Si les conseils de prud’hommes sont tant décriés, c’est parce qu’ils sont des lieux de démocratie, les seules instances françaises où les juges sont élus (par départements), ce qui leur confère une légitimité forte. Ils élisent les instances dirigeantes du conseil. Les représentants des travailleurs se présentent sur des listes syndicales soumises au vote des salariés et des demandeurs d’emploi, y compris étrangers (communautaires et non communautaires) ; ceux du patronat sont élus par le collège des employeurs, des associés en nom collectif et des cadres dirigeants d’entreprise. Les juges bénéficient au sein de leur syndicat d’une formation solide — quasiment la dernière école ouvrière.

C’est tout cela que patronat et gouvernement veulent remettre en question. Elus en 2008, les juges devaient être renouvelés en 2013. Leur mandat a été prolongé de deux ans une première fois, puis une seconde, avant que la majorité de gauche au Parlement ne supprime carrément ce scrutin (loi du 18 décembre 2014). Motifs ? La faible participation au vote (25,4% en 2008 ; 63% en 1979) et le coût de son organisation. Les juges actuels seront donc restés à leur poste neuf ans, et ceux qui l’ont quitté — qu’ils soient décédés ou qu’ils se soient découragés — n’ont pas tous été remplacés, ce qui augmente la charge de travail des autres. En 2017, les juges seront désignés selon la représentativité des syndicats à l’échelle nationale ; les privés d’emploi n’auront plus voix au chapitre.

Magistrats non professionnels, certes, mais « professionnels magistrats », selon l’expression du juge Albert Delattre, les 14 616 juges prud’homaux sont appelés à concilier ou à examiner des litiges résultant de l’exécution du contrat de travail de droit privé. Ils peuvent exercer le métier de cariste, d’informaticien ou de conducteur de train, être ouvriers en usine ou militants syndicaux de base. Contrairement à ce que l’on peut croire, la condamnation d’une entreprise est décidée avec l’accord d’au moins un juge du collège employeur, voire deux. Soixante et onze pour cent des affaires aboutissent à un jugement en faveur du salarié, jugement le plus souvent confirmé en appel, avec parfois une condamnation aggravée de l’employeur. Une « machine à perdre », estiment d’éminents membres du Mouvement des entreprises de France (Medef).

Lire l'article d'Hélène-Yvonne Meynaud paru dans Le Monde Diplomatique de mars 2016