisant à un troisième mémorandum, avec des conditions plus dures que celles rejetées lors du référendum du 5 juillet. A propos de la dette, le texte dit clairement qu’il n’y aura pas de réduction du montant de la dette grecque : « Le sommet de la zone euro souligne que l’on ne peut pas opérer de décote nominale de la dette. Les autorités grecques réaffirment leur attachement sans équivoque au respect de leurs obligations financières vis-à-vis de l’ensemble de leurs créanciers, intégralement et en temps voulu ».

13 juillet : #THISISACOUP, ce hashtag est tweeté 377 000 fois et fait le tour de la Terre en quelques heures pour protester contre le diktat de la Troïka à l’égard de la Grèce

15 juillet : manifestation place Syntagma des partisans du Non opposés à l’accord du 13 juillet, donnant lieu à une répression policière. Une lettre signée par 109 membres (sur 201) du comité central de Syriza rejette l’accord du 13 juillet en le qualifiant de coup d’État et demande une réunion d’urgence du comité central. 15-16 juillet : vote au Parlement, avec les voix de Nouvelle Démocratie, Pasok et To Potami, mais sans les voix de 39 députés de Syriza (32 contre dont Varoufakis, 6 abstentions, 1 absence), d’un premier paquet de mesures d’austérité, concernant la TVA et les retraites, exigées par l’accord du 13 juillet. 17 juillet : suite à l’accord du 13 juillet, la Commission européenne annonce le déblocage d’un nouveau prêt de 7 milliards d’euros. Alexis Tsipras remanie son gouvernement, en congédiant notamment deux ministres de la Plateforme de gauche, Panagiotis Lafazanis et Dimitris Stratoulis.

20 juillet : remboursement de 3,5 milliards d’euros à la Banque centrale européenne et de 2 milliards d’euros au Fonds monétaire international.

22-23 juillet : vote au Parlement du second volet des mesures immédiates exigées par les institutions européennes, contenant des mesures institutionnelles nécessaires à la mise en œuvre du troisième mémorandum. Parmi les députés de Syriza, 31 votent contre et 5 s’abstiennent. Varoufakis vote pour.

30 juillet : réunion du comité central de Syriza. Les demandes, soutenues notamment par la Plate-forme de gauche, d’une réunion du congrès de Syriza avant la signature de l’accord et d’un référendum au sein du parti sur la poursuite des négociations sont rejetées, conduisant plusieurs membres du comité central à démissionner.

13 août : à l’initiative de la Plate-forme de gauche, appel de dix dirigeants de formations politiques de gauche à des mobilisations populaires et à la formation d’une nouvelle force politique, hors de Syriza, en opposition à la politique du gouvernement Tsipras et au troisième mémorandum.

14 août : vote au Parlement grec du troisième mémorandum. Oui : 222 voix. Non : 64 voix (dont 32 Syriza). Abstention : 11 voix (dont 10 Syriza). Absent du vote : 2 (Syriza).

20 août : remboursement de 3,2 milliards € à la BCE pour des titres qu’elle a achetés en 2010-2012 à 70 % de leur valeur nominale et sur lesquelles elle a touché un intérêt de 6,1% chaque année sur le total de la valeur nominale, càd près de 10 % de rendement réel.

20 septembre : élections anticipées. Syriza reste la première force électoral et Tsipras forme un nouveau gouvernement.

D’août 2015 à août 2018 : application du 3e mémorandum avec une longue liste de nouvelles mesures d’austérités et de reculs sociaux.

Élections européennes du 26 mai 2019 : victoire de Nouvelle démocratie.

Élections municipales et régionales en deux tours (26 mai et 2 juin 2019) : victoire de Nouvelle démocratie qui prend le contrôle de 12 des 13 régions (la Crète reste dirigée par Syriza alliée au Pasok) et de la plupart des grandes villes du pays, dont Athènes, Thessalonique... Patras, en revanche, est conservée par le KKE, le PC grec, qui a obtenu les voix de Syriza, alors que le KKE n’a jamais appelé à voter pour Syriza.

Élections anticipées du 7 juillet 2019 : victoire de Nouvelle démocratie. Le parti dirigé par Kyriakos Mitsotakis avec 40 % des voix dispose d’une majorité absolue au parlement. Syriza obtient 31,5 % des voix. Aube dorée n’a plus de représentation parlementaire. Un nouveau parti d’extrême-droite, Solution grecque, fait son entrée au parlement. Le parti créé par Varoufakis entre au parlement avec 9 députés (3,4 % des voix), le Parti communiste obtient 15 députés avec un peu plus de 5 % des voix.

En juillet 2019, Syriza a perdu 470 000 voix par rapport au scrutin de janvier 2015. Syriza, avec Tsipras à sa tête, obtient 82 députés, soit un peu plus d’un quart du Parlement grec. En pourcentage, la somme des résultats de Syriza (31,5 %), du mouvement de Varoufakis (3,4 %) et de celui de l’ex-présidente du Parlement grec Zoé Kostantopoulou (1,4 %, ce qui ne lui permet pas d’avoir des députés car il fallait atteindre le seuil de 3 %) correspond à la portion de l’électorat qui a porté Syriza au gouvernement en janvier 2015.

Signal de la désillusion des Grecs, le taux d’abstention a fortement augmenté. À 42 %, il est le deuxième plus élevé dans l’histoire du pays. La capitulation de Tsipras a conduit à un rejet global de la politique, en particulier dans les couches populaires et la jeunesse.

Néanmoins Syriza est le parti qui a le moins payé le fait d’être au gouvernement pour appliquer les mémorandums. En effet, la droite (Nouvelle Démocratie) qui est revenue au gouvernement en juillet 2019 avec des promesses d’amélioration des conditions de vie du peuple était passée de 2 300 000 voix en 2009 à 1 100 000 en mai 2012 puis était remontée à 1 800 000 en juin 2012 pour revenir au gouvernement. Le Pasok, qui avait été plébiscité en octobre 2009 avec 3 millions de voix et avait ensuite fait passer le premier mémorandum, avait subi un vote de rejet sans appel en juin 2012 : 753 000 voix. Et sa chute avait continué par la suite : 289 000 voix en janvier 2015 ! De son côté, Syriza, en assumant en février 2015 la prolongation du 2e mémorandum et en juillet-août 2015, l’adoption du 3e mémorandum jusqu’à sa finalisation en août 2018, est passée de 2 246 000 voix en janvier 2015 à 1 926 000 voix en septembre 2015 et à 1 781 000 voix en juillet 2019.

Ce moins mauvais résultat de Syriza indique surtout que le peuple grec ne vire pas massivement à droite ou à l’extrême-droite. Mais aussi que s’est installée une forme de résignation et d’adaptation à la « normalité » créée par la mise en œuvre de la purge néolibérale. L’extrême-droite a perdu des voix par rapport à 2015 même si un nouveau parti de la même veine (la Solution grecque) rentre au Parlement tandis qu’Aube dorée, engluée dans des procès, perd ses 17 députés car elle n’a pas atteint le seuil des 3 %. La Nouvelle Démocratie de Mitsotakis a pris des voix à Aube dorée en mettant en avant sur ses listes des dirigeants d’extrême-droite.

Accablée par une dette qui dépasse toujours 170 % du Produit intérieur brut, la Grèce reste sous une sorte de mandat de protectorat dissimulé derrière des apparences de souveraineté. Néanmoins le peuple n’a pas dit son dernier mot.

Reprise de l'article d'Eric Toussaint paru sous ce titre sur le site du CADTM

"Cet homme sera capable d'absolument tout, sans aucune limite"

"Il reste à expliquer comment une nation de 36 millions d’hommes a pu être surprise par trois chevaliers d’industrie et menée sans résistance en captivité" (Karl Marx, le 18 Brumaire de Napoléon Bonaparte)

macronpyramide.PNG Collections du Musée de l'Europe

Ce sire, au fond, est un parfait produit des années 80, une version aboutie – peut-être un peu tardive, c’est l’espoir qu’il nous reste – de l’Homme que ces 30 ou 40 dernières années ont tenté de fabriquer : une imposture, une illusion, un start-up-marabout, une uber-escroquerie. Le philosophe est un cuistre infantile, le « penseur » une machine à poncifs pompeux, le bâtisseur est un vandale, le centriste ouvert est un fanatique borné, l’esthète fin révèle un plouc fini, le « subversif dérangeant » n’est qu’un banal immature inconséquent, le démocrate est un mégalomane totalitaire, et le gendre idéal bienveillant un vicelard narcissique. On ne peut même pas dire qu’il sonne faux : il sonne creux, d’où qu’on toque.

Il ne lui reste plus qu’à compter sur l’effet de sidération que produisent ses pitreries scandaleuses pour – pendant que la plèbe s’offusque à bon droit de la mise à sac sauvage de tout le séculaire édifice sur lequel ce mal élevé s’est laissé hisser pour se goinfrer – engager mécaniquement toutes les liquidations que ses maîtres lui ont commandées.

Ce qu’il fera avec d’autant plus de zèle qu’il a été élu par dépit, vainqueur d’un concours de circonstances, rescapé d’une roulette russe tellement acrobatique qu’il est permis de se demander si le barillet était tout à fait réglementaire. Et soyons sûrs qu’il mènera l’entreprise de démolition bien plus loin que tous ses prédécesseurs puisque, absolument vain et dénué de tout ce qui ressemble à des principes, il est parfaitement polymorphe.

Ce roi nu, si prompt à rabrouer avec la violence puérile qui les caractérise les enfants qui le démasquent, n’est que le zélé valet, le reflet présomptueux d’une époque qui, poussant l’imposture et l’incohérence à des niveaux olympiques, a érigé en « valeurs fondamentales » l’exhibitionnisme pudibond et le puritanisme libertaire. Par son abyssale inconsistance, il est le parfait porte-voix – et le terrifiant porte-flingue – des opportunismes de ses maîtres insatiables. Et ce n’est que parce qu’il lui fallait une histoire, une légende, qu’on la lui a écrite, jusqu’à en faire le fils spirituel d’un philosophe dont il n’était, en réalité, qu’un marque-page. C’est le pion malléable sur lequel, faut-il croire, il était opportun de miser au bon moment. De diverses manières, quelques un(e)s ont su saisir leur chance et tirer le gros lot. Il ne faudrait pas en conclure pour autant qu’un tel individu ne présente qu’un danger « superficiel ». Au contraire.Mais ça n’est pas par son idéologie – quoi qu’on pense de celle à laquelle il s’est vendu – qu’il est dangereux. Il n’en a pas (ou plus exactement, il serait prêt à se vendre à toutes… c’est d’ailleurs ce qu’il fait, à certains égards).

C’est précisément par sa vacuité, pour elle, contre elle, à cause d’elle, ou un peu tout « en même temps », que cet homme sera capable d’absolument tout, sans aucune limite.

Extrait de l'article de Régis De Castelnau, paru sous le titre Jupitre est-il dangereux ?

jeudi 23 janvier 2020

Hommage à Terry Jones

bryan.PNG Cliquer sur l'image

Spéciale dédicace au Nouveau Détective Moustachu...

Le Concierge

Il y a 16 ans : Un autre monde est possible ! Construisons-le !

Toutes ressemblances avec des événements récents... qui, peut-être, ou peut-être pas, reviennent comme une farce... Le Musée d'Archéologie préventive livre en tous cas aux nouvelles générations des éléments d'histoire récente, mais qui pourraient bien être confondus avec des événements beaucoup plus anciens... Le Concierge.

