Musée de l'Europe et de l'Afrique

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samedi 16 février 2019

Il fait beau comme jamais

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Hélène Laetitia Bertrand et Isi Fiszman, témoins de Mariage d'Art et Entreprise

Le Père et la Mère des Arts nous ont quittés à quelques semaines d'intervalle. Nous sommes emplis de leurs esprits.

Il fait beau comme Jamais

Un temps à rire et courir

Un temps à ne pas mourir

Un temps à craindre le pire

Il fait beau comme jamais

(Louis Aragon)

lundi 11 février 2019

L’opposition grandit contre le train des riches Charle-de-Gaulle Express

Le gouvernement a confirmé cette semaine la réalisation du CDG Express. Cette navette rapide entre l’aéroport de Roissy et Paris est destinée aux touristes et voyageurs d’affaires. Mais les usagers du RER B craignent que cela dégrade encore le service sur cette ligne sur-fréquentée.

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Le projet de ligne directe entre Roissy et Paris permettrait, pour un prix annoncé de 24 euros par trajet, de franchir les 32 kilomètres entre l’aéroport et la gare de l’Est en seulement 20 minutes, à raison d’un train tous les quarts d’heure. Il s’adresse aux touristes et voyageurs d’affaire. Il est présenté par Aéroports de Paris (ADP) comme une « absolue nécessité » dans un contexte de croissance du nombre de voyageurs aériens, de saturation des routes entre l’aéroport et la capitale, de coexistence difficile des touristes et des voyageurs quotidiens dans le RER B et enfin de l’accueil des Jeux Olympiques en 2024. Le coût des travaux est estimé à 2,1 milliards d’euros. La gestion des voies pourrait être confiée à parts égales à ADP, à SNCF Réseau et à la Caisse des Dépôts. L’exploitation irait au Groupement Keolis-RATP Dev.

Le CDG Express va nécessiter la construction de 8 km de voies nouvelles, et partagera pour le reste (24 km) ses voies avec la ligne K du transilien, qui sont aussi celles utilisées par les TER Paris-Laon et sont parallèles à celles du RER B. « Cela fait des années qu’on demande l’élargissement du tunnel du RER B à Châtelet, ce qui améliorerait grandement le trafic, et qu’on nous répond que cela coûterait 1 milliard d’euros donc trop cher. Et là ça va coûter le double ! » dit Didier Le Reste, président de l’association Non au CDG Express. « Le Charles-de-Gaulle express n’aura que 17.000 utopiques usagers quotidiens quand le RER B en a 900.000 ! » renchérit Charlotte Blandiot-Faride.

Lire l'article de Marie Astier paru sous ce titre sur le site de Reporterre

La fusion Alstom-Siemens ou l'échec de l'UE

asselineaualsthom.PNG Cliquer sur l'image pour voir une vidéo fasciste...

dimanche 10 février 2019

Il y a trois ans : Lettre ouverte à Madame La Députée Cécile Duflot

Le Musée de l'Europe a pris connaissance du témoignage de Madame Cécile Duflot lors du procès en diffamation intenté par Denis Baupin. Il a été particulièrement choqué du harcèlement exercé par ce prédateur sur une femme allaitante. Le début de la civilisation (que nous daterons du néolithique et donc du début de la possibilité d'accumuler quelque chose, d'en spolier les autres, et donc d'exercer un pouvoir appelé au fil des millénaires à devenir conséquent, car on peut présumer qu'au Paléolithique, un certain nombre de choses allassent de soi par la force des choses, sinon nous ne serions pas là pour affronter ces problèmes) repose par nécessité bien ordonnée sur la protection des femmes qui biologiquement portent les enfants et les allaitent et se trouvent par ce fait temporairement particulièrement et régulièrement vulnérables, sauf législation sociale de haut niveau apparue en 1945 et perfectionnée depuis, perfectionnable, mais aussi susceptible de régressions rapides .

Pour autant, après relecture, nous maintenons et signons les différents textes du Concierge adressés à Mme Duflot. D'autant plus que l'interview de Mme Duflot par Médiapart mise en cause dans le billet ci-dessous, prend une autre lumière, puisque Mme Duflot se posant en soutien des femmes de son parti, ne disait pour autant pas tout ce qu'elle révèle aujourd'hui. Qu'elle briguât quelques mois plus tard l'investiture de son parti pour la Présidentielle y fût-il pour quelque chose ? Au bout d'un moment, il faut que chacun-e sache ce que signifie briguer des postes politiques, et ce que l'on doit donc y sacrifier dans le même temps qu'on en fait profession de foi. C'est une leçon d'éducation populaire...

Car il est avéré désormais que la couverture de ces actes ignominieux relève d'un mélange indémêlable de domination masculine et de gestion de carrière d'une femme de pouvoir.

Les intersectionnalistes voudront bien nous éclairer sur la part qui revient à la première cause (victime) et sur celle qui revient à l'autre (bourreau).

Le Concierge

Lettre ouverte à Madame La Députée Cécile Duflot

Madame La Députée,

Mediapart a consacré une soirée à l’adoption en première lecture de la loi El-Khomri par le 49.3 ET aux scandales de violences sexuelles à l’Assemblée Nationale, deuxième partie qui aura concentré les 2/3 de l’ordre du jour de cette soirée.

Vous étiez l’invitée d’une heure d’émission.

Le jour-même, vous vous étiez abstenue de voter la motion de censure déposée par la droite contre la loi El Khomri après avoir signé une motion de censure « de gauche ». Le Musée de l’Europe & de l’Afrique vous avait adressé une adresse, en vérité un supplique, ainsi qu’à tous vos collègues signataires. Votre secrétariat n'a pas daigné nous répondre.

En ce jour l’animatrice de Mediapart ne vous a pas posé la question de votre absence de vote de la motion de censure.

Or, au-cours de cette soirée Médiapart, le profane a appris beaucoup de choses.

1) L’Assemblée Nationale est une zone de non-droit du point de vue du code du travail. Et permet donc toute forme de harcèlement, et toute forme d’agression y compris sexuelle, et particulièrement non pas tant des Députées, mais des collaboratrices (et certainement plus marginalement des collaborateurs.)

2) Moins l’arbitraire patronal est contrôlé par la loi, plus le harcèlement et l’agression sexuels sont répandus. En des temps que les moins de 80 ans ne peuvent pas connaître, on appelait cela « droit de cuissage ». Et tout le monde savait qu’il s’agissait là non d’une anormalité, mais de la normalité.

À aucun moment vous n’avez fait le lien entre le code du travail et les agressions sexuelles (dont vous avez plus ou moins avoué avoir eu connaissance en tant que patronne du Parti.)

Ni avec votre refus de voter la censure du gouvernement, seul moyen d’empêcher l’adoption de cette loi scélérate.

Ces deux attitudes sont intrinsèquement liées.

En refusant de voter la censure permettant l’adoption en première lecture de la loi El Khomri, vous avez livré des millions de femmes de ce pays (mais aussi de nombreux hommes) au renforcement de l'arbitraire et donc de ces ignominies.

Au même titre que tous vos collègues hypocrites signataires de la motion de censure « de gauche » qui n’ont pas voté la motion de censure de droite, le Musée de l’Europe & de l’Afrique, Madame la Députée, vous conchie.

Vous ne nous représentez pas.

En son nom propre, le Musée de l'Europe & de l'Afrique militera contre tout mandat que vous prétendriez solliciter à l'avenir. En son nom propre, c'est à dire ni au nom de la population de ce pays que vous êtes sensée représenter et encore moins au nom des femmes au nom desquelles vous prétendez régulièrement parler.

Fait à Argein, le 13 mai 2016.

Pour le Musée de l'Europe & de l'Afrique et la Commission des Châtiments Corporels

Le Concierge

Première parution : Lettre ouverte à Madame La Députée Cécile Duflot

samedi 26 janvier 2019

Que dit le Code électoral ?

Rappelons tout d’abord que la loi du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen rétablit une circonscription électorale unique sur l’ensemble du territoire. Ce sera donc un scrutin de liste, le nombre de postes à pourvoir étant de 79. Le plafond des dépenses électorales est de 9 200 000 €.

Rappelons ensuite que les lois de 1988 de 1990 qui ont organisé le financement public de la vie politique, suivies par d’autres textes et une jurisprudence abondante, ont posé trois principes. Une dotation financière par l’État en fonction des résultats électoraux, la limitation des dépenses en période électorale, et le contrôle par une Commission Nationale. Concernant les sommes données aux partis ou aux candidats à des élections, il est possible d’ajouter à la dotation d’État. Mais ces dons sont réglementés et limités de façon stricte. Les dons des personnes morales sont interdits, et autorisés les apports en numéraire, où services directs ou indirects dont la valeur doit être calculée et intégrée aux comptes de campagne. La jurisprudence recèle quantité d’histoires de ce genre, et dans une année d’élections municipales, les services de communication des communes se gardent bien de mettre le maire sortant en avant, que ce soit en utilisant son nom ou en affichant une photo… gare au couperet. Le juge est donc vigilant sur ces apports extérieurs qui se rattachent manifestement à de la propagande électorale surtout que le législateur a fixé une période de six mois pendant laquelle la surveillance est renforcée.

Nous sommes à quatre mois de l’échéance européenne, la mise en scène et les propos tenus le démontrent, les shows Macron sont incontestablement des meetings électoraux.

Un « Macron tour », deux gros problèmes

Nous sommes par conséquent confrontés à deux problèmes. Le premier est le coût de ces 12 meetings qui devra inéluctablement être réintégré aux comptes de campagne de la liste LREM. Compte tenu des moyens mis en œuvre par l’État, déplacement des personnalités, mise des villes accueil en état de siège, mobilisation de forces de sécurité considérables, les sommes sont probablement exorbitantes. On rappellera brièvement la mésaventure de Nicolas Sarkozy en 2012. Profitant d’un déplacement officiel à Toulon du président sortant, il avait tenu le soir un meeting. Le coût de l’ensemble avait été réparti à 30 % pour le compte de campagne et 70 % pour l’État. La Commission Nationale suivie par le Conseil Constitutionnel de Jean-Louis Debré inversa d’autorité les proportions ce qui permit ainsi de dépasser le plafond légal et de rejeter le compte. Sanction 300 000 € d’amende et non remboursement par l’État de 11 millions d’euros de frais de campagne.

Mais ce n’est pas tout, et c’est le second problème, la simple lecture de l’article L 52–8 du code électoral démontre que les avantages en nature apportés à la liste LREM sont des dons interdits de personne morale, et l’État en est une. À l’évidence le « Macron tour », tournée électorale en vue des élections européennes, a ce caractère de dons interdits et impose le rejet du compte, son montant fut-il inférieur au plafond légal.

On peut donc affirmer que d’ores et déjà, la régularité juridique des élections européennes est lourdement obérée.