Ceux qui estiment que la mondialisation est incontournable devraient réaliser qu’ils peuvent être contournés ou renversés.

La pensée néo-libérale développe la notion d’inéluctabilité : le système qui est, doit être parce qu’il est ; la mondialisation/globalisation telle qu’elle se déroule est incontournable, tous et toutes doivent s’y plier. On plonge ainsi dans le mysticisme et le fatalisme. Pourtant, un regard attentif sur l’histoire démontre l’incongruité de l’idée « d’irréversibilité ». Prenons l’exemple du domaine financier. Au début du XXe siècle, la liberté des mouvements de capitaux assurée par l’étalon-or, la liberté des changes garantie par les traités sur le commerce et l’investissement, semblaient irréversibles. La première guerre mondiale est venue bouleverser tout cela. Dans les années 1920, la toute-puissance des marchés financiers paraissait tout aussi irréversible qu’elle prétend l’être actuellement. Le krach de 1929 et la longue crise qui a suivi ont obligé les gouvernements à surveiller étroitement les activités bancaires et financières. A la fin de la seconde guerre mondiale, les gouvernements des principaux pays capitalistes vainqueurs se sont mis d’accord pour se doter d’instruments de contrôle financier sur le plan international. Le FMI avait notamment pour objectif de veiller à ce contrôle (son article VI le stipule explicitement). Plusieurs gouvernements d’Europe occidentale ont entrepris à partir de 1945 de vastes programmes de nationalisations, incluant des banques, sous la pression du monde du travail.

Les certitudes théoriques néo-libérales affichées aujourd’hui ne valent guère plus que celles des libéraux ou des conservateurs au pouvoir dans les années 1920 à la veille du krach financier. L’échec économique et le désastre social provoqués par les néo-libéraux d’aujourd’hui pourraient déboucher sur de nouveaux grands changements politiques et sociaux. La mondialisation n’est pas un rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage : les forces de résistance sont bel et bien présentes. Elle est loin d’avoir mené à un système économique cohérent : les contradictions au sein de la Triade sont multiples (contradictions entre puissances impérialistes, contradictions entre entreprises, mécontentement social, crise de légitimité des régimes en place, comportement criminel des grands acteurs économiques privés - Enron, Andersen, Merril Lynch, Citigroup…-, crise de légitimité de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC…).

De plus, les contradictions entre le Centre et la Périphérie se renforcent car la dynamique actuelle de la mondialisation est excluante. Les peuples de la Périphérie constituent plus de 85% de la population mondiale : croire qu’ils vont se laisser marginaliser sans réagir, c’est se tromper lourdement, tout comme les gouvernants qui, dans les années 1940 et 1950, croyaient encore à la stabilité de leur domination coloniale sur l’Afrique et une grande partie de l’Asie.

Enfin, à l’intérieur de la Périphérie, les autorités qui acceptent la voie néo-libérale perdent progressivement des éléments de légitimité. En général, la classe dominante dans ces pays n’a plus de perspective de progrès à offrir à la grande masse de la population.

Pourquoi dès lors exclure que le mécontentement social s’exprime à nouveau autour de projets émancipateurs ? Il n’est pas dit que le mécontentement doive prendre la voie du repli identitaire, « ethnique » ou religieux. Il n’y a ni fatalité économique ni situation politique qui ne puisse se modifier sous l’action des forces sociales.

Aujourd’hui encore, une alternative doit comprendre différentes dimensions :

Une dimension politique. Si le pouvoir politique a délibérément abandonné une partie de son pouvoir de contrôle, permettant ainsi une totale liberté de mouvement pour les capitaux, il peut, sous la pression populaire, tout aussi délibérément reprendre ce contrôle (« volonté politique »). S’il ne prend pas ce tournant, il peut également être renversé.

Une dimension citoyenne et une dimension de classe. Ceux et celles d’en bas, dans toutes leurs organisations, qu’elles soient issues du mouvement ouvrier du XIXe siècle (partis, syndicats), qu’elles soient issues d’autres mouvements populaires, de nouveaux mouvements sociaux de la seconde moitié du XXe siècle, doivent se réapproprier le droit d’intervention, le droit de contrôle, le droit de pression sur les autres intervenants et se poser en pratique la question de l’exercice direct du pouvoir.

Une dimension économique. La conjonction des autres dimensions doit aboutir à des décisions économiques dont l’axe essentiel sera constitué de mesures contraignantes à l’égard des mouvements de capitaux et de ceux qui en décident : leurs détenteurs. Le caractère inviolable de leur propriété privée est également au centre du débat à venir. En effet, si l’on veut défendre le bien commun et l’accès universel à des services de base, on est amené à poser la nécessité de transférer au domaine public des entreprises privées qui s’accaparent le patrimoine de l’humanité et empêchent la satisfaction des droits humains fondamentaux. On est simultanément amené à exclure les biens communs des compétences d’organismes comme l’OMC et des activités des entreprises privées. L’évolution du capitalisme aujourd’hui remet donc à l’ordre du jour le débat sur une nouvelle radicalité. En effet, les formes antérieures de compromis ont été balayées par la crise économique et la vague néo-libérale. Le compromis social fordiste (voir lexique) au Nord, le compromis développementiste au Sud, le contrôle bureaucratique à l’Est, là où ils ont existé, n’avaient pas fait disparaître l’usage de la force de la part des détenteurs du pouvoir, loin de là, mais la voie suivie allait de pair avec certains éléments de progrès social. C’est ce dernier élément qui permettait dans certains cas les compromis. Ces compromis sont rompus par la logique actuelle du Capital et par les choix des gouvernants. Il faut y opposer une nouvelle démarche de rupture, antisystémique. Ceci implique que celles et ceux d’en bas deviennent les acteurs authentiques du changement et de la gestion de ce changement. Ceci implique, de manière aussi nécessaire, que les mouvements sociaux soient fidèles aux intérêts de celles et ceux qu’ils représentent ; qu’ils soient d’une indépendance rigoureuse par rapport aux pouvoirs politiques. Ils ne pourront assurer cette fidélité qu’en développant une véritable démocratie interne, de manière à privilégier l’expression des gens en train de faire de la politique au jour le jour, à favoriser l’élaboration des choix, à stimuler la concrétisation des stratégies pour les atteindre.

Une action concertée des travailleurs et des mouvements sociaux

L’offensive néo-libérale est telle qu’elle nécessite une action concertée des salarié(e)s, des petits producteurs, des opprimé(e)s du monde entier. Celle-ci est nécessaire pour abolir le chômage. Faire disparaître celui-ci nécessite une réduction généralisée du temps de travail (RTT), sans perte de salaire et avec embauche compensatoire ; la RTT est nécessaire pour faire face aux délocalisations et aux licenciements. L’appui des travailleurs du Nord aux travailleurs du Sud est indispensable pour que ceux-ci obtiennent des augmentations de salaire et, d’une manière générale, les droits syndicaux qui leur permettent de se hausser au niveau des conditions d’existence des travailleurs du Nord. A l’heure actuelle, si le monde du travail est toujours le levier le plus puissant pour intervenir dans la lutte politique, il est vital d’y associer le plus étroitement possible tous ceux et celles qui ont été mis en marge de la production. Il faut aussi y associer tous les mouvements sociaux qui luttent contre l’oppression, quelle que soit la forme que prend celle-ci.

Pessimisme de la raison et optimisme de la volonté

S’il est nécessaire d’avoir le « pessimisme de la raison » pour se rendre compte de l’ampleur de l’attaque néo-libérale, de la forte organisation de ses promoteurs, il faut également prendre en compte « l’optimisme de la volonté » qui anime des pans entiers de la population mondiale.

Sans la résistance que l’on voit se lever, opiniâtre, déterminée, courageuse, aux quatre coins de la planète, les forces motrices et les prosélytes de la mondialisation capitaliste auraient marqué des points beaucoup plus significatifs qu’ils n’ont pu le faire. C’est un résultat en soi, même si ce n’est pas suffisant.

Briser l’isolement des luttes

On l’a dit, la classe capitaliste garde le haut contrôle sur les médias, surtout télévisuels. Il n’est pas de son intérêt de propager dans le monde les images des luttes en montrant en donnant à voir la créativité des opprimé(e)s. Il arrive fréquemment qu’on nous montre des affrontements avec la police ou l’armée mais il est bien plus rare qu’on nous livre le détail de la lutte, l’ingéniosité des travailleurs, les trouvailles des manifestants, les activités qui ont porté leurs fruits. Cela risquerait en effet de donner des idées à d’autres mouvements et cette part-là de l’événement représente un danger pour la classe capitaliste. A contrario, on peut mesurer l’énorme impact de mobilisation que provoquent les médias quand ils rendent compte de l’ampleur et de l’intelligence d’un mouvement. Un exemple : le mouvement de grève de novembre - décembre 1995 en France a suscité une telle sympathie que les médias n’ont pu la minimiser, et l’expression de cette sympathie relayée à une échelle si importante servait elle-même de catalyseur à l’élargissement du mouvement.

Les luttes ne faiblissent pas, elles ont même tendance à se multiplier proportionnellement aux attaques. Un des problèmes les plus pesants que la résistance rencontre, c’est ce sentiment d’isolement qui étreint celui qui entre en lutte : « Qui est avec lui ? Qui peut le comprendre et l’aider ? Qui parle de son combat ? Qui mène ce combat ailleurs dans le monde ? » Un des enjeux les plus importants pour les progressistes est certainement de briser cet isolement et de travailler à la convergence des luttes.

Par la concentration des décideurs politiques au niveau mondial, par la similarité de l’appauvrissement qu’ils imposent à toute la planète, la lutte des paysans sans terre du Brésil rejoint la lutte des ouvriers de Volkswagen contre leur transnationale ; la lutte des communautés amérindiennes zapatistes pour une vie digne dans les campagnes mexicaines rejoint celle des grévistes de Mc Donald’s en France ; la lutte des centaines de milliers de paysans indiens opposés aux décisions de l’OMC rejoint celle des sans papiers de France et d’Espagne ; la lutte des syndicats sud-coréens pour défendre leurs conquêtes rejoint celle des mouvements sociaux africains pour l’annulation de la dette ; la lutte de la population hondurienne contre la privatisation de la santé rejoint la lutte des salariés de France, d’Autriche, du Brésil… contre la remise en cause des droits acquis en matière de retraite et la promotion des fonds de retraite privés ; la lutte des femmes algériennes rejoint celle des tribunaux populaires qui dénoncent la dette illégitime en Argentine ; la lutte des étudiants du Nicaragua, du Burkina Faso, du Niger, des Etats-Unis contre l’augmentation des droits d’inscription à l’université rejoint celle des enseignants en France et au Pérou... La lutte des citoyens boliviens (Cochabamba), celle en Afrique du Sud (Soweto) et en Inde contre la privatisation de l’eau, rejoint celle des citoyens péruviens (Aréquipa) et des syndicalistes sénégalais (Sénélec) contre la privatisation de l’électricité.

Partout le monde frémit, tiraillé par le sentiment d’une indignité forcée, poussé par un désir de mieux vivre, révolté par l’injustice et la violence d’un système qu’on veut lui présenter comme le nec plus ultra, comme la fin de l’histoire. En différents endroits de la planète, les mesures des « saigneurs de la terre » ne sont pas passées dans l’apathie. Il est important de le savoir.