Extrait de l'article de Régis de Castelnau paru sous le titre "Grand débat : le « Macron tour » est illégal" sur son blog Vu du Droit

mardi 11 décembre 2018

Gilets jaunes : « Macron a les pieds et les poings liés par l'Union européenne »

lesoirUE.PNG CQFD ! La publication de cet article par Le Soir de Bruxelles à peine le discours de Macron achevé appelait irrépressiblement le Musée de l'Europe à inciter à la lecture de cet article de Coralie Delaume... (Le Concierge)

Les traités européens sont la «constitution économique» de l'Europe. Leur position de surplomb explique pourquoi la politique économique menée en France est la même depuis le milieu des années 1980, bien que se succèdent à la tête de l'État des hommes d'obédiences différentes. C'est «l'alternance unique» selon la formule de Jean-Claude Michéa, le pareil qui succède au même tout en se donnant les apparences du changement. En Union européenne, on a beau voter cela ne change rien.

smic.PNG Cette annonce a donc logiquement déjà été validée dans le cadre du semestre européen

C'est pourquoi l'ancienne Commissaire Viviane Reding pouvait par exemple affirmer: «il faut lentement mais sûrement comprendre qu'il n'y a plus de politiques intérieures nationales».

Les gouvernements des pays membres ne disposent que d'un très petit nombre d'instruments de politique économique. Aucune politique industrielle volontariste ne leur est possible puisque les traités interdisent de «fausser la concurrence» par le biais d'interventions étatiques. Aucune politique commerciale protectrice ne leur est possible puisque la politique commerciale est une «compétence exclusive» de l'Union. Aucune politique de change n'est possible puisque dans le cadre de l'euro, les pays ne peuvent dévaluer. Aucune politique monétaire n'est possible puisque c'est la Banque centrale européenne qui la conduit. Enfin, aucune politique budgétaire n'est possible puisque les pays qui ont adopté la monnaie unique sont soumis à des «critères de convergence», notamment la fameuse règle - arbitraire - des 3 % de déficit public. En outre, depuis 2010 et dans le cadre d'un calendrier appelé «Semestre européen», la Commission encadre méticuleusement l'élaboration des budgets nationaux.

Dans ces conditions, ne restent aux gouvernants nationaux que deux outils disponibles: la fiscalité et le «coût du travail».

Quant à la fiscalité, ils choisissent généralement de diminuer celle qui pèse sur le capital délocalisable et d'augmenter celle qui pèse sur les classes sociales qui ne peuvent échapper à l'impôt. En 1986 a été posé le principe de «libre circulation des capitaux» au sein du Marché unique. Depuis lors, le capital peut exercer sur chaque États un véritable chantage en menaçant de fuir vers les États voisins. Les pays membres se livrent une concurrence fiscale effrénée, certains (Luxembourg, Irlande) s'étant même constitués paradis fiscaux et vivant des possibilités d'évitement fiscal qu'ils proposent aux multinationales.

Les revenus et le droit du travail sont l'une des cibles privilégiées de l'échelon supranational.

Quant aux revenus (et au droit) du travail, ils sont l'une des cibles privilégiées de l'échelon supranational. Il suffit, pour s'en apercevoir, de lire les documents de cadrage incessamment produits par la Commission européenne, des «lignes directrices pour l'emploi» à «l'examen annuel de croissance» en passant par les «recommandations du Conseil» rédigées chaque année dans le cadre du Semestre européen. Toutes les réformes du droit du travail ayant été mises en œuvre dans les pays membres, du Jobs act en Italie à la loi El Khomri en France, ont été prescrites dans l'un ou l'autre de ces épais documents.

Lire l'article de Coralie Delaume paru sur le site du Figaro

lundi 26 novembre 2018

Il y a 5 ans : "Il ne s’est (presque) rien passé à Gênes en 2001"

A partir de 1995, un mouvement montant en puissance contre la mondialisation économique, dont nous vivons aujourd'hui tous les effets destructeurs tant au niveau social qu'écologique, prit de l'ampleur au point d'inquiéter les tenants de l'ordre qui se mettait en place. Il fut arrêté à Gênes, lors de manifestations contre le G8 qui s'y tenait en 2001 par un déchainement de violence policiero-militaire s'en prenant prioritairement aux militants les plus pacifistes et les moins aguerris. Il faut dire qu'on y trouvait pêle-mêle syndicalistes, communistes, catholiques, anarchistes et gens ordinaires, un véritable cauchemar pour les Maîtres du Monde et leurs commis... La répression aveugle fut telle qu'elle passa l'envie au plus grand nombre de retourner se faire massacrer. Ce qui est arrivé depuis en découle directement. Cerise sur le gâteau, les "événements" firent 10 ans plus tard, l'anti-capitalisme devenu "alter-mondialisme", l'objet d'une iconographie mettant particulièrement en avant les classes moyennes "émancipées" qui ont aujourd'hui gentrifié les mouvements sociaux (ce qui explique sans doute qu'ATTAC fasse la promotion du graphiste ayant obtenu le marché des pancartes des stations de métro du "Grand Paris", après avoir totalement oublié les camarades italiens toujours en prison). La stratégie de l’État Italien a pourtant été clairement exposée lors de la série de procès consécutifs aux "événements" de Gênes... qui n'ont fait l'objet d'aucune production éditoriale en France...

Comme "Contre-feu" (sic) au film de Daniel Vicari dont il est question dans cet article, on pourra voir le prodigieux documentaire produit par la RAI (et jamais diffusé) ci-dessous (cliquer sur l'image pour voir le film).

Le Commissaire de l'exposition

bellacio.PNG Bellacio, Rai,

Au sujet du film Diaz. Don’t clean up that blood (2013) de Daniele Vicari.

12 ans après la répression féroce des manifestations, autorisées, contre le G8 à Gênes en 2001, un film de fiction reconstitue l’opération policière la plus emblématique, l’invasion atteignant un paroxysme de violence, à froid, de deux bâtiments de l’école Diaz, abritant pour l’un le Media Center du Forum Social de Gênes et pour l’autre de simples dortoirs, suivie des détentions accompagnée d’actes de torture et d’humiliation au centre de Balzanetto.

12 ans après Gênes. Mais aussi quelques années après les quatre principaux procès qui ont, laborieusement, suivi : celui concernant la mort par balle de Carlo Giulani, ceux de l’école Diaz et de Balzanetto, et le « procès des 25 » manifestants italiens boucs-émissaires qui s’est soldé par de longues peines de prison ferme.

Voir le site de soutien aux condamnés

Que penser de la mise en spectacle des « événements » de Gênes alors que des militants sont emprisonnés et des policiers parfois de haut rang blanchis, amnistiés et dans de nombreux cas promus ?

On attendait légitimement un film politique renouant avec la tradition des années post-68 qu’incarne notamment Costa-Gavras (en France : l'Italie ne manque pas de tradition dans ce domaine!). On vit, ne sachant s’il fallait en rire – à cause du grand guignol - ou en pleurer, un sommet de dépolitisation parachevant la victoire remportée à Gênes par la réaction néolibérale qui n’a cessé depuis de voler de succès en succès, au point de mettre aujourd’hui l’Europe à genoux alors que la mise à sac du continent et la liquidation des droits des gens battent désormais leur plein, pas seulement en Grèce.

Le film commence par la « rédemption » de deux « Black Blocks » qui ont joué avec des allumettes, l’un Noir, l’autre Blanc. Dès leur cagoule définitivement retirée (alors que face à la répression démente, c’est plutôt le contraire qui se produisit [1], les tribunaux italiens ayant jugé que les manifestants avaient usé du droit légitime de se défendre face à des opérations illégales au moins jusqu’au samedi à... 15h30 !), on ne quittera plus l’entre-soi d’une jeunesse bon chic bon genre tout droit sortie d’une pub pour Benetton. C’est la fonction cachée du choix de se concentrer sur la seule école Diaz, dans le seul quartier et le seul lieu, jusqu’au dimanche soir - soit après la fin du G8 - totalement épargné par l’acharnement policier et les émeutes. C’est bien l’unique endroit où l’on trouvait une pizzeria ouverte, y compris à l’heure des faits et les dîneurs s’en souviennent avec reconnaissance - dans une ville où tous les commerces étaient barricadés suite à l’intense campagne de propagande menée par les autorités italiennes. Et le message du film est extrêmement clair dans sa simplicité apolitique : « Vous avez gravement merdé, même ce journaliste qui s’est fait tabasser travaille pour un journal de droite » dit ainsi depuis son brancard un sympathique « papi » à un policier aux urgences de l’hôpital de Gênes... Le cinéaste prend soin de situer socialement l’une de ses personnages, victime emblématique des exactions sadiques de Balzanetto, en présentant sa mère cherchant sa fille au téléphone depuis un intérieur des plus cossus : contraste entre l’origine sociale et les humiliations que les « États de droit » réservent en général à d’autres catégories (ouvriers, immigrés, sans-papiers, jeunesse des quartiers). Ce qui n’est pas faux. Il est clair qu’une des stratégies de l’État italien, qui lui connaît encore et même très bien, la lutte des classes, fut, par la terreur, de passer définitivement l’envie aux classes moyennes de s’allier avec les classes laborieuses, les catholiques avec les anarchistes, les vieux avec les jeunes, les « experts » avec les « émeutiers »... Et de ce point de vue, Gênes fut une grande victoire, à partir de laquelle, dans un contexte contestataire devenu plus policé (et même « self policed » comme dirait l’impayable Susan George), la stratégie de la peur repose par les temps qui courent moins sur la bastonnade que sur les mesures judiciaires permises par « l’espace de sécurité et de justice européen » (sorte de cadre légal totalitaire patiemment mis en place dans l’ombre des Conseils Européens appelé à se substituer à court, moyen ou long terme, selon les circonstances historiques, aux acquis des libertés civiles issus des luttes séculaires contre le despotisme) : arrestations administratives massives, bannissements, interdictions de voyager et lourdes condamnations pour faits insignifiants, criminalisation - par exemple de l’occupation des parcs publics (comme en Espagne.) En attendant les drônes, si ce n’est déjà le cas - chargés de guider le glaive de la justice au petit bonheur la chance des victimes exemplairement expiatoires. Heureux que nous sommes : pour le moment, les exécutions extra-judiciaires sont réservées aux peuples barbares (ou à des ressortissants européens et américains qui en ont la couleur, dans l’indifférence totale des juridictions nationales sensées garantir leurs droits.)

De la convergence des luttes à l'alter-tourisme

Or, la force impressionnante de Gênes résidait dans la coordination sans direction de mouvements réunis à défaut d’être unis dans une coordination sans direction, autonomes dans leurs modes d’action dans le respect des autres : du carnaval des Tutte Biance dont l’invasion symbolique de la zone rouge avait été négociée avec les autorités (le changement de stratégie policière ordonné dans la nuit précédente rompit manifestement ce gentlemen’s agreement et mit le feu aux poudres) aux mouvements catholiques s’agenouillant mains levées face aux charges policières qui avaient ordre de les bastonner spécifiquement, aux membres de délégations expertes tenant des conférences de presse devant leur hôtel cinq étoiles, aux syndicats italiens mobilisant en masse dans tout le pays pour la manifestation du dimanche, aux Black Blocks (qui n’étaient pas tous des policiers malgré tout) dont l’engagement physique ne fut pas de trop pour protéger des manifestants peu aguerris du déchaînement militaro-policier. Sans oublier les seuls qui sont représentés dans le film de Daniele Vicari, éventuellement fraternisant non sans difficulté avec l’épicier arabe du coin forcément bourru : les ancêtres des alter-touristes.