Mise en perspective de la phase actuelle des luttes contre la mondialisation capitaliste

La phase actuelle de la mondialisation néolibérale a débuté grosso modo à la charnière des années 70 et 80 quand les victoires électorales de Thatcher en Grande-Bretagne et de Reagan aux Etats-Unis ont donné le signal d’une offensive tous azimuts du capital contre le travail et des principales puissances capitalistes développées contre les pays capitalistes dépendants (leurs peuples étant les premiers visés).

Tentatives de destruction des organisations syndicales (destruction du syndicat des contrôleurs aériens aux Etats-Unis sous Reagan et de celui des mineurs en Grande-Bretagne sous Thatcher), privatisations massives, hausse des taux d’intérêt, blocage des salaires, augmentation des impôts sur le travail et diminution des impôts sur le capital, crise de la dette du Tiers Monde et de certains pays de l’ex-bloc soviétique, application des politiques d’ajustement structurel dans les pays de la Périphérie, guerres sous prétexte humanitaire livrées par les alliances militaires des pays les plus industrialisés contre des pays de la Périphérie, fermeture des frontières des pays les plus industrialisés, renforcement du pouvoir d’intervention des institutions multilatérales contrôlées par les pays les plus industrialisés, à commencer par les Etats-Unis (FMI, Banque mondiale, OMC), mise au pas de l’ONU par ces mêmes puissances, renforcement du pouvoir des transnationales, flexibilisation du temps de travail et précarisation des statuts, féminisation de la pauvreté, attaques contre les protections sociales, extension des surfaces cultivées en OGM, marchandisation d’une série d’activités humaines jusque là relativement à l’abri des activités des transnationales…

Tels sont les principaux signes d’une offensive qui est toujours en cours.

La dimension mondiale de cette offensive et l’imposition du même type de politiques néo-libérales aux quatre coins de la planète, produisent un effet de synchronisation comparable à d’autres tournants historiques des deux derniers siècles (ère des révolutions en Europe en 1848, première guerre mondiale et ses suites, victoire du fascisme et deuxième guerre mondiale, les indépendances des années 1950 - 1960, mai 68...). Certes, les différences sont très importantes. Il s’agit d’une synchronisation des attaques et d’un début prometteur de synchronisation des résistances ou des contre-attaques. La croissance et l’extension du mouvement altermondialiste sont tangibles à l’échelle planétaire, à quelques exceptions près (Chine en particulier - pour combien de temps encore ?-). Les différents éléments de l’offensive énoncés plus haut sont peut-être pour la première fois de l’histoire vécus simultanément par l’écrasante majorité des populations de la planète. Et plus qu’à d’autres moments de l’histoire du capitalisme, certaines institutions internationales symbolisent les maux vécus par une grande partie de l’humanité : FMI, Banque mondiale, OMC, les grandes transnationales, les principales places financières, le G8... Les résistances à cette vaste offensive sont innombrables et se prolongent depuis plus de vingt ans. Certaines se sont soldées par des défaites (en commençant par la défaite des contrôleurs aériens aux Etats-Unis en 1982 et celle des mineurs britanniques en 1984-1985…) ; d’autres ont abouti à des victoires (en Amérique latine, à partir de 2000, on compte de nombreuses luttes populaires victorieuses contre les privatisations. Comme lutte emblématique, notons le succès de la lutte de la population d’Aréquipa au Pérou contre la privatisation du secteur de l’électricité. Depuis la bataille de Seattle (Etats-Unis) en novembre 1999, on s’accorde généralement à souligner une internationalisation du mouvement de résistance à la mondialisation.

S’il fallait déterminer une année symbolique pour situer le tournant qui a débouché sur cette internationalisation, on pourrait choisir l’année 1994, marquée notamment par la rébellion zapatiste du Chiapas, en janvier, qui a su parler de problèmes d’oppression jusque là perçus comme spécifiques dans un langage universel, en interpellant plusieurs générations. Deuxièmement, par la commémoration du cinquantième anniversaire du FMI et de la Banque mondiale en septembre à Madrid, qui a donné lieu à une importante manifestation à caractère international, avec une présence significative de la jeunesse. Troisièmement, par l’éclatement de la crise du Mexique en décembre qui a, pour la première fois, fait voler en éclats le mythe du modèle de développement néolibéral pour les pays de la Périphérie.

D’importantes mobilisations avaient eu lieu antérieurement sur le plan international (en 1988, l’énorme manifestation contre le FMI à Berlin ; en 1989, la mobilisation à Paris à l’occasion du G7...) mais elles n’avaient pas la même portée internationale car elles se situaient encore en plein mythe de la « victoire définitive » du capitalisme et de la « fin de l’histoire ».

A partir de 1994, on assiste à un processus d’accumulation d’expériences et de forces cherchant à passer à la contre-offensive. Il s’agit d’un processus inégal, non linéaire, relativement marginal, qui, jusqu’ici, va cependant croissant. Quelques dates d’expériences qui jalonnent la période 1994 - 2000 : le puissant mouvement social de l’automne 95 en France (qui n’avait pas de rapport avec la lutte contre la mondialisation mais qui a eu des retombées importantes en France sur le mouvement contre la mondialisation néolibérale), le contre sommet « Les Autres Voix de la Planète » à l’occasion du sommet du G7 en juin 96 à Lyon (qui a donné lieu à une manifestation de 30.000 personnes convoquée de manière unitaire par les syndicats), la rencontre intercontinentale convoquée par les Zapatistes au Chiapas en été 96, la victoire de la grève des travailleurs de United Parcels Service (UPS) aux Etats-Unis, le mouvement de grève des travailleurs coréens en hiver 96 - 97, les mouvements des paysans d’Inde en 96 - 97 contre l’OMC, les mobilisations citoyennes contre le projet d’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI) aboutissant à une victoire en octobre 98, la mobilisation de Jubilé 2000 en mai 98 à Birmingham et en juin 99 à Cologne, les marches européennes en mai 97 à Amsterdam et en mai 99 à Cologne, la bataille de Seattle de novembre 99 et, depuis, les innombrables mobilisations à l’occasion des réunions des institutions internationales en 2000 (février 2000 à Bangkok, avril 2000 à Washington, juin 2000 à Genève, juillet 2000 à Okinawa, septembre 2000 à Melbourne et à Prague, octobre 2000 à Séoul, la Marche mondiale des femmes en octobre 2000 à Bruxelles, New York et Washington, décembre 2000 à Nice), les conférences internationales pour définir des alternatives « Afrique : des résistances aux alternatives » à Dakar en décembre 2000 et le Forum Social Mondial à Porto Alegre en janvier 2001 ; les mobilisations contre le sommet des Amériques à Buenos Aires et Québec en avril 2001 ; Barcelone en juin 2001 (100.000 manifestants contre la Banque mondiale), Gênes en juillet 2001 (près de 300.000 manifestants pour protester contre le G8)…

Chacune de ces mobilisations a mis en mouvement de plusieurs milliers à plusieurs centaines de milliers de manifestants ou de grévistes. La plupart de ces mobilisations portaient directement sur des thèmes liés à la mondialisation.

Les attentats perpétrés à New York et Washington le 11 septembre 2001 et la guerre lancée ensuite par les Etats-Unis et leurs alliés ont modifié profondément la situation internationale. La crise économique qui a débuté en début d’année 2001 va de pair avec une vague de licenciements massifs à l’échelle planétaire. Une nouvelle crise de la dette a explosé dans les pays de la Périphérie. Les tenants de la mondialisation néolibérale ont lancé une offensive visant à mettre sur la défensive, voire à paralyser le mouvement contre la mondialisation néolibérale. Ils ont échoué. A partir de septembre 2001, le mouvement a intégré dans sa plate forme la lutte contre la guerre et la nouvelle course aux armements. Sa capacité de mobilisation a encore grandi. De plus, l’année 2001 s’est terminée par une imposante révolte populaire sur tout le territoire argentin. Le gouvernement de centre-gauche qui appliquait les recettes du FMI a été balayé par le mécontentement de la rue.

L’année 2002 a été ponctuée de très grandes manifestations d’opposition à la guerre : 250.000 personnes à Barcelone le 16 mars, 60.000 à Washington le 16 avril, 250.000 à Londres le 26 septembre, près d’un million à Florence le 9 novembre 2002. Les résistances aux privatisations se sont amplifiées en différents points de la planète : Pérou (victoire contre la privatisation de l’électricité à Aréquipa), Mexique, France… En 2002, on a connu également une puissante mobilisation populaire qui a réussi à mettre en échec une tentative de renversement du président Hugo Chavez au Venezuela. A quoi s’ajoutent les victoires électorales de Inacio Lula da Silva au Brésil et de Lucio Guttiérez en Equateur.

Le troisième Forum Social Mondial tenu à Porto Alegre en janvier 2003 a réuni près de 100.000 participants venus des quatre coins de la planète pour élaborer des alternatives. A souligner également : les mobilisations internationales contre la guerre en Irak du 15 février 2003 (plusieurs millions de manifestants) et du 22 mars (plus de douze millions), et contre le G8 à Genève-Evian (100.000). En mai-juin 2003, il y eut aussi d’imposantes mobilisations sociales contre les plans néolibéraux de réforme du système des retraites (France, Autriche, Brésil). Succès impressionnant du rassemblement du Larzac en France à la mi août 2003 : plus de 200.000 participants pendant trois jours alors qu’on en attendait entre 50 et 80.000. Thèmes rassembleurs au Larzac : l’opposition à l’agenda de Doha soumis à l’agenda de la rencontre interministérielle de Cancun (Mexique) de la mi-septembre 2003, soutien au recours à la désobéissance civile pour lutter contre l’expérimentation des OGM ; solidarité avec la Palestine ; convergence entre différentes luttes sociales (défense du système des retraites par répartition, luttes des enseignants, des travailleurs intermittents du spectacle…). Au moment où ces lignes sont écrites, en octobre 2003, le peuple bolivien mène une lutte admirable pour le maintien du contrôle public et national sur les richesses naturelles (guerre du gaz).

De l’échec de l’AMI (1998) à celui de Cancun (2003) en passant par Seattle, Gênes, Doha, Buenos Aires et Bagdad

Eléments de crise dans le dispositif de domination :

1. Instruments clé de l’offensive du capital contre le travail et des pays du Centre contre la Périphérie, le FMI, la Banque mondiale et l’OMC traversent depuis 98, comme nous l’avons vu, une profonde crise de légitimité. Le désastre économique, social et écologique produit par l’application des politiques imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays de la Périphérie a débouché sur une perte évidente de légitimité de ces institutions, à une échelle de masse dans les pays concernés. Les politiques de réglementation du commerce sous la conduite des transnationales et les atteintes à la souveraineté des Etats ont produit également une méfiance certaine de l’opinion publique tant des pays du Centre que de la Périphérie à l’égard de l’OMC. Les politiques d’ajustement dictées par le FMI et la Banque mondiale sont l’objet d’un profond rejet dans l’écrasante majorité des pays qui doivent les subir.