Si on met de côté le cauchemar vécu par ceux et celles qui y étaient et en garderont des séquelles physiques et psychologiques pour le restant de leurs jours, qui ne sont pas des personnages de cinéma, on peut légitimement se demander si le film de Daniele Vicari n’est pas l’hommage narcissique (au sens de Christopher Lasch) que se rend la petite-bourgeoisie alter-mondialiste auto-persuadée de sa fonction de sujet historique et tendant à occulter à son profit, en toute inconscience de classe, toutes les forces vives de l’histoire pour le plus grand profit des dominants, à défaut de toute autre efficacité politique. Pour elle, l’histoire est un spectacle où elle entend bien figurer au centre de l’image. Ça tombe bien, c’est elle qui la produit et on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Cette dépolitisation au carré, que j’appelle ailleurs « gentrification des luttes », est patente non seulement par la forme du film mais aussi par son (absence de) contenu.

Le film n’est finalement qu’une longue suite de coups de matraques, de flaques de sang et de râles, entrecoupée de scènes dépourvues du moindre intérêt du genre « plus belle la vie en united colors s’il n’y avait tous ces flics se comportant de façon manifestement inadaptée. » À se demander si Gênes n’était pas une teuf qui aurait mal tourné : d’ailleurs, à aucun moment les personnages ne discutent politique entre-eux et une seule scène confronte des points de vue et des contradictions (le personnage central de cette confrontation oubliera de se rendre à la réunion convoquée pour organiser la solidarité avec les émeutiers arrêtés occupé à approfondir la convergence des luttes avec une militante!) Aucun démontage des responsabilités politiques, alors même que les procès ont eu lieu et qu’un certain nombre de faits ont, au moins, été révélés, et c’est là qu’on attendait un point de vue engagé à la Costa-Gavras. Au lieu de cela, à la parodie contestataire et victimaire qui mine, depuis, bien des mouvements, notamment anti-fascistes, bien faite pour neutraliser l’action politique en tirant la couverture symbolique à soi, vient se surajouter cette parodie des codes du film contestataire, dont le réalisateur mime (plus que mal) la forme vidée par ailleurs de tout contenu. Il s’agit de prendre la place des anciens au musée de cire. Du coup, l’État italien s’en tire bien, malgré ces quelques dysfonctionnements, certes un peu violents et critiquables. Les ellipses sont certainement révélatrices de quelque chose de plus profond : faire semblant de montrer pour mieux cacher. Ainsi pourquoi à Balzanetto les détenus ne sont-ils pas obligés de crier « Vive le Dice » comme c’est avéré, y compris par les procès, de même que les chants mussoliniens entonnés par les tortionnaires ? Et pourquoi suggérer les humiliations sexuelles par l’exposition redondante, voire complaisante, de la nudité de l’héroïne à défaut des menaces de sodomie et des coups de matraque systématiques dans les testicules ? Il y a des (im)pudeurs qu’on peine à comprendre... Par contre, la redondance des scènes de violence, à laquelle se résume le film, s'inscrit parfaitement dans la politique de terreur mise en œuvre à Gênes. Elle la prolonge et la réactive. Participe au gouvernement par la peur.

Camarades emprisonnés

Bref, il ne s’est rien passé à Gênes en 2001 : simple « bavure », en aucun cas révélatrice d’une évolution commencée précédemment et poursuivie depuis à marche forcée vers ce que certains n’hésitent plus à appeler un euro-fascisme (ajoutons avec les camarades de Pièces & Main d’œuvre qui ont bien raison, l’épithète « techno ».) C’est pourtant au nom d’une loi datant de Mussolini réactivée à l’occasion et désormais systématiquement appliquée en Italie que « les 25 » ont été condamnés à de si lourdes peines, pour des faits parfaitement mineurs.

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Ah « les 25 » ! Mais oui, au fait ! Que deviennent-ils ?

Daniele Vicari les a « oubliés », et il n’est pas le seul, dans son grandiloquent générique de fin.

Qui aurait pu être :

''Le procès contre les 25 manifestants a vu un acquittement. Quatorze accusés ont été condamnés à entre cinq mois et deux ans et demi pour des affrontements résultant d'une attaque de carabinieri contre une manifestation autorisée le 21 juillet Via Tolemaide et des affrontements qui ont suivi. Un autre a pris cinq ans pour avoir blessé le conducteur du véhicule 4x4 Defender des carabiniers duquel Carlo Giuliani a été tué place Alimonda. Dix personnes qui ont été reconnues coupables de "destruction et de pillage» dans le cadre du «Black Block» et ont été condamnées à entre 6 et 11 ans de prison. Au total, les 24 qui ont été reconnus coupables ont étécondamnés à des peines d'un total de 110 ans. Un autre aspect important de la décision est que la demande déposée par la Présidence du Conseil requérant les manifestants de payer pour les dommages causés à l'image de l'Italie (le montant doit être fixé dans une procédure civile) a été acceptée par le tribunal. Ainsi, l’image de l’Italie a-t-elle été salie par la violence des manifestants et non par la brutalité de la police. Par ailleurs, quatre agents (deux policiers et deux carabiniers) ont été déférés au bureau du procureur afin de déterminer s’ils devraient être poursuivis pour parjure suite à leurs déclarations au procès.''

Une infraction spécifique pour laquelle le magistrat du parquet a inculpé les accusés était "destruction et pillage » (art.419 du code pénal, l'accusation la plus grave applicable aux troubles publics). C'est un crime qui, s’il est prouvé, est puni d’une peine de 5 à 12 ans. Le magistrat du parquet avait demandé un total de 225 ans pour les 25 manifestants indépendamment du fait qu'ils aient été convaincus d’avoir pris part aux raids destructeurs du «black bloc» (incluant la violation et le saccage d'un certain nombre d’agences immobilières, bancaires et locaux commerciaux, des incendies de voitures et l'érection de barricades dans des affrontements avec la police comprenant des jets de cocktails Molotov) ou à des affrontements dans la rue au cours de manifestations autorisées. La peine maximale requise était de 16 ans pour "CM", une femme identifiée comme ayant pris part à différents actes liés au «Black Block». Des peines allant de 10 à 15 ans ont été requises pour sept autres. À l'autre extrémité du spectre, les plus courtes peines requises étaient six ou six ans et demi pour dix accusés. La durée de leur comportement violent et la récidive ont été des facteurs pris en compte, avec circonstances atténuantes. D'autres considérations étaient l'utilisation d'armes, l’action en groupe de plus de cinq personnes et l'intention de provoquer l'insécurité publique. L'utilisation croissante de l'article 419 est vu comme une évolution importante par les militants, en tant qu’une infraction qui a cessé d'être exclusivement réservée aux révoltes populaires ou aux insurrections aux cas d'incidents impliquant le hooliganisme et les manifestations politiques.

''Sur les 24 accusés qui ont été jugés coupables, «CM», a été condamnée à 11 ans de prison, "PF" et "VV" à dix ans et demi, "FL" à dix ans (tous avec trois ans de sursis), "FA" à neuf ans, "CC" à sept ans et dix mois, "VA" à sept ans et huit mois "AC" à sept ans et demi, UD à six ans et demi, "MI" à six ans, "MM" de cinq ans, "PP" pour deux ans et demi ans, "DP" à un an et huit mois ", DAAF" à un an et six mois, "DRF", "DAF" et "DPA" à un an et cinq mois, "BD" et "CS" à un an et quatre mois ", "FA" deux ans, "TF" un an et deux mois, "FTO" onze mois, "DIM" six mois et, enfin, "CD" à cinq mois. Les peines prononcées contre dix autres ont été suspendues, 13 ont vu leurs peines de prison de moins de trois ans entièrement "graciées", et onze autres ont eu trois années de sursis. Ainsi, la plus longue peine à purger est de huit ans, deux autres personnes purgent sept ans et demi, une autre sept ans, une autre six ans et six derniers purgent entre deux ans et quatre ans et dix mois.''

(source:StateWatch)

En 2012, la Cour de Cassation s'est ainsi prononcée:

(le cas des) manifestants qui ont causé des dommages à Gênes et ont été accusés de l'infraction extrêmement grave de « destruction et pillage " s'est conclu avec cinq condamnations définitives. Leurs peines exemplaires sont les suivantes : un à 14 ans , l'un à 12 ans et six mois, un à 11 ans et six mois, un à 10 ans et un autre à six ans et six mois. Contrairement aux policiers, ils purgeront leur peine en prison alors que contrairement aux policiers, leur violence a été dirigé vers des objets plutôt que des personnes. La Cour de cassation a jugé que cinq autres accusés verront leurs cas examinés par la cour d'appel de Gênes pour tenir compte de la circonstance atténuante qu'ils peuvent avoir agi "sous l'influence d'une foule en effervescence ». Ils ont déjà été condamnés de sept ans à dix ans et neuf mois par la cour d'appel . Une campagne visant à soutenir les dix manifestants qui ont été condamnés en appel sur les 25 qui ont été jugés , appelée " 10 x 100 Anni di Carcere . Genova non è finita " (10 pour 100 ans de prison. Gênes n'est pas fini) , a été lancée et a recueilli 30.000 signatures de soutien au moment de la sentence di Corte cassation

(source: StateWatch)

Au moins, le réalisateur aurait-il informé les milliers d’ « internationaux » présents à Gênes en 2001 que si la solidarité internationale n’était pas un vain mot, il conviendrait peut-être de se préoccuper de cette situation... Mais tout occupé à coller son nom à un événement historique, il semble avoir été inattentif à ce détail un peu trivial.

C’est d’ailleurs à ce genre de détails qu’on mesure, en pratique, l’inefficacité globale de ce qui, depuis, est devenu l’alter-mondialisme.

De ce point de vue, la déclaration commune finale du rassemblement commémoratif final de Gênes 2011 n’a finalement rien à envier au film. Le mouvement global pour « la justice globale » y, selon son habitude, oublie totalement de s’intéresser à la justice locale et de mentionner les camarades qui payent le prix de ce théâtre des bonnes consciences sans conséquences.

On y lit par contre quelques grands moments de lyrisme propres à faire trembler le monde sur ses bases :

" Nous, les participants à Gênes 2011 "la crise, c'est eux, pour nous, c'est l'espoir" réunis lors de l'assemblée internationale du 24 juillet, après la grande manifestation d'hier, nous nous engageons à construire ensemble le parcours jusqu'au Forum Social Mondial de 2013 qui aura lieu dans la région du Maghreb-Mashrek. Pour la première fois, les mouvements, les acteurs sociaux, les militants et les communautés du monde entier se réuniront dans notre région méditerranéenne, hôtes des révolutions de la dignité. Le Forum et son processus de construction nous offrent une extraordinaire occasion de convergence nationale et internationale pour renforcer le champ des forces et des alliances nécessaires à une vraie alternative à la crise globale, fondée sur la radicalisation de la démocratie et des droits, sur une autre façon de produire, de vivre, de consommer, de cohabiter, capable de renvoyer à l'expéditeur les dévastatrices recettes anticrise imposées par les pouvoir dominants. Nous nous engageons à préparer ensemble deux importants rendez-vous internationaux en Italie:

Dans les prochains mois, un séminaire ouvert pour reconstruire un espace européen public avec la participation des acteurs sociaux qui, sur notre continent, font vivre les luttes, les différends, les alternatives, les pratiques pour une autre Europe."