2. Cette crise de légitimité est accentuée par les débats et les batailles internes au sein de l’appareil d’Etat aux Etats-Unis. Le fait qu’il n’y ait pas de position consensuelle à l’intérieur de l’establishment de la puissance qui domine incontestablement le FMI et la Banque mondiale exacerbe profondément leur crise : refus du congrès américain à majorité républicaine de verser la quote-part des Etats-Unis à certaines initiatives du FMI (en 1997-1998), commission bipartite Meltzer du congrès américain proposant une réduction drastique du rôle du FMI et de la Banque mondiale (février 2000), sabordage en mars-avril 2003 par le Trésor des Etats-Unis de la mise en place d’un mécanisme de restructuration de la dette souveraine des Etats alors que celui-ci avait été élaboré par Anne Krueger (Etats-Unis), la directrice-générale adjointe du FMI.

3. Troisième niveau de la crise : la crise interne du FMI et de la Banque mondiale (en particulier de cette dernière), qui se traduit notamment par le départ tonitruant, en novembre 99 de Joseph Stiglitz, économiste en chef et vice président de la Bm, par le départ du responsable des questions environnementales et la démission fracassante de Ravi Kanbur, directeur du rapport annuel de la Bm sur le développement dans le monde (juin 2000). On pourrait y ajouter la sourde lutte en 98 et en 99 entre Michel Camdessus et Stanley Fischer (numéros un et deux du FMI) aboutissant à la démission de Camdessus avant la fin de son mandat et le départ anticipé de l’économiste en chef du FMI en 2003, le très néolibéral Kenneth Rogoff.

4. Autre élément de crise : les contradictions entre les grandes puissances, la guerre commerciale au sein de la Triade (bananes, bœuf aux hormones, subventions aux produits agricoles et industriels, OGM...), les luttes d’influence (guerre de succession entre puissances pour le remplacement de Michel Camdessus en février-mars 2000) et les divergences qui ont surgi au moment de la guerre contre l’Irak, qui affaiblissent la capacité des pays les plus industrialisés à imposer leur ligne stratégique dans chaque circonstance.

Le retrait de la France de la négociation de l’AMI, mettant un terme provisoire à cette offensive, en est une illustration. En effet, si le Premier ministre Lionel Jospin a annoncé le retrait de la France, ce n’est pas simplement en raison des mobilisations citoyennes ; c’est aussi le résultat des batailles commerciales que se livrent la France, les Etats-Unis et d’autres larrons. Les contradictions inter-impérialistes sont montées d’un cran en 2002-2003, tant au niveau de la compétition commerciale et industrielle (regain de protectionnisme) qu’au niveau de la politique internationale (guerre contre l’Irak et, dans une moindre mesure, la situation au Proche Orient et la lutte de libération du peuple palestinien). Les tentatives de « rabibochage » butent sur des obstacles majeurs.

5. Il faut y ajouter les contradictions entre la Triade d’une part et les pays de la Périphérie d’autre part. L’échec du Round du Millénaire à Seattle en 1999 est le résultat de la conjonction des différents éléments de crise cités plus haut : crise de légitimité se traduisant par une puissante mobilisation de masse, contradictions au sein de la Triade et mécontentement des pays de la Périphérie à l’égard des prétentions des principales puissances industrielles.

A partir de la guerre contre l’Afghanistan (2001), suivie de la guerre contre l’Irak (2003), les contradictions ont été particulièrement fortes entre les Etats-Unis et leurs alliés, d’une part, et de nombreux pays de la Périphérie, d’autre part. C’est particulièrement sensible du côté du monde arabe et, au-delà, à l’échelle de l’ensemble du monde musulman. Mais cela ne se limite pas à ces pays. Le Brésil, la Chine, le Mexique, l’Inde, l’Afrique du Sud, la Russie… ont exprimé plus ou moins fortement leur opposition à la guerre contre l’Irak.

L’échec de la réunion interministérielle de l’OMC à Cancun (Mexique) en septembre 2003 est le produit de la fronde de plusieurs pays de la Périphérie, avec en tête le Brésil, l’Inde et la Chine. L’administration Bush, empêtrée dans le guêpier iraquien, confrontée à la poursuite de la crise économique sur le plan intérieur, en perte de vitesse dans les sondages concernant les élections présidentielles de 2004, n’a pas eu la volonté de faire les concessions qu’exigeaient certains grands pays de la Périphérie comme le Brésil. Elle a maintenu une position très protectionniste de manière à (re)gagner des électeurs.

6. La guerre contre l’Iraq et la crise palestinienne sapent la crédibilité des Etats-Unis. L’incapacité des puissances occupant l’Iraq à garantir la sécurité de leurs troupes et à relancer pleinement l’industrie pétrolière, les révélations concernant les mensonges de l’Administration Bush, de Tony Blair et du gouvernement australien sur la présence d’armes de destruction massive en Iraq, l’incapacité(ou l’absence de volonté) d’imposer au gouvernement d’Israël des concessions à l’égard de la lutte du peuple palestinien… Autant d’éléments d’une vaste prise de conscience. Autant d’éléments favorisant une crise de légitimité du leadership mondial exercé par les Etats-Unis.

7. L’absence de légitimité du leadership mondial assuré par les Etats-Unis. Le comportement du gouvernement des Etats-Unis au cours de la décennie 1990 et du début des années 2000 soulève un rejet grandissant. Agressions militaires, sabotage de la Cour pénale internationale, mépris à l’égard de l’ONU et d’autres institutions des Nations unies (UNESCO ), rejet des accords de Kyoto au nom du droit des Nord-américains de continuer à mener leur train de vie, protectionnisme de nantis, recours évident au mensonge pour justifier des opérations militaires, restriction des droits humains (enfermement à Guantanamo de 650 prisonniers sans droits), comportement amoral de la présidence, que ce soit sous W. Clinton ou sous les deux G. Bush, utilisation du chantage en tant que grande puissance à l’égard des petites, achat de votes de pays au sein de l’OMC, de l’ONU et des institutions de Bretton Woods, maintien de la peine de mort… Le prétexte de la lutte contre le terrorisme, la campagne de l’axe du bien contre le mal convainquent de moins en moins de citoyens et de citoyennes dans le monde (y compris aux Etats-Unis). Les sondages montrent la chute radicale de la popularité des Etats-Unis dans un grand nombre de pays, à commencer bien sûr par le monde arabe, et plus largement le monde musulman.

8. La Banque mondiale et le FMI, qui disposent d’un pouvoir considérable quand il s’agit d’imposer des politiques d’ajustement structurel et le remboursement de la dette aux pays de la Périphérie, sont démunis lorsqu’il s’agit de prévenir des crises du type de celles de 97 dans le Sud Est asiatique, de 98 en Russie, de 99 au Brésil, de 2000-2002 en Argentine et en Turquie, de 2002-2003 au Brésil. Que dire de leur incapacité à prévenir un krach boursier au niveau international ?... ou à relancer une économie mondiale touchée par l’anémie en 2001-2003 ? Les signes de résistance aux oukases des institutions de Bretton Woods sont perceptibles dans le comportement de certains gouvernements jusqu’ici disciplinés : en 2003, refus du président argentin Kirchner d’accepter toutes les exigences du FMI, décision de la Thaïlande et de l’Indonésie de ne pas prolonger les accords avec le FMI…

9. La multiplication des scandales à partir de la faillite d’Enron jusqu’aux oligarques russes, l’échec patent du néolibéralisme révélé par la crise argentine, l’absence de mesures un tant soit peu sérieuses pour juguler la pandémie du sida en Afrique principalement, les restrictions aux libertés démocratiques accentuées depuis le 11 septembre 2001, la mise hors jeu de l’ONU alternant avec son instrumentalisation par les grandes puissances, la double morale et le « deux poids deux mesures » ajoutent une dimension éthique et démocratique à la crise du modèle néolibéral dans les consciences d’une partie croissante de la population mondiale, en commençant par la jeunesse.

10. Crise de confiance également à l’égard des transnationales. La recherche frénétique du profit au mépris des droits humains et de l’environnement ; le recours à la corruption, l’enrichissement inouï des chefs d’entreprises ; le recours systématique à l’évasion et à la fraude fiscale ; les licenciements boursiers… ont généré une défiance croissante à l’égard des transnationales. Cela suscite une mise en cause profonde de la mondialisation conduite par les transnationales.

Une caractéristique de la situation ouverte par l’échec de l’AMI est l’irruption du mouvement citoyen dans l’agenda des négociations des grandes institutions et des grandes puissances internationales. Ces dernières années, il n’y a plus eu une seule réunion des « grands » de ce monde qui n’ait été l’occasion de manifestations de masse, les dernières réunions ayant été largement désorganisées, voire paralysées par les manifestants. Si l’offensive néolibérale s’est poursuivie, elle s’est faite par à-coups, avec retard dans l’exécution des nouveaux plans, ce qui ne manque pas d’inquiéter les tenants du système.

La crise de légitimité du G8, du FMI, de la Banque mondiale et de l’OMC est telle qu’ils renoncent à se réunir en fanfare comme auparavant. Ils convoquent des réunions beaucoup plus restreintes dans les endroits les moins accessibles à la contestation : l’OMC à Doha, au Qatar, en novembre 2001 ; le G8 de 2002 dans un village perdu des Montagnes rocheuses au Canada, celui de 2003 à Evian, bourgade de 15.000 habitants cernée par le lac et les montagnes, celle de 2004 prévue dans une cité balnéaire du Texas. La réunion interministérielle de l’OMC tenue mi-septembre 2003 à Cancun, autre ville balnéaire coupée du reste du Mexique par le Yucatan. La Banque mondiale a dû annuler la réunion qu’elle devait tenir en juin 2001 à Barcelone, ce qui n’a pas empêché 100.000 jeunes Catalans de manifester contre sa politique. Elle est bien loin la période bénie pour la Banque mondiale et le FMI, où ces deux institutions se réunissaient tous les trois ans en grande pompe dans une capitale en déplaçant jusqu’à 15.000 invités : Berlin 1988, Bangkok 1991, Madrid 1994, Hongkong 1997, Prague 2000. Le fait qu’en septembre 2003, elles aient dû se réunir à Dubaï (Emirats arabes unis), à l’abri de toute manifestation de protestation, montre à quel point elles sont sur la défensive. Le mouvement altermondialiste aurait tort de ne pas savourer cette victoire. Partielle il est vrai. Mais victoire quand même.

Ceux qui prétendent conduire le monde n’ont aucune intention de faire des concessions aux protestataires de plus en plus nombreux. Dès lors, ils combinent deux tactiques pour tenter d’endiguer le mouvement : le recours à une répression dont la vigueur va crescendo et une campagne de dénigrement systématique visant à ternir l’image des protestataires (mise en cause de leur représentativité et de leur capacité à proposer des alternatives ; criminalisation du mouvement par l’amalgame entre sa grande majorité et de petits groupes violents…) d’une part, et la tentative de récupération d’une partie du mouvement, en particulier les ONG, en faisant appel à une sorte d’union sacrée, d’autre part.

Comme le disait le dictateur Napoléon Bonaparte : « On peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus » (Gramsci a traduit cela de manière moins triviale en parlant d’hégémonie, de nécessité de consensus pour assurer la stabilité du système). La crise de légitimité et l’absence de consensus alimentent la recherche de solutions alternatives et amplifient les mobilisations. L’usage répété de la violence policière avec son cortège de victimes (y compris par balles) amenuisera encore plus la légitimité des institutions qui prétendent conduire la mondialisation néolibérale.