En 2012, 10 ans après le FSE de Florence, un événement Forum Méditerranée, un grand rassemblement des mouvements européens avec les acteurs et les actrices des Révolutions de la dignité sur la rive sud.

Invitation transmise aux camarades moisissant dans les prisons italiennes ?

Pour oublier ce grand moment de révisionnisme cinématographique, je préfère leur dédier cette chanson d’un vrai poète béni.

Pièce entrée dans les collections le 1er novembre 2013

Lire aussi : Gênes 2001 : La Cour européenne des Droits de l'Homme condamne l'Italie pour "torture"

Notes

[1] Ainsi cette déclaration significative d’une militante française lors d'une réunion-bilan : « Attac-GARD (Valérie VIE): - Je suis une adepte de la non-violence, ce qui ne m'a pas empêchée de pénétrer dans la zone rouge, portée par la violence de la manif. - J'ai un immense sentiment de honte par rapport à ce qu'a écrit Susan George en portant des accusations contre certains membres violents. J'ai honte maintenant d'être secrétaire d'Attac. - Nous portions tous notre violence, il faut en assumer les responsabilités. »

mardi 20 novembre 2018

"Faire main basse sur la cause incontestable afin de mieux occuper la position de la supériorité morale incontestable"

Suite à un article publié sur son blog Appels sans suite (2), consacré à l'Appel « Manifeste pour l’accueil des migrants » publié simultanément par Mediapart, Regards et Politis, Frédéric Lordon a reçu une volée de bois vert... moustachue ou non (évaluée à 6%). Il répond dans une interview à Ballast (Le Concierge)

Des lecteurs ont pu être choqués par votre texte, estimant que, la cause étant juste, ce « Manifeste », fût-il imparfait, allait toutefois dans la bonne direction…

Oui. Je sais bien que « l’urgence » permet de faire passer ce qu’on veut en contrebande, mais tout de même. Normalement on devrait faire attention à ce qu’on signe et avec qui on signe. Mon texte rappelle que les trois médias initiateurs ont œuvré, sans doute à des degrés divers, à défaire la seule force politique de gauche qui, quoi qu’on en pense, était en position de faire obstacle à Macron en 2017. L’un d’eux, Mediapart, a été spécialement actif dans cette entreprise. Mais il faudrait instruire le cas avec une grande précision. En commençant par ces tribunes grandiloquentes, s’enveloppant dans l’Allemagne des années 1930, pour fustiger, par analogies aussi grossières historiographiquement qu’ineptes politiquement, toute stratégie s’opposant à un PS en ruine, stratégie coupable d’ouvrir la voie à l’extrême-droite — Mélenchon étant l’équivalent fonctionnel du KPD (Parti communiste d’Allemagne), dont le refus de s’allier au SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne) aurait mis Hitler à la Chancellerie. Et tout ça pour tenter de sauver Benoît-6%-Hamon, en faveur de qui Mélenchon était sommé de se retirer séance tenante. On ne se souvient pas d’avoir entendu aucun appel symétrique lorsque l’infortuné socialiste était aux fraises et que, pour le coup, son apport de voix à lui aurait pu écarter Le Pen du second tour — mais la lutte contre le FN a de ces géométries variables que la géométrie ignore. En revanche, on se souvient de ces grands entretiens énamourés accordés au candidat Macron par Mediapart dès avant le premier tour, pour ne pas même parler de celui de l’entre-deux tours, conclu tout en œillades et en sourires complices. Il faut rappeler tout ça face à des gens dont le pli du déni est comme une seconde nature et qui, jusqu’au bout, rejetteront l’évidence qu’on leur met sous les yeux, l’évidence de leurs faits et de leurs gestes. Des esprits malicieux avaient à l’époque donné le nom de balladuro-trotskysme — car, oui, tout ça vient de loin — à cette posture qui consiste à feindre de monter sur la barricade pendant quatre ans et demi, pour retomber dans la tambouille social-libérale six mois avant l’élection, et prendre un air tantôt raisonnablement enthousiaste tantôt sincèrement désolé pour expliquer qu’il faut voter Royal, Hollande ou Macron. Et donc cette fois Macron.

Car voilà le nœud de l’affaire : cet appel si plein d’humanité en faveur des migrants a été initié par des gens dont certains, de fait ou d’intention, ont contribué dès avant le premier tour à porter Macron au pouvoir, c’est-à-dire à installer une politique anti-migrants à peu près aussi dégueulasse que celle de Salvini, et puis à pousser les feux du néolibéralisme comme jamais, c’est-à-dire la cause même qui approfondit le désespoir matériel des classes populaires et leurs errements imaginaires, splendide résultat. Il faut tout de même mesurer l’énormité de cette histoire : pas un mot dans l’appel pour nommer Macron, pour dire ce qu’est sa politique, pour dire la criminalisation de l’aide aux migrants — ce ne sont pas les chaisières qu’on traîne en justice —, pour rappeler que, sous sa responsabilité, la police lacère les toiles de tente, gaze les occupants, jette les chaussures, détruit les duvets, bref, se vautre dans une ignominie proprement inimaginable, et pour tout dire fascistoïde. Je ne sais pas si tous les signataires ont bien eu ces éléments présents à l’esprit, et si ça n’a pas été le cas, il faudrait leur demander ce que ça leur fait d’en prendre conscience, et si « l’urgence » commandait aussi impérieusement de mettre tout ça de côté. Cyran, d’ordinaire très attaché à tenir son rang dans les compétitions de radicalité, concède à la rigueur qu’il y a bien dans les signataires « quelques mous du genou ». Il dit « signataires » pour ne pas dire « initiateurs ». Je trouve surtout que c’est son critère du « mou du genou » qui est devenu étonnamment mou du genou.

Je dois ajouter pour finir que l’une des choses qui me révulse le plus au monde, ce sont ces entreprises d’auto-blanchiment symbolique, de retournement de veste en loucedé et d’effacement des traces pour se croire propre comme un sou neuf, et puis faire main basse sur la cause incontestable afin de mieux occuper la position de la supériorité morale incontestable. Eh bien non. On n’est pas obligé de passer tous ses faux en écriture à la duplicité. Or la duplicité, c’est la mauvaise foi caparaçonnée dans la bonne — par exemple prendre sincèrement fait et cause pour les migrants, mais depuis une position politique plus que douteuse, au regard même du « fait et cause » —, structure qui, du reste, rend impossible toute discussion, par la force des choses, puisque le mur du déni est infranchissable. Si l’on ajoute à ça le lourd soupçon que cette splendide initiative n’est peut-être pas sans rapport avec le lancement façon Ariane 5 de la candidature Glucksmann, cette opportune reconstitution de la gauche-PS sans le PS, oui, ça commençait à faire beaucoup.

jeudi 15 novembre 2018

Exposition temporaire : l'Europe en 2015-2016 (1) L'échec de la stratégie centriste (funeste) de Jean-Luc Mélenchon

La fonction d'un Musée étant de puiser dans ses collections pour éclairer le présent par le passé, nous commençons une exposition temporaire à partir de nos réserves datant, non de l'Antiquité, mais bien de... 2015. Accélération du temps, l'archiviste en chef est sidéré des découvertes exhumées des collections... Première pièce, un point de vue du Concierge concernant le jeu au centre par Mélenchon de l'élection alors à venir confisquée au final par l'extrême-centre moustachu(e)...

(Le Concierge)

Jean-Luc Mélenchon avait fait une formidable campagne présidentielle (en 2012 NDE), notamment sur le thème qui intéresse particulièrement ce blog, celui de l'Europe. Lors de ses meetings, il avait fait preuve d'une pédagogie inouïe de l'imposture européenne, cache-sexe à douze étoiles des pouvoirs les plus authentiquement réactionnaires. Il est embourbé depuis dans la logique inhérente au champ politique. En se présentant aux élections européennes pour renouveler son mandat là où il importait de dénoncer une vaste mascarade (mais qu'allait-il faire à Hénin-Beaumont au lieu de s'assurer la tribune de l'Assemblée Nationale là où l'euro-fascisme progresse sur tous les bancs?). Ensuite par la nécessité de l'alliance avec un PC dont la survie de l'appareil dépend d'alliances avec le PS aux élections locales nationales, puis dans la recherche d'une troisième force alternative avec les Verts et les frondeurs. Il se trouve que malheureusement ces derniers, qu'ils soient de centre droit ou de centre gauche, sont de fidèles catholiques zombies du culte européen et des images d’Épinal de Mitterrand et Köhl à Verdun, mais aussi d'une idéologie non-moins catholique zombie de l'amitié en général entre les peuples qui annulerait magiquement les rapports de puissance entre entités qui sont tout autre chose que l'interactionnisme entre des myriades d'objets se prenant pour des sujets. La réaction de Cécile Duflot[1] au livre de Mélenchon, le Hareng de Bismarck sonne déjà la fin de la messe. C'est d'ailleurs cette incapacité à penser, au-delà du sujet narcissique, les terrifiantes puissances du monde social que les Grecs Anciens (dont les homonymes contemporains crèveront puisque Cécile Duflot donne la priorité à "une autre Europe"[2]) représentaient comme des Dieux soufflant sur la voile d'Ulysse, contre laquelle met en garde, en historien et sociologue, le très courageux Emmanuel Todd. Cette incapacité repose aussi sur la désastreuse vulgate historique qui tient lieu de catéchisme scolaire, même quand elle prétend enseigner plus largement les civilisations du monde pour lutter contre l'ethnocentrisme et pour la concorde universelle de sociétés sans classes dont le projet fumeux d'abolition s'est réalisé en esprit, même quand elle se présente comme le Manuel d'histoire critique du Monde Diplomatique qui doit faire se retourner Marc Bloch dans sa tombe. Tout cela ne fait qu'alimenter des polémiques médiatiques parfaitement vaines entre pseudo intellectuels soit-disant progressistes et réactionnaires qu'il faut renvoyer dos-à-dos sans être dupe de ces stratégies narcissiques petite-bourgeoises en quêtes de parts de marché médiatique menant à diverses prébendes à l'occasion de la énième réforme des programmes (comme si tel était le problème du Collège, mais là encore c'est la sociologie que ce faux débat permet d'enterrer). S'opposant en apparence, ils et elles sont parfaitement d'accord sur l'essentiel, c'est par l'âme ou le nombril (ce qui est un peu la même chose) qu'on explique l'histoire, certainement pas par des forces historiques qui finissent toujours par échapper en apocalypse même aux groupes sociaux les plus dominants et les mieux organisés.

La réaction de Cécile Duflo[3]au livre de Jean-Luc Mélenchon dit assez combien c'est son mode de vie et le kitsch intellectuel qui l'accompagne (il fut un temps où on appelait ça "porter sa classe") qui prédomine sur le sens de l'histoire, tel qu'historiens et sociologues ont su développer des outils pour la comprendre et qui n'ont strictement rien à voir avec la fabrique scolaire de l'histoire scolaire. Elle dit l'échec programmé de toute stratégie politique qui s'entête à se concentrer sur le seul marché électoral qui paraisse solvable en terme de demande, celui des classes moyennes ayant connu leurs premiers émois lors d'un échange linguistique en Allemagne ou un Forum Social Mondial en Afrique.

Ajoutons des propos mélenchoniens qui ont le don de faire dresser le poil de nos compatriotes de culture musulmane et pas seulement le soutien pompier à la bourgeoisie tunisienne hystérique sous faux nez gauchiste, l'hommage récurrent à son mentor, Mitterrand, assorti du chapeau et de l'écharpe (qui ne fait pas enrager que les chômeurs dunkerquois), l'acte de foi dans les classes moyennes en réponse à Emmanuel Todd, et...il est clair qu'on n'obtient pas un mouvement populaire !

On peut bien sûr considérer l'auteur de ces lignes particulièrement naïf et que l'homme Mélenchon n'est jamais que la gauche du PS acquise aux thèses électoralistes de la deuxième gauche, donc un homme du passé. Mais au-cours de la campagne présidentielle, nous avions cru percevoir comme la possibilité d'un "politique collectif" appuyé par un "intellectuel collectif" pour arrêter la marche en avant de la contre-révolution politique et symbolique. Soit une toute autre façon de faire de la politique évoquant le formidable moment politique que fut la campagne référendaire de 2005. Illusion ou non, il nous semble que cette utopie rationnelle mériterait d'être pensée et tentée. L'heure est proche où d'autres cristallisations comme celle du 11 janvier achèverons de nous faire basculer dans un "autre monde" qui ne sera pas celui de l'utopie kitchissime des alter-mondialistes...

Le Concierge

Mai 2015

(Les notes sont du Commissariat de l'exposition, novembre 2018)

Notes

[1] L'ancienne ministre écologiste répond au leader du Front de gauche à propos de son livre «Le Hareng de Bismark» Mais qui se souvient de Cécile Duflot, à part celles qui se disent qu'elles pourraient bien prendre sa place dans le champ ? Caroline De Haas a tiré la première et s'est brûlé les ailes, Laurence De Cock fait des manœuvres dignes d'une préparation militaire d'opérette (dans la nature de la chose menant au statut d'Officier de réserve...), soutenue certes par la Grosse Bertha Moustachue (GBM) de Médiatarte(comme la précédente citée à l'époque) et quelques fantassins de l'édition indépendante (de tout sauf du marché scolaire !)... Quelles autres candidates, "féministes et écologistes" (désormais "décoloniales" mais incapables de même VOIR une colonisation commise sous leurs yeux, en Grèce par exemple ?) dans la course à l'échalotte bio pour décrocher le téléphone de la cabine où se réunissait le PRG (propriété du Musée de l'Europe, rappelons-le !) ? "Transfert historique" comme disent les didacticiens... Tant il est vrai que même quand il y a le feu à la maison commune, il n'y a pas besoin d'avoir lu Proust pour savoir que dans la société à statut, vivant dans un éternel présent n'envisageant l'avenir que comme une progression de carrière, la seule chose qui change ce sont les modes automne et hiver du Bal de l'Indignation (accélération du temps : la mode change toutes les semaines, course contre la montre de la crise de surproduction symbolique...) - Note du Commissariat de l'exposition (2018)

[2] EELVmemorandum.jpg collections du Musée de l'Europe

[3] Lire aussi pour en savoir plus sur cette femme politique du début du XXIème siècle (mais ce qui n'a pas trop marché à l'époque peut marcher dans une autre conjoncture) : Breaking the news : candidature de Cécile Duflot ; Réponse de Cécile Duflot à l'adresse aux Députés ayant signé une motion de censure de gauche mais refusé de voter la motion de censure de droite. Bon, si on pouvait tuer les prochain(e)s supplétif(ve)s dans l'oeuf médiatique, le Concierge dit ça, il ne dit rien (Note du Musée, 2018)

mercredi 7 novembre 2018

il y a 9 ans : Les Indésirables de la Rue de la République (Marseille)

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Cliquer sur l'image pour voir le film de Patrick Taliercio, les Indésirables de la Rue de la République

Lire aussi : Les charmes discrets de la rénovation à Noailles et Belsunce

mardi 6 novembre 2018

Main basse sur l'énergie

mainbassseenergie1.PNG Cliquer sur l'image pour voir le film de Gilles Balbastre (2018)

Avis aux castors : faire barrage, oui, mais à quoi ? faire barrage sur les causes ("les services publics sont le patrimoine de ceux qui n'ont rien") ou les conséquences ? (Le Concierge)

Lire aussi sur le pouvoir donné aux "investisseurs" sur l'énergie : Un traité pour les gouverner tous

Autres films de Gilles Balbastre

Vérités et mensonges sur la SNCF

Transport de marchandises : changeons d'ère !

EDF, les Apprentis sorciers

Le chômage a une histoire

Salariés sans frontières

Fortunes et infortunes des familles du Nord

A écouter : Dans le Nord, emploi en miettes et sentiment d'abandon

mardi 4 septembre 2018

Dernières actualités du Brexit

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dimanche 29 juillet 2018

Il y a 20 ans : "Pour en finir avec l'école. Une tentative d'évasion signée Fred D."

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Enfin l'étude détaillée du fonctionnement des institutions et de leur recrutement, l'étude des croyances qui y ont cours, nous conduisent à constater que, quoi qu'ils fassent par ailleurs, l'une des principales fonctions de ces établissements est de confirmer le personnel hospitalier dans sa propre idée de lui-même. Il existe entre personnel et reclus une large connivence, complexe et dramatique, dont l'effet, sinon l'objectif, est d'affirmer le caractère médical du service dispensé par le personnel psychiatrique. (Erving Goffman, Asiles)

Quitter son école au terme normal de sa scolarité n'est pas chose aisée, surtout quand une nouvelle règle vient d'imposer que les plans d'évasion soient visés par la Direction de l'établissement considéré : à la Cambre, une récente tentative de Fred D. vient de le rappeler. Fred D. avait pourtant pris soin d'expliquer au pré-jury qu'il entendait par son action, un générique de fin, clore une période de sa vie (envisageant même de disparaître au terme de l'action) donc introduire une discontinuité radicale entre le temps des études, et l'accès au statut d'être social à part entière, autonome et affranchi de la tutelle intellectuelle si caractéristique du statut antérieur. L'intervention rendait compte du caractère a posteriori largement irréel d'une vie d'étudiant, organisée autour de repères, de normes, d'investissements, d'évaluations, qui n'ont généralement pas cours hors de l'établissement d'enseignement considéré et aussi du trouble profond dont s'accompagne cette découverte. Une expérience universelle en somme, avec la généralisation des études supérieures, mais qui échappe cependant à ceux qui ne quittent l'Ecole que pour mieux y retourner (comme assistants par exemple). Et qui prend parfois des formes tragiques pour d'autres qui restent durablement enchaînés et que l'on retrouve bien souvent errer, à la recherche d'un paradis perdu, dans les parages d'une Ecole qui a fait leur malheur et dont, à la première crise, ils se feront soit les défenseurs, soit les adversaires, en tout cas les acharnés. Si l'enjeu n'était donc pas mince, le pari paraissait gagné grâce à un dispositif d'une grande simplicité, un générique de fin, dont la seule évocation permettait de présumer favorablement de l'efficacité.

Mais voilà, au prix du coup de force institutionnel que constitue un pré-jury à trois semaines du vrai, c'est Tartuffe qui était caché sous la table. Le Jury n'est à aucun moment parvenu à contextualiser l'intervention proposée et à maîtriser les unités de lieu et de temps qui constituent pourtant la matière même du travail. En témoignent les incitations répétées à adapter techniquement le projet afin qu'il puisse être présenté "ailleurs plus tard". De même la confusion des niveaux logiques amena le Jury à comparer, à maintes reprises, l'incomparable : l'intervention ponctuelle sur un espace-temps et l'exposition des traces de travaux antérieurs (version tridimensionnelle du "book"). La compréhension n'est certes "qu'un cas particulier dans un univers de malentendus" et l'étude de la réception de l'œuvre d'art fournit traditionnellement la matière d'un véritable bêtisier (Bourdieu). Il n'en demeure pas moins que face à l'inflation du discours critique, la prolifération de la parole autorisée, le terrorisme technique et philosophique, le retour des Arts Déco et finalement tous les pouvoirs qui mettent l'art et les artistes en danger, il est redevenu indispensable d'inviter à un regard compréhensif, attentif aux contextes sociaux, aux formes de l'expérience des formes, qui re-situe l'artiste, et à travers lui tous ceux dont il est le médium et non le porte-parole, dans leur vérité humaine. C'est en tout cas à cela que voudrait pousser cette contribution anthropologique à portée critique qui entend, en rendant raison du travail de Fred D. , rendre justice à tous ceux que toute Ecole, qu'elle le veuille ou non, ligote, parfois jusqu'à l'asphyxie, en bonnes et dues formes.

L'esprit des lieux

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"L'auditoire" de l'Abbaye de la Cambre est un lieu double et doublement symbolique. En tant qu'auditoire, il est le lieu par excellence du magistère, de l'orateur autorisé, de la cérémonie officielle, du discours d'institution (et bien sûr du "cours", au sens le plus académique du terme). Même si cette fonction s'est progressivement déplacée au "Patio" avec la rénovation des bâtiments annexes de l'Abbaye, bien après les événements de 1979, elle reste présente dans l'inconscient collectif, pour des générations d'étudiants, d'enseignants et d'étudiants devenus enseignants. La cérémonie de départ en retraite de Jacques Aron, ancien élève de La Cambre, ancien professeur à La Cambre, et "analyste" à ce jour le plus fin de l'institution, en fournissait tout récemment une démonstration éclatante, les enseignants en architecture mettant en scène leur émotion de se retrouver "en ce lieu" dont ils estimèrent publiquement avoir été chassés en 1979 (en présence discrète du directeur de l'ENSAV, seul représentant visible des actuels locataires de l'Abbaye). Ils rappelèrent notamment que c'est là que se déroulèrent les assemblées générales qui virent le renversement total des valeurs alors perpétuées à La Cambre , l'instauration du "monde à l'envers" avec la chute du magistère et l'occupation du devant de la scène.