Au niveau du mouvement protestataire, plusieurs facteurs positifs se dessinent en ce moment. Primo, le lancement en 2001 du Forum Social Mondial, dont la première édition eut lieu à Porto Alegre (Brésil), et la poursuite de l’expérience avec un succès croisant (12.000 participants en 2001, 30.000 en 2002, 100.000 en 2003…). L’extension du processus sur le plan continental : Forum Social Asiatique, Forum Social Européen, Forum Social Africain, qui seront suivis bientôt par l’Amérique du Nord. Enracinement du processus du Forum Social au niveau local dans un grand nombre de pays. Le lancement du FSM a été le résultat de la convergence entre différentes initiatives dont l’origine se trouve tant au Sud qu’au Nord de la planète. Il s’est doté d’un Conseil international. Le FSM a réussi à apparaître comme une alternative légitime au Forum Economique Mondial de Davos, qui réunit dans un club informel des patrons de transnationales, des gouvernants, des dirigeants de l’OMC, du FMI et de la Banque mondiale.

Secundo, convergence entre des mouvements sociaux et des organisations de nature différente : Via Campesina, Attac, Marche mondiale des Femmes, certains syndicats, des groupes de réflexion tel le Forum Mondial des Alternatives, International Focus on Globalization, Focus on the Global South, des mouvements contre la dette tels Jubilé Sud, le CADTM, des mouvements d’éducation, des ONG…). Convergence qui débouche sur un calendrier et des objectifs communs dont on peut avoir un aperçu en lisant la déclaration de l’assemblée des mouvements sociaux au Forum Social Mondial de Porto Alegre en janvier 2001 (encadré 20.1.), suivie d’autres déclarations à l’occasion des éditions ultérieures du Forum Social Mondial, des Forums asiatique et européen. Mise en place d’un secrétariat international provisoire assurée par le Mouvement des Sans Terre au Brésil. Tertio, implantation de réseaux parties prenantes du mouvement à l’échelle de la planète même si c’est de manière inégale (fort développement en Europe occidentale, aux Amériques et en Asie, faiblesse en Afrique et en Europe orientale, absence en Chine).

Quarto, entrée dans un cycle de radicalisation d’une couche significative de la jeunesse, également de manière inégale à l’échelle de la planète (les régions où ce phénomène est le plus avancé sont l’Amérique du Nord et le Sud de l’Europe ainsi que la Grande-Bretagne et la Scandinavie. Manifestement, le phénomène s’étend : la jeunesse bouge et lutte en Algérie - Kabylie -, en Corée du Sud, au Pérou, au Mexique, dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne…).

Quinto, naissance d’un puissant mouvement anti-guerre sur le plan international à partir de 2001 lors de la guerre contre l’Afghanistan. Renforcement de ce mouvement au cours de l’année 2003. A l’avenir, il faudra veiller au maintien de la pluralité du mouvement, à son indépendance par rapport aux pouvoirs en place, à la capacité de renforcer la convergence entre différentes campagnes, telle celle contre l’OMC et celle pour l’annulation de la dette. Il faudra assurer la pérennité du mouvement anti-guerre et redonner vigueur à la solidarité internationale avec les peuples en lutte pour leur libération (particulièrement le peuple palestinien).

Encadré 20. 1. : Résumé des points d’accords entre mouvements sociaux au FSM de Porto Alegre (janvier 2001)

Nécessité d’une alternative démocratique et internationaliste à la mondialisation capitaliste néo-libérale ; suprématie des droits de l’homme, des droits sociaux et des droits de l’écologiesur les exigences du capital ; nécessité de réaliser l’égalité entre femmes et hommes ; nécessité d’approfondir la crise de légitimité de la Banque mondiale, du FMI, de l’OMC, du Forum de Davos, du G7 et des grandes multinationales ; exiger l’annulation dans conditions de la dette du tiers monde et l’abandon des politiques d’ajustement structurel ; exiger l’arrêt de la dérégulation du commerce et rejeter la définition actuelle des droits de propriété intellectuelles en relation avec le commerce ; exiger la protection des ressources naturelles et des biens publics en empêchant leur privatisation ; exiger l’abolition de l’utilisation des plantes transgéniques et des brevets sur la vie ; faire obstacle au commerce des armes et à la politique militariste (exemple : le Plan Colombie des Etats-Unis) ; affirmer le droit des peuples à un développement endogène  ; trouver des sources de financement sur la base de la taxation du capital (en commençant par une taxe de type Tobin), ce qui implique la suppression des paradis fiscaux ; affirmer les droits des peuples indigènes  ; nécessité d’une réforme agraire et d’une réduction généralisée du temps de travail ; nécessité d’un combat commun Nord/Sud et Est/Ouest ; promotion des expériences démocratiques comme le budget participatif pratiqué à Porto Alegre.

Une trame de subversion tissée au quotidien

Ce vaste mouvement, créé à l’occasion d’événements porteurs, tisse également sa trame dans le quotidien. Les témoins se sont rencontrés, les expériences se sont racontées, les adresses se sont échangées. Tout cela nourrit une subversion formidablement humaine. Subversion : bouleversement des idées et des valeurs reçues, dit le Petit Robert. Reçues, imposées ? Notre conception des valeurs est plurielle car les opprimé(e)s ne parlent heureusement pas d’une seule voix. C’est pourquoi il est fondamental de mettre en valeur « les autres voix de la planète ». Mais nos idées ne sont pas celles des oppresseurs, la pluralité n’inclut pas la soumission à la parole de ceux qui poursuivent une logique de profit immédiat. Au nom de quoi devrait-on continuer à la subir ?

Les résistances se fortifient également au travers des luttes nationales : il faut porter le coup à sa propre classe capitaliste pour affaiblir l’ensemble. Les grèves françaises de l’automne 1995 ont amorcé un virage politique dont une première (mais non suffisante) manifestation s’est concrétisée lors des élections suivantes. Le mouvement ouvrier organisé lutte pour la réduction généralisée du temps de travail, pour préserver les acquis de la sécurité sociale dans les pays industrialisés et dans les pays de la Périphérie où elle a été conquise (à l’Est comme au Sud).

Des sans papiers de France, d’Espagne et de Belgique, au lieu de subir la clandestinité, interpellent ouvertement le pouvoir pour la régularisation de leur situation.

La mondialisation oblige - dans un sens positif - chaque organisation réellement liée à la défense des intérêts des opprimés à se connecter à l’activité de l’organisation voisine. Comment en effet être efficace sur la défense du droit d’asile si l’on n’a pas une vision d’ensemble de la situation du Tiers Monde ? Comment conserver une conscience de classe et ne pas s’allier à « son » patron pour sauvegarder l’emploi dans « son » usine au détriment des ouvriers du pays voisin si ce n’est en s’ouvrant aux débats planétaires ? Comment une Organisation Non Gouvernementale peut-elle sauvegarder son indépendance si ce n’est en défendant avec d’autres associations, dans son propre pays, les revendications de justice sociale qu’elle prône pour les pays lointains ? Comment marquer des points contre la marginalisation, le chômage si on ne dialogue pas avec le mouvement syndical ?

Beaucoup se plaignent d’avoir affaire à des interlocuteurs de plus en plus évanescents : ce n’est plus le patron local qu’il faut contrer, c’est le conseil d’administration d’une transnationale, c’est le fonds de pension actionnaire principal ; ce n’est plus l’autorité publique nationale dont il faut déjouer les plans, c’est celle d’un conseil de ministres européens ou du G8. La période, c’est sûr, exige une adaptation. Mais la force qui peut être utilisée pour contourner ces soi-disant incontournables est, elle-même, potentiellement décuplée, centuplée. Le tout est d’en avoir conscience, et, surtout, d’avoir la volonté politique de tout mettre en œuvre pour organiser cette force. Il est important de souligner qu’une volonté politique n’implique pas une dictature interne : au contraire, la richesse des mouvements sociaux réside dans leur diversité, leur pluralité. Cette richesse doit être garantie totalement par le respect de la plus grande démocratie entre les composantes du mouvement.

Des obstacles et des nouvelles formes d’organisation

Sur le plan mondial, une crise de représentation du mouvement ouvrier se manifeste par une crise de représentativité des partis de gauche et du mouvement syndical. Ce dernier est de moins en moins à même d’assurer la défense des intérêts des travailleurs et de leurs familles. Sa ligne ne convainc pas non plus les autres mouvements sociaux de se rassembler autour de lui.

Les organisations non gouvernementales, dont certaines, issues de la solidarité avec les luttes d’indépendance et de libération nationale, avaient connu dans les années 1970 une radicalisation à gauche, sont traversées également par des signes manifestes de crise. Un grand nombre d’entre elles sont rentrées dans l’orbite de leur gouvernement et des organismes internationaux (BM, ONU, PNUD).

La crise de représentation se combine à un doute profond sur le projet émancipateur. Le projet socialiste a été fortement discrédité par les expériences bureaucratiques du dit camp socialiste à l’Est et par les compromissions des socialistes occidentaux avec les capitalistes de leur pays.

Dans le même temps, les mobilisations sociales se poursuivent, voire se radicalisent. De nouvelles formes d’organisation et de conscience apparaissent temporairement, sans réussir jusqu’ici à produire un nouveau programme cohérent. Mais on aurait tort de sous-estimer leur potentiel de radicalité. Certes, s’il fallait faire la liste des échecs des mouvements sociaux dans les dernières années, l’addition serait lourde. Mais l’histoire des luttes émancipatrices ne passe pas par une simple comptabilité des échecs et des victoires. La crise que traversent les mouvements sociaux sous leurs différentes formes peut-elle déboucher sur un nouveau cycle d’accumulation positive d’expériences et de conscience ? Les événements des dernières années poussent vers un optimisme prudent et convainquent que l’attentisme, l’attitude de spectateur n’est plus de mise.

Une minorité de décideurs s’acharne à exproprier la personne humaine de ses droits fondamentaux pour la réduire à une « ressource », la société pour la remplacer par le marché, le travail pour restreindre son sens de création de valeur à une marchandise, le social pour prôner l’individualisme, le politique pour confier au capital et à sa course au profit immédiat la tâche de fixer les priorités, la culture pour la transformer en mode de vie « standard », la cité pour en faire le lieu de la non-appartenance. Face à cette expropriation, il est temps pour les millions de personnes et dizaines de milliers d’organisations qui luttent d’apprendre à vivre ensemble en reconnaissant la réelle complémentarité de leurs projets, d’organiser et d’affirmer la mondialisation des forces de (re)construction de notre devenir ensemble, de diffuser la narration solidaire de ce monde. Il est temps de mettre hors des lois du marché le bien commun patrimoine de l’humanité.

Il est temps.

Eric Toussaint

Novembre 2003

Article publié sur le site du CADTM

dimanche 19 janvier 2020

Le marché des émissions carbone pour les nuls

marchecarbone.PNG Cliquer pour voir le reportage de Cash Investigation (2016)

samedi 18 janvier 2020

Il y a 16 ans : "La « realpolitik » du président Lula et les altermondialistes"

Lors du sommet du G8 à Evian (France) début juin 2003, le président brésilien Luiz Inacio Lula Da Silva a rencontré une délégation de représentants des mouvements sociaux et ONG qui composent et animent le dit mouvement altermondialiste. Nous avons recueilli le témoignage d’Eric Toussaint, président du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM).

Eric Toussaint commence d’abord par exprimer différentes critiques sur la politique économique menée par le gouvernement brésilien. Il poursuit l’entretien en expliquant le déroulement de la rencontre et ce qui s’y est dit. Pour terminer, il tire quelques conclusions sur l’évolution ’libérale’ de Lula et plus globalement sur l’Amérique latine.

Contexte : A l’occasion du sommet annuel tenu par le G8 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie, Canada, Russie) à Evian les 1er et 2 juin 2003, plusieurs chefs d’Etat non membres du G8 étaient les invités du président français Jacques Chirac. Celui-ci souhaitait donner l’impression à l’opinion publique internationale que le G8, la France en particulier, souhaitaient dialoguer avec le reste du monde en invitant des chefs d’Etat non membres du G8. Avaient répondu à l’appel le président Lula du Brésil et les chefs d’Etats ou de gouvernement de Chine, d’Inde, du Nigeria, du Sénégal, d’Afrique du Sud, d’Egypte, du Mexique... Fondamentalement, il s’agissait de contribuer à légitimer le G8, club informel des principales puissances mondiales, à un moment où sa crédibilité est au plus bas. Les hôtes du président Chirac se sont réunis à Evian avant le début de la véritable réunion du G8 au moment où plus de 100.000 manifestants défilaient dans les rues de Genève (Suisse) et d’Annemasse sur le thème G8 illégal. Parmi les thèmes principaux : l’annulation de la dette du tiers Monde, l’opposition au militarisme, la lutte contre l’OMC, la solidarité avec le peuple palestinien, l’accès aux médicaments génériques... et l’opposition à la réforme néolibérale du système des pensions et de l’éducation qui mobilise en France des millions de travailleurs.

Hier, tu as eu l’occasion de rencontrer, avec d’autres, un des chefs d’Etat, invité spécial du G8 : le président Lula du Brésil. Peux-tu expliquer le sens de cette rencontre et à travers cela, la politique menée par le président Lula ?

Eric Toussaint : Luis Inacio Lula Da Silva, élu président avec une écrasante majorité des voix en octobre 2002, plus de 65 %, souhaitait voir des représentants des mouvements altermondialistes d’Europe. Nous nous sommes rendus à quatre délégués de ces mouvements, Jacques Nikonoff, Président d’Attac France, Rafaella Bolini, représentant le Forum Social Italien, Helena Tagesson (Suède), de la campagne contre l’OMC et moi-même pour le CADTM. La rencontre a eu lieu à Genève dans la résidence de l’ambassadeur du Brésil.

Avant de nous rendre à cette rencontre, nous avions décidé de dire clairement que nous n’engagions pas le mouvement, nous n’avions aucun mandat donné par d’autres mouvements pour les représenter. Nous ne représentions que nous-mêmes et nous n’avions pas l’intention de nous prêter, par exemple, à un jeu de conférence de presse au cours de laquelle le président du Brésil aurait pu nous utiliser pour avaliser la politique qu’il mène. Nous aurions agi de cette façon avec n’importe quel président mais, ici, en plus, nous nous trouvons dans une situation où, quelques mois à peine après avoir occupé son poste de président, la politique de Lula est manifestement contradictoire avec les attentes de toute une série de mouvements sociaux avec lesquels nous travaillons directement.

Alors c’est quoi, les mesures tout à fait contestables ?

Primo, le président Lula a désigné comme président de la Banque centrale un des gros patrons, Henrique Meirelles, l’ancien président d’une des grosses banques américaines présentes au Brésil, la Fleet Boston. C’est donc clairement un représentant de la classe capitaliste qui est mis à la tête de la Banque centrale et le message est clair : chercher à donner confiance aux marchés financiers. C’est le premier problème.

Deuxième problème, le président Lula est favorable à octroyer l’autonomie à la Banque centrale, c’est-à-dire qu’il prend les mesures souhaitées par les néo-libéraux : c’est ce qu’ils ont fait avec la Banque centrale européenne par rapport à la Commission européenne. Ce qui veut dire que le pouvoir politique abandonne encore un peu plus le contrôle sur un instrument central pour orienter l’économie d’un pays. Quand on ne contrôle pas directement la banque centrale, on ne contrôle pas la monnaie nationale, les taux d’intérêt, etc. C’est quelque chose de très important.

Troisième point contestable dans la politique de Lula : c’est la réforme du système de pension qu’il a entreprise et qui fait très fortement penser à la réforme de Raffarin, combattue par un très large mouvement social avec les grèves que l’on connaît en France. En fait, le président Lula s’en prend au système de pension des travailleurs du secteur public et veut favoriser les fonds de pension privés. Il y a d’autres éléments de sa politique contestables : des hauts taux d’intérêt, le maintien des accords avec le FMI, le remboursement de la dette publique extérieure...

Comment a eu lieu cette visite ?

Eric Toussaint : Etant donné la politique que je viens de décrire, on y allait quasiment avec des semelles de plomb parce qu’on ne voulait pas être utilisés ou piégés. Nous avions donc décidé, dans le cadre d’un accord sur la procédure du déroulement de la séance, que chacun d’entre nous (les quatre délégués), prendrait cinq minutes pour présenter les revendications principales que nos mouvements avancent, comme alternatives à la mondialisation actuelle, et qui concernent directement le Brésil. Voici comment s’est déroulée la rencontre : on a été reçus par le président Lula, accompagné du ministre du Travail et du ministre des Relations extérieures, de plusieurs députés et de deux conseillers proches du président. Le président Lula a présenté pendant une demi-heure la politique de son gouvernement, en défendant les mesures d’austérité qu’il a prises (augmentation des taux d’intérêt, coupes claires dans le budget pour un montant de plus de trois milliards de dollars - 14 milliards de réales) et en disant qu’elles étaient nécessaires pour stabiliser une situation économique très difficile. Il a annoncé que dorénavant, il allait commencer à concrétiser - ça prendra quelques années a-t-il dit - les engagements qu’il a pris auprès du peuple au cours de sa campagne électorale.

Nous avons avancé les choses suivantes. Jacques Nikonoff, président d’Attac France, a dit que son mouvement était tout à fait opposé aux fonds de pension privés et qu’il était très inquiet de voir qu’au Brésil, le gouvernement actuel faisait la promotion de ces fonds de pension.

Deuxièmement, il a redit l’intérêt manifeste du mouvement à ce que le Brésil se prononce clairement pour la taxe Tobin. Il faut savoir que Lula est venu avec une proposition au G8 d’une taxe sur les ventes d’armes pour financer un projet mondial de lutte contre la faim. Chirac, dans une conférence de presse, a dit que la proposition de Lula lui semblait plus opportune que la taxe Tobin et en a profité donc pour attaquer la taxe Tobin. C’étaient les deux éléments centraux avancés par Jacques Nikonoff.

Moi, j’ai avancé pour le CADTM que l’Amérique latine était confrontée, un peu comme dans les années 80, à une hémorragie énorme de richesses qui la quittaient et qui se rendaient vers les créanciers du Nord (plus de 200 milliards de transfert net négatif sur la dette entre 1996 et 2002, l’équivalent de deux plans Marshall. Le Brésil à lui seul a perdu, entre 1997 et 2001, plus de 70 milliards de dollars de transfert net négatif sur la dette, dont 27 milliards aux dépens des finances publiques), essentiellement des banques privées, des marchés financiers, le FMI et la Banque mondiale. J’ai insisté sur le fait qu’il ne fallait pas attendre une crise de paiement, une crise d’insolvabilité, pour prendre des initiatives - d’ailleurs prévues en l’occurrence par la Constitution brésilienne - c’est-à-dire réaliser un audit sur les origines et le contenu exact de la dette extérieure du Brésil, pour déterminer ce qui est légitime et illégitime. C’est prévu par la Constitution de 1988 du Brésil. En 2000, lors d’un plébiscite organisé par le MST, la CUT, la Campagne Jubilé Sud du Brésil, la Conférence Nationale des Evêques (avec le soutien du PT), plus de 90 % des 6 millions de Brésiliens qui ont voté, se sont prononcés pour la suspension du paiement de la dette le temps de réaliser l’audit. Les parlementaires du PT ont déposé un projet de loi dans ce sens. Aucun président jusqu’à aujourd’hui ne l’a réalisé. J’ai dit à Lula : « C’est vraiment l’occasion, puisque vous avez le pouvoir, de lancer l’initiative et ainsi d’avoir les conditions pour suspendre les paiements et épargner l’argent du remboursement de la dette pour de l’investissement social, des transformations, etc. ». Puis j’ai suggéré que le Brésil lance un appel aux autres pays latino-américains pour constituer un front des pays endettés pour le non-paiement.

La troisième intervenante, Helena Tagesson, suédoise, avançait la nécessité d’empêcher qu’à Cancun, en septembre 2003, se concrétisent les accords de l’OMC pris à Doha en novembre 2001 et essayer de paralyser la réunion comme on avait réussi à le faire à Seattle fin novembre 99 - début décembre quand, par la mobilisation et profitant des contradictions entre Europe et Etats-Unis, on a réussi à faire obstacle à une offensive plus forte en matière de libéralisation du commerce. En 2001, l’OMC a pris sa revanche. Elle a réussi à avoir un agenda très néo-libéral avec l’Accord général sur le commerce des services, qui doit être définitivement concrétisé et décidé à Cancun. Donc, elle insistait sur le fait que nous avons quatre mois pour essayer de paralyser Cancun. Elle proposait que le Brésil aille, avec les autres pays du Tiers Monde, dans ce sens-là. Et notamment d’être très attentif à la question de la privatisation de l’eau voulue par l’OMC alors qu’il y a des expériences modèles au Brésil comme à Porto Alegre en ce qui concerne l’exploitation et la distribution d’eau. Expériences modèles qui mourront si jamais on applique l’agenda de Doha à Cancun.

La quatrième intervenante était Rafaella Bolini du Forum Social Italien, elle est une des animatrices du mouvement anti-guerre ; les Italiens ont été extrêmement actifs dans la campagne contre la guerre en Irak. Elle a demandé au Brésil qu’il prenne l’initiative de demander la convocation d’une Assemblée générale de l’ONU, pour provoquer un vote de l’Assemblée générale de condamnation de l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis et leurs alliés. Le Conseil de sécurité de l’ONU vient de voter une résolution le 22 mai qui, en fait, légitime l’occupation militaire de l’Irak par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie. Et on n’a évidemment pas confiance dans le Conseil de Sécurité. Par contre, même si on ne doit pas se faire trop d’illusions, si réellement il y avait un débat à l’Assemblée générale de l’ONU, si les pays pouvaient réellement voter, il pourrait y avoir une majorité contre l’occupation de l’Irak. Cela a eu lieu à plusieurs reprises dans les années 70 et 80. Israël a été condamné plusieurs fois, malgré l’opposition des Etats-Unis, parce que les Etats-Unis étaient en minorité.

Ce que Lula a répondu, c’est qu’il y avait une grande différence entre ce qu’on souhaitait faire et ce qu’on pouvait faire. Tout ça pour dire que nos propositions étaient bien sympathiques mais qu’il ne voyait pas comment les réaliser. Il a justifié clairement sa politique favorable aux fonds de pension privés. Il n’a pas pris d’engagement sur la question de la dette. Il a dit sur la question du commerce, qu’il voulait effectivement limiter la déréglementation et limiter la portée de l’Accord général sur le commerce des services. En ce qui concerne l’Irak, il a dit que, en tant que pays, il s’était clairement opposé à la guerre contre l’Irak. Mais il n’est pas allé plus loin, il n’a pas dit qu’il allait prendre une initiative concernant l’Assemblée de l’ONU.