Le vocabulaire de la scène s'impose ici d'autant plus irrésistiblement à l'analyste, que "l'auditoire" est aussi, d'abord, un théâtre, dont les coulisses s'ouvrent sur l'atelier de scénographie, lieu double où officient donc ces êtres doubles que sont les artistes-professeurs et les professeurs-artistes. Jacques Aron a raconté, au cours de la cérémonie déjà citée, une anecdote de ce point de vue très signifiante, remontant au temps de ses études, laquelle voit Herman Tierlinck, alors directeur au crépuscule de sa gloire de dramaturge, glissant de sa chaise en plein milieu d'un cours dont la réputation soporifique n'était plus à faire (dixit Aron) pour se retrouver les quatre fers en l'air, sans que personne n'ose lui porter secours. Aron évoque son émotion lorsque, quelques années plus tard, il vit au théâtre une pièce de son ancien professeur relatant "l'histoire d'un homme qui n'acceptait pas de vieillir". D'une certaine façon, le vieux professeur bascule sur l'estrade de l'amphithéâtre, mais c'est l'artiste qui se rétablit sur la scène du théâtre. Et c'est cette superposition de "cadres", pour reprendre les analyses d'Erving Goffman, qui fait de "l'auditoire" un haut lieu du pouvoir symbolique où rien n'exclut totalement, et 68 l'a prouvé, que la transformation décrite plus haut ne s'effectue dans l'autre sens et que le charivari s'y métamorphose en ordre légitime.

Le devant de la scène

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Il vient évidemment qu'un moment critique potentiel se situe lors des jurys, notamment de 5ème année, lorsque ce sont les étudiants qui, au sens physique, occupent le devant de la scène et s'apprêtent à passer de l'autre côté du décor en abandonnant leurs habits d'étudiants. Outre les projections de l'atelier d'animation, ce sont les scénographes qui sont les plus familiers du lieu. Mais une première observation de ces jurys montre que la plupart du temps, la scène n'est conçue que comme un lieu d'exposition, comme si l'auditoire était neutralisé à la fois en tant que "lieu social" (lié à la scolarité) et en tant que salle de spectacle (les scénographies proposées sont en règle générale conçues pour d'autres espaces) : jamais le théâtre de La Cambre n'est considéré en tant que tel (et de la même façon, toutes sections confondues, on trouve très peu de travaux qui exploitent le potentiel symbolique que représente, à l'évidence, l'Abbaye et l'Ecole fondée par Henry Van de Velde, morceau d'histoire de la Belgique en elle-même). Par ailleurs, le jury, loin d'être cantonné derrière la barrière magique qui sépare le spectateur de "l'illusion comique", investit la scène et serre de près, dans une fausse proximité, l'étudiant, appelé à expliciter les tenants et les aboutissants de son travail. Cette abolition des frontières, et donc de la possibilité d'en jouer ou de la nécessité de les franchir, n'est pas sans évoquer, dans l'euphorie des années 70, une soirée demeurée mémorable au cours de laquelle les étudiants et leurs professeurs, à peine plus âgés qu'eux à l'époque, interprétèrent sur scène et en commun un "hymne anti-industriel". Le personnage du "chef d'atelier", plus artiste et ami que maître, mais d'autant plus infaillible, date sans doute de cette époque et l'on ne peut qu'être frappé de la ressemblance entre la relation de violence douce (symbolique) qui s'instaure et l'analyse de la famille post-soixante-huitarde que donne Pierre Bourdieu en se référant aux Bandes Dessinées de Bretecher. Ce qui est nié dans les deux cas, c'est le fossé entre les uns et des autres, à la fois matériel et symbolique (statut social) et intellectuel (qui se traduit par l'illusion, systématiquement entretenue, que le jury doit "comprendre" les travaux qui lui sont proposés, de même sans doute que des parents libéraux, "qui sont passés par là", "comprennent" leurs enfants). Et au-delà, c'est la nécessité -vitale- pour les "jeunes" de renvoyer les "vieux" au passé, fût-ce en y mettant les formes qui disparaît (ce qu'exprime la négation de l'idée même d'avant-garde). On pourrait prendre de nombreux exemples de cet effet magique qui a sans doute atteint son point culminant en février 1998, lorsque toute l'école fut enrôlée contre le projet de réforme de l'enseignement artistique, au cours d'une manifestation qui vit les étudiants défiler, en noir et blanc, dans le décor déjà chargé du Mont des Arts et sans la moindre fausse note, dans les formes et avec les slogans de la Direction, relayée par des enseignants invoquant souvent les combats de leur jeunesse pour justifier d'une expertise et d'une lucidité politiques essentiellement tournées vers le consensus.

Un générique de fin

C'est dans ce contexte total (au sens du "fait social total" de Marcel Maus) que l'intervention de Fred D. prend tout son sens. Après avoir pris connaissance des travaux réalisés au cours de l'année par le biais d'une exposition incluant films et photos et posé toutes les questions possibles, selon un rituel désormais bien établi à La Cambre (à l'exception notable de l'atelier de sculpture), le Jury est invité à se rendre à l'auditoire. A mesure qu'il y pénètre, l'image du Jury entrant est projetée sur l'écran de la scène du théâtre, mixée en temps réel avec un "générique de fin" qui voit défiler les noms de tous ceux que Fred D. se souvient avoir rencontrés à La Cambre, sans le moindre commentaire, ni ordre ni raison. Se réappropriant ce lieu d'inversion qu'est la scène en rétablissant la séparation magique avec le public, Fred D. se donne ainsi les moyens de "réussir sa sortie". Tandis que la barque s'éloigne doucement à l'horizon, le Jury se retrouve seul sur le quai, confronté à sa propre image qui se mêle désormais au bric à brac d'une vie d'étudiant renvoyée au passé et déjà privée des cadres qui lui donnaient l'illusion de la cohérence. Ce faisant, il désamorce la tension, source de tant de "fausses sorties", née de la délibération qui permet encore au Jury d'avoir le dernier mot (de "faire" l'étudiant sortant). Il y a en effet un monde entre le sacre et la consécration. Dans le premier cas l'étudiant doit tout au Jury dont, en élève doué, il a satisfait aux attentes implicites. Il sera en général durablement tenu par les valeurs de ses maîtres. Dans le second cas, celui où la décision s'impose au Jury, sous peine de discrédit, une page est potentiellement tournée, laissant la voie libre au "sortant" pour tracer lui-même son chemin dans un monde où la vue de ses maîtres n'a jamais porté. Les intuitions qui permettent si souvent à Fred D. de se saisir avec autant de justesse des situations, c'est à dire de l'espace et du temps, donnent ici toute leur mesure et l'analyse anthropologique du rite de passage (consécration) inconsciemment mis en œuvre , si elle peut permettre à tous ceux qui se reconnaissent dans son travail de gagner en réflexivité, vise aussi à détruire chez tous ceux qui en sont au contraire très éloignés l'illusion de la transparence. En effet, si on a pu se permettre ici quelques "critiques pratiques sur les pratiques critiques", tellement plus laborieuses que le miroir tendu par Fred D., c'est que la condamnation rituelle de l'académisme est apparue comme une façon pour les professeurs de se nier magiquement en tant que tels sans que pour autant les étudiants cessent d'être des étudiants. Et c'est sans doute dans cette transgression à sens unique qu'il faudrait chercher la cause de bien des démobilisations, bien des "dysfonctionnements", bien des impuissances, qu'une "réforme de l'enseignement" à prétention rationnelle, surtout lorsqu'elle est d'inspiration fonctionnaliste et comptable, ne pourra qu'exacerber.

Bendy Glu

mai 1998

jeudi 5 juillet 2018

Egypte : la France a "participé à la sanglante répression" du régime de Sissi, accusent des ONG

Quatre associations de défense des droits de l'homme dénoncent lundi le rôle de la France ces dernières années dans "l'écrasement du peuple égyptien" par le régime d'Abdel Fattah Al-Sissi. Elles évoquent les ventes records d'armes de guerre mais aussi des logiciels et du matériel informatique.

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"Egypte, une répression made in France." C'est le titre d'un rapport publié lundi et rédigé par quatre ONG de défense des droits de l'homme. Dans ce document de 64 pages, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), le Cairo Institute for Human rights studies (CIHRS), la Ligue des droits de l'homme (FDH) et l'Observatoire des armements (OBSARM) assurent que "l'État français et plusieurs entreprises françaises ont participé à la sanglante répression égyptienne des cinq dernières années".

Ce soutien de Paris au régime d'Al Sissi, au pouvoir en Egypte depuis 2013 et le coup de force de son armée qui a chassé les Frères musulmans, s'est concrétisé "à travers une augmentation spectaculaire des ventes d’armes et de matériel de surveillance", est-il écrit. S'il était connu que la France vendait des armes au Caire, les associations en livrent un détail précis. Cela va de "l'arsenal militaire classique officiellement destiné à la lutte contre le terrorisme" - avions Rafale, navires Mistral, véhicules blindés, missiles... -, pour un montant d'1,3 milliard d'euros de ventes en 2016 selon le rapport (contre 39,6 millions en 2010), aux armes "légère et de petit calibre" en passant par les "technologies de surveillance individuelle", "d’interception de masse" et "de collecte des données individuelles". "La France participe aujourd'hui à l'écrasement de la génération" de la Révolution

"La plupart des armes et véhicules fournis à l’Égypte sont équipés et orientés vers la prévention et le contrôle des mouvements sociaux via une surveillance généralisée de la population. Ces équipements forment un canevas visant à mutuellement se compléter afin de prévenir ou de contrôler tout mouvement social ou mouvement de foule d’envergure", dénoncent encore les ONG qui tirent, comme bilan, "l'arrestation de dizaines de milliers d'opposants ou de militants".

"Si la révolution égyptienne de 2011 avait été portée par une génération Facebook ultra-connectée ayant su mobiliser les foules, la France participe aujourd'hui à l'écrasement de cette génération via la mise en place d'un système de surveillance et de contrôle visant à écraser dans l'oeuf toute expression de contestation", accuse ainsi Bahey Eldin Hassan, directeur du CIHRS. Ce rapport intervient à la veille de la visite du ministre égyptien de la Défense à Paris, qui suit elle-même de quelques jours celle du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, au Caire. Au moins "huit entreprises françaises ont profité de cette répression"

En 2015, sous François Hollande, Paris avait fait de l'Egypte un "partenaire stratégique" dans la lutte contre le terrorisme et justifie ces transactions par la nécessité d'assurer la stabilité du pays. A l'époque, la France - emmenée alors par le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, aujourd'hui ministre des Affaires étrangères d'Emmanuel Macron - annonçait ainsi la vente de 24 avions militaires Rafale pour un prix de 5,2 milliards d'euros. Elle avait également vendu à l'Egypte les deux navires de guerre de type Mistral initialement destinés à la Russie. Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron a poursuivi ce dialogue avec son homologue Abdel Fattah Al-Sissi, réélu pour un deuxième mandat en mars dernier avec 97% des voix validées. Lors de la venue en France de ce dernier en octobre 2017, le chef de l'Etat n'avait pas souhaité donner de leçon de droits de l'homme au président égyptien mais a plutôt insisté sur leur coopération économique.

Mais les ONG rappellent dans leur rapport qu'en 2013, le conseil des Affaires étrangères de l'Union européenne déclarait que les États membres avaient "décidé de suspendre les licences d'exportation vers l'Égypte de tous les équipements qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne". Or, "au moins huit entreprises françaises, encouragées par les gouvernements successifs, ont au contraire profité de cette répression pour engranger des profits records", accusent ces ONG. Qui réclament donc "aux entreprises et aux autorités françaises la cessation immédiate de ces exportations mortifères" et demandent "la mise en place d'une enquête parlementaire sur les livraisons d'armes à l'Égypte depuis 2013".