Voilà un résumé synthétique de ce contact. J’en tire comme conclusion que l’espoir énorme non seulement d’une grande partie des Brésiliens, mais bien au-delà, dans le reste de l’Amérique latine et dans le monde, de voir un gouvernement progressiste appliquer une orientation qui tourne le dos au néo-libéralisme, et bien, cet espoir est manifestement en train d’être fortement déçu. Et autant le dire depuis le début. Sinon, plus dure sera la chute si on se berce d’illusions sur les orientations réelles du gouvernement Lula. Quelque part, ce qui ressort de la situation des derniers mois en Amérique latine, c’est que, alors que de manière très claire, dans plusieurs pays, les gens ont voté sur des programmes de gauche - je pense à Evo Morales en Bolivie, qui a eu un grand succès électoral mais qui n’a pas été élu président. Je pense à Lucio Gutierrez, soutenu par le mouvement indigène, PachaKutik et la CONAIE en Equateur, qui a été élu sur un programme progressiste. Je pense à Lula. Dans les deux derniers cas, ceux de Lula et Gutierrez, ils ont été élus présidents mais ils se sont empressés de faire des concessions aux marchés financiers et de réaliser la continuité du programme néo-libéral des prédécesseurs qu’ils condamnaient dans leur campagne électorale. Et dans le cas de Gutierrez, c’est plus grave parce que lui, en plus, s’est présenté clairement comme le meilleur ami de Bush dans la région et a dit que le président Colombien était son grand ami, tandis qu’il a affiché clairement des distances très nettes à l’égard du président Chavez du Venezuela. , Cela montre que là, il y a un enjeu important pour les mouvements sociaux : la nécessité de maintenir leur indépendance par rapport aux gouvernements. Ce n’est pas parce que des partis qui, en principe, devraient représenter le programme des mouvements sociaux, arrivent au pouvoir, que les mouvements sociaux doivent mettre de l’eau dans leur vin, abandonner leur radicalité et passer à l’attentisme en se disant « on ne va pas mettre des bâtons dans les roues de nos amis politiques au gouvernement ». Au contraire, il faut augmenter la pression sur de tels gouvernements pour qu’ils adoptent un comportement conforme à ce qu’ils ont annoncé et qui leur a permis de recevoir les suffrages populaires

Article paru sur le site du CADTM sous le titre La « realpolitik » du président Lula et les altermondialistes, la version audio est disponible sur le site

Bonus

Lire aussi une interview de Lula par Eric Toussaint datant de... juillet 1991.

mercredi 15 janvier 2020

Il y a 73 ans : La bataille du rail

batailledurail.PNG Cliquer sur l'image pour voir le film

"La haine, la violence et l’irrespect, on a le droit de le faire dans une dictature"

Pendant ce temps, Macron continue son soliloque halluciné. « La haine, la violence et l’irrespect, on a le droit de le faire dans une dictature », phrase tout à fait étonnante en soi, qu’il faudrait soumettre simultanément à des linguistes et des politologues, dont il ne voit pas en tout cas que, projectivement, elle ne parle que de lui, de son gouvernement, de sa police et du régime dans lequel il est en train de nous faire entrer. Avec la démolition pure et simple du langage, le renversement projectif est l’une des propriétés les plus inconscientes et les plus systématiques de la langue macronienne. Dont la vérité d’à peu près tous les énoncés peut être restaurée par la simple opération de la mise sens dessus dessous. Ainsi l’obsession pour les « radicalisés » et la « radicalisation » est-elle le reflet inversé d’un bloc de pouvoir qui, depuis ses sommets gouvernementaux jusqu’à ses trolls, a franchi tous les caps de la radicalisation — dont la rage à imposer au corps social qui n’en veut pas une réforme entièrement taillée d’après les intérêts de la finance n’est jamais que la dernière illustration.

De même la fixation sur le terrorisme externe est-elle devenue l’opportunité d’un terrorisme interne — d’État. Un ancien de la préfectorale, ayant eu à connaître des opérations de maintien de l’ordre, était dans la rue le 9 janvier ; interrogé par Arrêt sur images, c’est lui qui, entre autres sauvageries, a filmé le tir de LBD à bout portant. On n’a pas exactement affaire à un ennemi des institutions. Qui n’en raconte pas moins que, traumatisé par ce qu’il a vu, il doit s’asseoir en pleurs sur le trottoir. Puis livre le fin mot de l’affaire : « Le but était de terroriser ». Terrorisme extérieur, terrorisme intérieur…

C’est qu’à un moment, il faut bien prendre les mots au sérieux, et les décoller de leurs usages habituels où les pouvoirs aiment les enfermer. « Sont interdits les actes ou les menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi les populations civiles », indiquent à propos du terrorisme les protocoles additionnels de la Convention de Genève. On cherche ce qui dans l’entreprise systématique menée à grande échelle par la police et le gouvernement, entreprise d’intimidation, d’effroi et de découragement par la menace physique de l’exercice normal des droits politiques fondamentaux ne tombe pas sous cette définition. Et pour tout dire, on ne trouve pas. Qui sont les radicalisés ? Qui sont les criminels ? Qui sont ceux qui terrorisent ?

Et qui est légitime ?

Lire l'intégralité du texte de Frédéric Lordon, paru sur son blog, sous le titre Quelle « violence légitime » ?

PS (sic)

L'intégralité de ce texte, aux habituelles belles envolées, continue de souffrir d'un optimisme de puceau. Car, dame, ce qui arrive en France, n'est jamais que ce qui est arrivé en Grèce, en Espagne, et avant, nous en étions, à Gênes... Et de la délégitimation de gouvernements matraquant leur néo-libéralisme aux ordres des "maîtres du monde", rien n'est sorti que la défaite des peuples... Sauf peut-être au Royaume-uni, ou, au moins un débouché, certes ambigu, est advenu. Il s'appelle le Brexit. Pendant plusieurs années, le gouvernement a été paralysé, au point de subir camouflet sur camouflet d'un Parlement, certes opportuniste et bien peu représentatif, mais qui, avec toute l'irrationalité que cela suppose, est redevenu, temporairement, un Parlement (du pays qui l'a inventé, on n'en attendait pas moins.) En refusant désormais mordicus, obéissant aux consignes de son parti (qui n'en est pas un, c'est si pratique !), aux pieds duquel il jeta son capital symbolique lors de la dernière élection présidentielle, sans contre-partie[1], et alors qu'il n'en pensait pas moins et avait courageusement mené la lutte, son Mordicus refus disions-nous donc, d'appeler un chat un chat, c'est à dire un nécessaire Frexit, un nécessaire Frexit[2] (qui ne peut être que : et de gauche et de droite - sur un plan 'sociétal", comme on dit maintenant, car sur le plan des rapports de production, il y a une gauche qui s'ignore...- comme la victoire au référendum de 2005, comme la victoire du Brexit...), Frédéric Lordon continue à porter un discours "Corbynesque" (et on peut en dire autant de François Ruffin), voué à l'échec, l'Histoire vient de le démontrer, et ce n'était point une surprise, pensant, semble-t-il que, voler de défaite en défaite mène irrésistiblement à la victoire téléologique... Il faut vraiment être fonctionnaire à l'EHESS pour avoir le temps... Car oui, à chaque défaite des gens meurent, et plus efficacement par charrettes de déciles de classe que sous les Flash-Balls...

A bons entendeurs,

Le Concierge (pour un temps, toujours vivant... Et c'est pas du Renaud !)

Notes

[1] Nous persistons et signons, ne serait-ce que promettre un référendum sur le Frexit à la présidentielle aurait mené Mélenchon au 2eme tour. Au lieu de ça, on dragua les Hamonistes d'un jour, Macronistes le lendemain, Jadotistes le surlendemain, sous prétexte que "l'élection présidentielle se joue au centre"!!! Ouaf et Snif...

[2] Qui foutrait le "joyeux bordel", institutionnel, dont nous avons grand besoin

lundi 13 janvier 2020

Macron vendu à la finance vend le peuple de France à la finance

Economiste, directrice générale du BlackRock Investment Institute, le centre de recherche de la plus grosse société de gestion d'actifs mondiale, Isabelle Mateos y Lago est énarque, inspectrice des Finances. Elle a débuté sa carrière au ministère de l'Economie avant de rejoindre le Fonds monétaire international, puis BlackRock en janvier 2015. Elle est basée à Londres. Chez BlackRock, elle conseille le vice-président Philip Hildebrand et les équipes sur les grandes orientations macro-économiques et leurs implications en matière d'investissements. Interview.

Depuis Londres, où vous êtes économiste pour l’institut de recherche de BlackRock, l’une des plus grosses sociétés de gestion de fonds au monde, quelles sont vos premières impressions sur les 100 premiers jours d’Emmanuel Macron ?

Il faut souligner un élément de contexte important. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, l’économie française comme l’économie européenne ont continué à surprendre de manière positive. Le contexte est porteur. Cela permet une certaine indulgence vis-à-vis des détails et des hoquets du processus de décision du président.

Quels sont les points positifs à souligner dans ces 100 premiers jours ?

Le président et le gouvernement sont en contrôle de la situation. Dans ce début de quinquennat, il y a eu de mauvaises surprises : celle qui a conduit au départ du gouvernement de François Bayrou, par exemple, ou les accrocs autour du budget de l’armée. Le président a su réagir et montrer qu’il contrôlait la situation, qu’il savait gérer les crises. C’est positif.

Car une question importante se pose : sera-t-il capable de mener la réforme du marché du travail sans mettre tout le monde dans la rue ? Pour l’instant les signes sont encourageants. Les débats parlementaires sur la loi d’habilitation à réformer par ordonnance se sont passés de façon constructive. Il a accepté des amendements et le texte a obtenu une vraie majorité, pas ric-rac. Certes, en matière sociale, le diable est dans le détail de la rédaction des textes mais pour l’instant tout se passe paisiblement et sans à-coups.

Si le président Macron et Edouard Philippe sont capables de faire sauter le blocage sur le marché du travail, ce sera un signal fort. Cela montrera que le jeu a changé et que la France est prête à accepter des réformes positives pour son économie.

Le deuxième test pour les économistes, les finances publiques, donne aussi une impression plutôt positive.

Il a décidé de tenir les 3% de déficits dès cette année. Il aurait pu repousser d’un an, les marchés financiers n’étaient pas inquiets compte tenu du niveau actuel des taux d’intérêt et de la politique de la Banque centrale européenne. L’autre option pouvait donc être défendue. En revanche, il fallait qu’il donne un signe fort que la réduction des déficits se ferait à travers la baisse des dépenses publiques. C’est ce qu’il a fait en ouvrant le débat sur les APL. Il montre qu’il peut faire ce que la France n’a jamais réussi à faire. Ça aussi, c’est très positif. La France reste hors norme par le poids de sa dépense publique dans le PIB. Le chemin à parcourir est long dans ce domaine. Nous allons regarder de très près la programmation pluriannuelle qu’il propose.