Europe 1, le 2 juillet 2018

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ayarihaddad.PNG Henda Ayari et l'un de ses avocats (l'autre Francis Spizner est l'avocat de Sarkozy spécialisé dans les affaires libyennes...), membre de... LR ! Rien de politique on vous dit !(Coll. du Musée de l'Europe)

NB ;

L’ÉTAT DE SANTÉ DE TARIQ RAMADAN CONTINUE À SE DÉTÉRIORER GRAVEMENT. (La neurologue de l hôpital de La Pitié-Salpêtrière constate une détérioration à plusieurs niveaux.)

Au début de son incarcération à la prison de Fleury-Mérogis le 2 février 2018, le professeur Tariq Ramadan souffrait d’une sclérose en plaques avec quelques fourmillements aux jambes et au bout des doigts. Cependant, il était en bonne santé et vigoureux si bien que très peu de personnes savaient ou soupçonnaient qu’il était atteint, depuis des années, de maladies chroniques maintenues sous contrôle grâce à un suivi médical sérieux et régulier.

Après 15 jours d’incarcération, les fourmillements ont commencé à augmenter et à se densifier des orteils au bassin ainsi que sur la moitié des deux mains. Le professeur a commencé à souffrir de migraines fortes et persistantes ainsi que de crampes très douloureuses.

C’est dans cet état que Tariq Ramadan est entré à l’EPSNF de Fresnes (Etablissement Public de Santé National) le 20 mars après 4 hospitalisations en urgence entre la prison de Fleury-Mérogis et l’hôpital de Corbeil- Essonnes suivi d’un passage à l’hôpital de La Pitié- Salpêtrière. A l’EPSNF le professeur a été suivi par un médecin de médecine physique et de réadaptation. Malgré le fait qu’il soit dans une unité hospitalière qui lui prodigue des soins en kinésithérapie et ergothérapie, lesquels étaient stipulés par les experts, son état n’a cessé d’empirer.

Le 12 juin, le professeur Ramadan a été à nouveau admis à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière où il a revu un médecin neurologue pour la première fois depuis le 9 mars. La neurologue a alors constaté une dégradation sévère de son état de santé :

1) perte de poids inquiétante de 11kg 2) marche difficile et impossibilité de se déplacer sans un déambulateur 3) dysesthésie (trouble de la sensibilité) douloureuse des membres inférieurs des orteils jusqu’aux genoux 4) paresthésie (fourmillements, engourdissements) sur tout le bras droit jusqu’à l’épaule avec crampes à la main et impossibilité d’écrire et paresthésie sur la main gauche 5) Perte de sensibilité générale 6) Maux de tête intenses et permanents 7) Troubles de la concentration avec un temps de concentration qui n’excède pas 20 minutes 8) Pertes de mémoire 9) Incontinence

Par ailleurs, la doctoresse neurologue en charge a reconnu, et c’est là la chose la plus inquiétante, la possibilité du caractère irréversible de ces symptômes. Un rapport initial avait pourtant indiqué que l’aggravation des symptômes était sans doute dûe à des facteurs psychologiques, ce qui les auraient rendu réversibles une fois les « facteurs stressants » évacués.

Sur la base des constats de dégradation de son état de santé et après un séjour de 3 semaines à La Pitié-Salpêtrière dans un contexte éprouvant, pendant lequel le professeur Ramadan est resté confiné dans sa minuscule chambre 24h sur 24 dans un isolement total sans aucune sortie ni promenade, il est aujourd’hui renvoyé à l’ EPSNF pour une durée indéterminée. Jusqu’à quand ?

Non seulement toute cette affaire est traitée dans un non respect absolu de la présomption d’innocence, mais il apparaît clairement, de surcroît, que la non prise en compte par les juges de la dégradation de la santé du professeur Ramadan laisse supposer une volonté de l’amoindrir tant physiquement qu’intellectuellement.

Comme l’a relevé l’avocat et politicien Robert Badinter, la France n’est pas le pays des droits de l’homme, mais elle est le pays de la DECLARATION des droits de l’homme. Au vu de la façon dégradante dont elle traite aujourd’hui un prisonnier politique tel que Monsieur Ramadan, nous sommes en effet bien loin des valeurs dont la France se réclame.

Bonus !

Marianne élève Henda Ayari au rang d'héritière de Simone Veil !!!

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Et Henda Ayari compare donc Tariq Ramadan à Auschwitz !!!

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En voiture les neuneu -es- x !!! (Le Concierge)

vendredi 29 juin 2018

Jacques Cotta, le journaliste inconnu dont tout le monde rêvait ?

educOCDE.png C'est pas du Laurence De Cock !!! ("Les Ministres passent, l'éducation trépasse", cliquer sur l'image pour voir l'émission)

Bravo l'artiste ! Le Concierge qui n'est gère flagorneur en est soufflé... Longue vie à vous sur LeMedia !

mardi 29 mai 2018

Tariq Ramadan maintenu en détention

ramadanmorin.PNG Collections du Musée de l'Europe (don de FXB)

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sifaouiantiterr2.PNG Collections du Laboratoire de Neuneulogie du Collège d'Argein

mercredi 16 mai 2018

À nouveau, la taille de l’instrument a dépassé la nôtre

À nouveau, la taille de l’instrument a dépassé la nôtre.

Karl Kraus

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L'allusion à Tolbiac est la suivante : Les étudiants occupant leur Faculté avaient invité Mathilde Larrère, Laurence de Cock (et Guillaume Mazeau), féministes moustachues, non-grévistes pas plus que leurs élèves ou étudiants auxquels elles donnaient cours dans le même temps, à leur donner... un cours d'émancipation !

LDCTolbiac3.png "En finir avec la personnalisation" (Laurence De Cock interviewée par Aude Lancelin...)[1]

Tous bien rangés dans leur amphi et applaudissant les profs à la fin du cours !!!

L'une de ces rebelles se vantant même d'avoir été au premier rang !!!

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Chantant comme au levé du drapeau un "hymne féministe"...

LDChymne.png Cliquer sur l'image pour voir ce grand moment de subversion ! (Pas dominés pour un poil les étudiants au garde à vous ! Ouaf, ouaf !)

(Collections du Laboratoire de Neuneulogie du Collège d'Argein)

"...le mensonge déconcertant de naïveté selon lequel l’enseignant révolutionnaire est celui qui parle de révolution à ses élèves… ceci n’ouvrant à rien d’autre qu’à un nouveau formalisme scolaire, à un exercice de plus pour des élèves que l’on confine dans leur « métier d’élève ». Surtout, cette conception laisse en place la guirlande des dispositions hiérarchiques sur lesquelles s’organise le système." (Olivier Vinay)

Scoop ! On apprend incidemment que ni Mathilde Larrère ni ses étudiants ne sont en grève et qu'on compte sur d'autres pour la mener en leur fournissant "procuration" (comme dit Serge Halimi aux ouvriers du Havre il y a deux ans !!!)

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Et pendant ce temps-là, le Frédéric de ces dames donnait des leçons d'alpinisme à Chamonix, se portraiturant en cadre hyper-actif trouvant quelques jours pour souffler à la montagne !!!!

lordonchamonix.png Cliquer sur l'image pour voir ce grand moment qui vaut bien le Fort de Brégançon...

Fais gaffe Frédéric, quand on passe à la philo, il y a la crevasse Heidegger ! Non mais !

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Bourdieu se retourne dans sa tombe...

Et Macron se frotte les mains face à l'opposition de sa majesté...

Car le Peuple regarde... et à la fin qui c'est qui va en prendre plein la gueule ?

Le Concierge

Notes

[1] Xavier-Mathieu : Ce que réussit Ruffin le 26, je pense qu'il en est quand même beaucoup à la base... - LDC : Le 26, non !-Xavier-Mathieu : Ouais, mais c'est aussi... C'est quand même dans la mouvance... -LDC : Il est pas à la base du 26. Non ! Non ! C'est Copernic ! (lire : Avis de décès de la Fondation Copernic)". Revoir ce grand moment d'entrisme...Ouaf, Ouaf !

jeudi 10 mai 2018

Convergence des luttes

convergencedesluttes.png Cliquer sur l'image pour voir la vidéo...

Au-delà des idéologies, comment réunir le bloc social de 2005 face au bloc bourgeois pour un processus constitutionnel dont l'essentiel est la sortie des traités néolibéraux européens et de l'OTAN ? On doute bien franchement que la stratégie électoralo-médiatique de Ruffin et Lordon, avec, qui plus est, les trotskistes de télévision en embuscade, ne conduise à autre chose qu'à nous amener définitivement dans le mur. Car c'est ignorer la sociologie du "Bloc populaire" - dont ils ont la même peur de classe que ceux qu'ils croient combattre, espérant, pour citer Lordon, que les "cadres craquent"... Les élections continuent à être jouées au centre décidément ! Mais le centre, c'est Macron, idiot ! (Qu'allez-vous faire la prochaine fois que Mediapart agitera le speeeeeectre des années 30 à travers le croque-mitaine Le Pen ?) Et sortir des traités d'austérité, c'est populaire (Le Concierge)

PS (sic) : Pour la déco, "Fête des travailleurs" aurait été plus indiqué que "Fête du travail", certains sont prompts à penser à mal...

mardi 1 mai 2018

"Réintroduire le règne du «commercial» dans des univers qui ont été construits, peu à peu, contre lui, c'est mettre en péril les œuvres les plus hautes de l'humanité, l'art, la littérature et même la science"

bolloreguignols.PNG Cliquer sur l'image pour voir le documentaire "Bolloré un ami qui vous veut du bien"

Discours de Pierre Bourdieu à la réunion annuelle du Conseil international du musée de la Télévision et de la Radio, le 11/10/1999, devant les plus grands patrons mondiaux des médias.

Je ne vais pas me donner le ridicule de décrire l'état du monde médiatique devant des personnes qui le connaissent mieux que moi; des personnes qui sont parmi les plus puissantes du monde, de cette puissance qui n'est pas seulement celle de l'argent, mais celle que l'argent peut donner sur les esprits. Ce pouvoir symbolique qui, dans la plupart des sociétés, était distinct du pouvoir politique ou économique, est aujourd'hui réuni entre les mains des mêmes personnes, qui détiennent le contrôle des grands groupes de communication, c'est-à-dire de l'ensemble des instruments de production et de diffusion des biens culturels.

Ces personnes très puissantes, j'aimerais pouvoir les soumettre à une interrogation du genre de celle que Socrate faisait subir aux puissants de son temps (dans tel dialogue, il demandait, avec beaucoup de patience et d'insistance, à un général célèbre pour son courage, ce que c'est que le courage; dans un autre, il demandait à un homme connu pour sa piété ce que c'est que la piété, et ainsi de suite; faisant apparaître, chaque fois, qu'ils ne savaient pas vraiment ce qu'ils étaient). N'étant pas en mesure de procéder de la sorte, je voudrais poser un certain nombre de questions, que ces personnes ne se posent sans doute pas (notamment parce qu'elles n'en ont pas le temps) et qui se ramènent toute à une seule: maîtres du monde, avez-vous la maîtrise de votre maîtrise? Ou, plus simplement, savez-vous vraiment ce que vous faites, ce que vous êtes en train de faire, toutes les conséquences de ce que vous êtes en train de faire? Questions très embarrassantes auxquelles Platon répondait par la formule célèbre, qui s'applique sans doute aussi ici: «Nul n'est méchant volontairement.»