Sur un plan plus politique, il était important de s’engager à tenir les 3% pour pouvoir espérer ouvrir les discussions avec l’Allemagne sur l’avenir de l’Europe et la réforme de la zone euro. C’était important que la France démontre avant les élections de septembre en Allemagne, qu’elle est un partenaire sérieux. Son choix de tenir les 3% est donc une bonne nouvelle de ce point de vue.

Et les points négatifs ?

La décision de bloquer la prise de contrôle des chantiers navals de Saint-Nazaire par une société italienne peut en être un. Cela a été très bien reçu en France, mais à l’étranger, c’est perçu comme un geste étatiste, anti-européen, anti-marché. Je note toutefois que ça n’a guère suscité qu’un froncement de sourcil chez les économistes et les investisseurs, grâce aux bonnes surprises sur l’état de l’économie française.

Les marchés financiers regardent aussi de près l’opinion française et peuvent s’inquiéter de la baisse de popularité du président : est-ce que cela pourrait affecter sa capacité ou sa volonté de réformer ? Mais pour l’instant, ce point est compensé par le fait que les indicateurs de confiance des consommateurs et des chefs d’entreprises sont, eux, en amélioration, ce qui monte que l’économie est sur le bon chemin.

Qu’attendez-vous d’Emmanuel Macron à la rentrée ?

Outre la mise en place effective d’une vraie réforme du marché du travail, J’attends qu’il montre sa capacité à faire des coupes intelligentes et durables dans les dépenses publiques. Je me demande aussi si les entreprises vont bénéficier de baisses d’impôts à terme. C’est important pour les investisseurs en actions. D’autant que la Belgique vient d’annoncer une baisse de son taux d’impôt sur les sociétés, ce qui montre que la concurrence fiscale n’est pas terminée en Europe. La France ne peut pas l’ignorer. La mise en œuvre de tout ce qui a été promis aux entreprises sera très observée.

Votre note ?

8/10. Continuez comme ça.

Propos recueillis par Sophie Fay

Paru dans l'Obs, le 9 août 2017.

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Pour les vautours, il est moins 5 avant la fin de la retraite par répartition

dimanche 12 janvier 2020

LE CONFLIT MAJEUR DERRIÈRE LES RETRAITES

fildacturetraites.PNG Cliquer sur l'image pour voir le n° du fil d'actu

Les jours heureux

joursheureux.PNG Pour voir le film de Gilles Perret sur le Conseil National de la Résistance, cliquer sur l'image via les-crises

s : l’avis de François Asselineau

asselinauretraites.PNG Le Musée n'ayant trouvé aucun équivalent dans aucun parti "de gauche" (sans parler d'une sinistre soirée sur une radio libertaire à la veille de Noël - "qui est de la merde et qu'on ne va pas célébrer ! On mange des huîtres et vous emmerde", signé les Libertariens qu'ont pas les moyens), aux ordres du Conservateur (granitique) en chef, il est scientifiquement obligé d'admettre cette pièce ouvertement dans ses collections... Cliquer sur l'image pour voir la vidéo

mercredi 1 janvier 2020

Retraites : bacchanale à l'Elysée

atserixhelvetes.jpg Extrait de "Asterix chez les Helvètes"

Retraites. Le patron du fonds BlackRock France élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur

Parmi les 487 personnes figurant dans la promotion civile de la Légion d’honneur du 1er janvier 2020, un nom fait tiquer. En plein conflit sur la réforme des retraites, Jean-François Cirelli, président du fonds BlackRock France, est élevé au grade d’officier.

Chaque année, au 1er janvier, la promotion civile de la Légion d’honneur distingue des personnes "illustres ou inconnues" en les nommant chevalier ou en élevant leur grade. La présence sur la liste d’un dirigeant de l’un des principaux fonds de pension, en plein conflit sur la réforme des retraites, fait tiquer.

La promotion du Nouvel an 2020 distingue des personnalités comme Jeanne Balibar, Gilbert Montagné ou encore le prix Nobel Gérard Mourou.

Parmi les 487 personnes de la liste, un nom provoque des remous. Il s’agit de Jean-François Cirelli, chevalier depuis 2006 et élevé officier de la Légion d’honneur, par le Premier ministre Édouard Philippe. Présenté comme "président d’une société de gestion d’actifs", anciennement président de Gaz de France, il est actuellement le dirigeant du fonds BlackRock France.

Soupçons de collusion

BlackRock est le premier gestionnaire d’actifs au monde, il gère l’équivalent de 6 300 milliards d’euros et finance la plupart des fonds de pension.

Dans le conflit sur la réforme des retraites, les contacts réguliers entre le fonds BlackRock et l’exécutif français ont alimenté des soupçons de collusion. Jean-François Cirelli avait rencontré Emmanuel Macron le 10 juillet 2019, avec d’autres gestionnaires d’actifs, lors d’une réunion destinée à inciter les fonds d’investissements à financer la lutte contre le réchauffement climatique.

Olivier Marleix, député LR d’Eure-et-Loir, aurait souhaité que BlackRock déclare ses « actions de lobbying » à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Il avait ainsi interpellé Jean-Paul Delevoye à l’Assemblée avant sa démission du gouvernement : "Si votre réforme va à son terme, les affaires de BlackRock prendront donc un formidable essor en France".

La promotion de Jean-François Cirelli au grade d’officier de la Légion d’honneur ne va pas contribuer à rassurer les opposants à la réforme des retraites.

Source: Ouest-France

Lire aussi : Comment Macron offre les retraites aux financiers les plus rapaces

vendredi 27 décembre 2019

Il y a quatre ans : Luttez, Résistez, Ne Râlez pas - Au bout du chemin c'est la Junte !

lesieur.jpg Ceci est un message personnel, mais qui s'adresse à tous les anars de papier (faciles à reconnaître, sortir la poubelle est hors de leur disquette) Le Concierge

A lire dans les collections du Musée de l'Europe...

Luttez, Résistez, Ne Râlez pas - Au bout du chemin c'est la Junte

mercredi 25 décembre 2019

"Alors nous regardons Julien Assange..."

Alors nous regardons Julian Assange. Et c'est toujours aussi horrible, intolérable. Il apparaît très maigri, plus que le 18 novembre et le 21 octobre. Il porte le même pull bleu pâle délavé et le pantalon gris du 11 octobre. Il paraît aussi émacié que sur la vidéo fuitée de mai, mais il a la barbe plus courte et ses cheveux tirés en arrière comme en novembre. Ce qui frappe, ce sont ses yeux qui paraissent très sombres, enfoncés dans les orbites, cernés de noir. Il reste prostré, recroquevillé sur lui-même, les mains jointes. On ne voit pas où son regard se pose car sa tête est baissée. Il est absent, comme déjà dans un autre monde, les épaules affaissées sur lesquelles flotte le pull. Il a froid visiblement, croise ses mains sous les aisselles comme le 11 octobre, puis les cache dans ses manches. On voudrait l’aider mais on ne peut pas. C’est horrible et ça dure. Juste à un moment il s’anime, se frotte les yeux, prend son visage entre ses mains. Je distingue bien ses mains, pas de bandages apparents, mais un fin bracelet sur son poignet gauche, comme une montre, ou comme le bracelet d’identification en plastique qu’on vous met à l’hôpital. On attend en vain qu’il nous fasse signe. On n’arrive pas à croire que personne ne lui a expliqué que nous sommes là, que la salle du public est pleine, qu’il y a réellement des personnes au monde qui souhaitent sa liberté et son bonheur, citoyens et citoyennes lambda, militants pour la justice… Il ne nous voit pas, d’accord, mais il sait qu’il va comparaître, ses avocats ne lui ont-ils pas raconté comment cela se passe, de ce côté de la caméra, 181 Marylebone Road ? Visiblement non. Alors il pense qu’il est tout seul, qu’il n’y a plus d’espoir et c’est cela le but de la manœuvre perverse. Lui faire croire qu’il n’est rien pour personne et nous convaincre que nous n’arriverons jamais à le convaincre du contraire, puisque la prison ne lui livre pas nos lettres et nos colis et nous refuse de lui rendre visite. On se croirait de retour à l’ancien Régime, en train d’assister au supplice futur du déjà condamné après la question. Justement. L’inquiétant est que Julian Assange a l’attitude d’un homme au cours d’un interrogatoire, celle que montrait une des vidéos fuitées enregistrées par le « spanish office » travaillant pour Raphael Correa mais en réalité pour la CIA. Et pendant toute l’audience Gareth Peirce ne le regardera pas, ne le saluera pas, ne lui parlera pas et lui ne lui parlera pas non plus.

Lire l'article de Monika Karbowska, paru sur le site de la Librairie Tropiques

Les vacances de Monsieur Macron

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Les Macrons n'utilisant pas les transports publics, seulement les régimes de transport spéciaux dispendieux mis à leur service par la République et le contribuable, les Louis XVI et Marie-Antoinette de ce siècle partent tranquillement en vacances, tout en bloquant totalement le pays (qu'il a mandat des milliardaires qu'ils l'ont fait élire, après avoir acheté toute la presse, de détruire en le vendant par appartements) en imposant des mesures de destruction de l'Etat social que nous devons à la Résistance, dont personne ne veut.

Ces Thatchers aux petits pieds feraient bien de se souvenir que Thatcher, elle, ne menait pas le combat néolibéral en dilettante en le croyant gagné d'avance... Elle disait certes que "la société n'existe pas", mais celle qu'elle voulait détruire, elle savait bien qu'elle existait... La différence avec Macron est que lui ignore que la société existe (c'est ce qui arrive quand on est resté ad vitam eternam dans les jupes de sa prof...). Plus dure sera la chute...

Le Concierge

Bonus !

Macron n'a pas besoin de retraite, il est plein aux as !

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Au passage, il se torche le cul avec la Loi comme avec la Constitution...

Aux armes citoyens ?

Voir l’œuvre picturale digne de Michel Angel consacrée par V. Yukov à cette allégorie du renoncement.

Le Concierge

Macron annonce « la fin » du Franc CFA : réaction de François Asselineau

asselineauCFA.PNG cliquer sur l'image pour voir la vidéo

Rappel (Note du Concierge):

Dans le cadre de la mise en place de l'euro, le CFA avait été dévalué unilatéralement par le France. Un étudiant en sociologie de l'Université de Ougadougou en avait fait le bilan :

Un autre étudiant burkinabè a travaillé sur une autre crise, celle consécutive à la dévaluation par la France du CFA. Il s’est intéressé à l’évolution qui s’en est suivie des dépenses des ménages dans la ville de Ouagadougou. C’est un travail qu’il a fait avec de petits moyens, en administrant un questionnaire à 80 personnes, mais il n’oublie pas lui non plus pourquoi il travaille. Il ne travaille pas pour proposer une solution et devenir un expert au service de la prochaine réforme du capitalisme et il note dans sa conclusion: «mais derrière la froideur des statistiques et l’espèce d’accoutumance qui semble s’y faire, c’est un véritable désastre humain qui est vécu par certaines populations. Avec son lot d’épisodes parfois insoutenables, comme celui de ce père de famille qui s’est pendu haut et cours dans le mois de mars 2001, dans une de nos provinces, pour ne pas assister impuissant à l’extermination de sa famille par la famine.” Voilà des choses qui sont dans les mémoires soutenus à l’Institut de sociologie de Ouagadougou et qui sont de véritables paroles de sans-voix. Un institut très pauvre en livres, mais très riche en travaux.''

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