On nous dit que la convergence technologique et économique de l'audiovisuel, des télécommunications et de l'informatique et la confusion des réseaux qui en résulte rendent totalement inopérants et inutiles les protections juridiques de l'audiovisuel (par exemple les règles relatives aux quotas de diffusion d'œuvres européennes); on nous dit que la profusion technologique liée à la multiplication des chaînes thématiques numérisées répondra à la demande potentielle des consommateurs les plus divers, que toutes les demandes recevront des offres adéquates, bref, que tous les goûts seront satisfaits. On nous dit que la concurrence, surtout lorsqu'elle est associée au progrès technologique, est synonyme de «création» (je pourrais assortir chacune de mes assertions de dizaines de références, et de citations, en définitive assez redondantes).

Mais on nous dit aussi que la concurrence des nouveaux entrants, beaucoup plus puissants, qui viennent des télécoms et de l'informatique est telle que l'audiovisuel a de plus en plus de peine à résister; que les montants des droits, notamment en matière de sport, sont de plus en plus élevés; que tout ce que produisent et font circuler les nouveaux groupes de communication technologiquement et économiquement intégrés, c'est-à-dire aussi bien des messages télévisés que des livres, des films ou des jeux télévisés, bref, tout ce que l'on regroupe sous le nom «attrape-tout» (catch all) d'«information», doit être traité comme une marchandise comme les autres, à laquelle doivent être appliquées les mêmes règles qu'à n'importe quel produit; et que ce produit industriel standard doit donc obéir à la loi commune, la loi du profit, en dehors de toute exception culturelle sanctionnée par des limitations réglementaires (comme le prix unique du livre ou les quotas de diffusion). On nous dit enfin que la loi du profit, c'est-à-dire la loi du marché, est éminemment démocratique, puisqu'elle sanctionne le triomphe du produit qui est plébiscité par le plus grand nombre.

À chacune de ces «idées» on pourrait opposer, non pas des idées, au risque d'apparaître comme un idéologue perdu dans les nuées, mais des faits: à l'idée de différenciation et de diversification extraordinaire de l'offre, on pourrait opposer l'extraordinaire uniformisation des programmes de télévision, le fait que les multiples réseaux de communication tendent de plus en plus à diffuser le même type de produits, jeux, soap operas, musique commerciale, romans sentimentaux du type telenovelas, séries policières qui ne gagnent rien, même au contraire, à être françaises, comme Navarro, ou allemandes, comme Derrick, autant de produits issus de la recherche des profits maximaux pour des coûts minimaux, ou, dans un tout autre domaine, l'homogénéisation croissante des journaux et surtout des hebdomadaires.

Autre exemple, aux «idées» de concurrence et de diversification, on pourrait opposer le fait de la concentration extraordinaire des groupes de communication, concentration qui, comme le montre la plus récente fusion, celle de Viacom et de CBS, c'est-à-dire d'un groupe orienté vers la production des contenus et d'un groupe orienté vers la diffusion, aboutit à une intégration verticale telle que la diffusion commande la production.

Mais l'essentiel est que les préoccupations commerciales, et en particulier, la recherche du profit maximal à court terme s'imposent de plus en plus et de plus en plus largement à l'ensemble des productions culturelles. Ainsi, dans le domaine de l'édition de livres, que j'ai étudié de près, les stratégies des éditeurs, et spécialement des responsables des grands groupes, sont orientées sans équivoque vers le succès commercial.

C'est là qu'il faudrait commencer à poser des questions. J'ai parlé à l'instant de productions culturelles. Est-il encore possible aujourd'hui, et sera-t-il encore longtemps possible de parler de productions culturelles et de culture? Ceux qui font le nouveau monde de la communication et qui sont faits par lui aiment à évoquer le problème de la vitesse, des flux d'informations et des transactions qui deviennent de plus en plus rapides, et ils ont sans doute partiellement raison quand ils pensent à la circulation de l'information et à la rotation des produits. Cela dit, la logique de la vitesse et du profit qui se réunissent dans la poursuite du profit maximal à court terme (avec l'Audimat pour la télévision, le succès de vente pour le livre - et, bien évidemment, le journal -, le nombre d'années pour le film) me paraissent incompatibles avec l'idée de culture. Quand, comme disait Ernst Gombrich, les «conditions écologiques de l'art» sont détruites, l'art et la culture ne tardent pas à mourir.

Pour preuve, je pourrais me contenter de mentionner ce qu'il est advenu du cinéma italien, qui fut un des meilleurs du monde et qui ne survit plus qu'à travers une petite poignée de cinéastes, ou du cinéma allemand, ou du cinéma d'Europe de l'Est. Ou la crise que connaît partout le cinéma d'auteurs, faute notamment de circuits de diffusion. Sans parler de la censure que les distributeurs de films peuvent imposer à certains films, le plus connu étant celui de Pierre Carles. Ou encore le destin de telle chaîne de radio culturelle, aujourd'hui livrée à la liquidation au nom de la modernité, de l'Audimat et des connivences médiatiques.

Mais on ne peut comprendre vraiment ce que signifie la réduction de la culture à l'état de produit commercial que si l'on se rappelle comment se sont constitués les univers de production des œuvres que nous considérons comme universelles dans le domaine des arts plastiques, de la littérature ou du cinéma. Toutes ces œuvres qui sont exposées dans les musées, tous ces ouvrages de littérature devenus classiques, tous ces films conservés dans les cinémathèques, sont le produit d'univers sociaux qui se sont constitués peu à peu en s'affranchissant des lois du monde ordinaire, et en particulier de la logique du profit. Pour faire comprendre, un exemple: le peintre du Quattrocento a dû, - on le sait par la lecture des contrats - lutter contre les commanditaires pour que son œuvre cesse d'être traitée comme un simple produit, évalué à la surface peinte et au prix des couleurs employées; il a dû lutter pour obtenir le droit à la signature, c'est-à-dire le droit d'être traité comme un auteur, et aussi pour ce que l'on appelle, depuis une date assez récente, les droits d'auteur (Beethoven luttait encore pour ce droit); il a dû lutter pour la rareté, l'unicité, la qualité, il a dû lutter, avec la collaboration des critiques, des biographies des professeurs d'histoire de l'art, etc., pour s'imposer comme artiste, comme «créateur».

Or c'est tout cela qui se trouve menacé aujourd'hui à travers la réduction de l'œuvre à un produit et à une marchandise. Les luttes actuelles des cinéastes pour le «final cut» et contre la prétention du producteur à détenir le droit final sur l'œuvre, sont l'équivalent exact des luttes du peintre du Quattrocento. Il a fallu près de cinq siècles aux peintres pour conquérir le droit de choisir les couleurs employées, la manière de les employer, puis, tout à la fin, le droit de choisir le sujet, notamment en le faisant disparaître, avec l'art abstrait, au grand scandale du commanditaire bourgeois; de même, pour avoir un cinéma d'auteurs, il faut avoir tout un univers social, des petites salles et des cinémathèques projetant des films classiques et fréquentées par les étudiants, des cinéclubs animés par des professeurs de philosophie cinéphiles formés par la fréquentation desdites salles, des critiques avertis qui écrivent dans les Cahiers du cinéma, des cinéastes qui ont appris leur métier en voyant des films dont ils rendaient compte dans ces Cahiers, bref tout un milieu social dans lequel un certain cinéma a de la valeur, est reconnu.

Ce sont ces univers sociaux qui sont aujourd'hui menacés par l'irruption du cinéma commercial et la domination des grands diffuseurs, avec lesquels les producteurs, sauf quand ils sont eux-mêmes aujourd'hui dans un processus d'involution; ils sont le lieu d'un retour en arrière, de l'œuvre au produit, de l'auteur à l'ingénieur ou au technicien utilisant des ressources techniques, les fameux effets spéciaux, et de vedettes, les uns et les autres extrêmement coûteux, pour manipuler ou satisfaire les pulsions primaires du spectateur (souvent anticipées grâce aux recherches d'autres techniciens, les spécialistes en marketing).

Réintroduire le règne du «commercial» dans des univers qui ont été construits, peu à peu, contre lui, c'est mettre en péril les œuvres les plus hautes de l'humanité, l'art, la littérature et même la science. Je ne pense pas que quelqu'un puisse réellement vouloir cela. C'est pourquoi, j'évoquais, en commençant la célèbre formule platonicienne,«nul n'est méchant volontairement». S'il est vrai que les forces de la technologie alliées avec les forces de l'économie, la loi du profit et de la concurrence menacent la culture, que peut-on faire pour contrecarrer ce mouvement? Que peut-on faire pour renforcer les chances de ceux qui ne peuvent exister que dans le temps long, ceux qui, comme les peintres impressionnistes autrefois, travaillent pour un marché posthume?

Je voudrais convaincre, mais il me faudrait sans doute beaucoup de temps, que rechercher le profit immédiat maximal, ce n'est pas nécessairement, quand il s'agit de livres, de films ou de peintres, obéir à la logique de l'intérêt bien compris: identifier la recherche du profit maximal à la recherche du public maximal, c'est s'exposer à perdre le public actuel sans en conquérir un autre, à perdre le public relativement restreint des gens qui lisent beaucoup, fréquentent beaucoup les musées, les théâtres et les cinémas, sans gagner pour autant de nouveaux lecteurs ou spectateurs occasionnels. Si l'on sait que, au moins dans tous les pays développés, la durée de la scolarisation ne cesse de croître, ainsi que le niveau d'instruction moyen, comme croissent du même coup toutes les pratiques fortement corrélées avec le niveau d'instruction (fréquentation des musées ou des théâtres, lecture, etc.), on peut penser qu'une politique d'investissement économique dans des producteurs et des produits dits «de qualité», peut, au moins à terme moyen, être rentable, même économiquement (à condition toutefois de pouvoir compter sur les services d'un système éducatif efficace).

Ainsi le choix n'est pas entre la «mondialisation», c'est-à-dire la soumission aux lois du commerce, donc au règne du «commercial», qui est toujours le contraire de ce que l'on entend à peu près universellement par culture, et la défense des cultures nationales ou telle ou telle forme de nationalisme ou localisme culturel. Les produits kitsch de la «mondialisation» commerciale, celle du jean ou du Coca-Cola ou du soap opera, ou celle du film commercial à grand spectacle et à effets spéciaux, ou encore celle de la «world fiction», dont les auteurs peuvent être italiens ou anglais, s'opposent sous tous rapports aux produits de l'internationale littéraire, artistique et cinématographique, dont le centre est partout et nulle part, même s'il a été très longtemps et est peut-être encore à Paris, lieu d'une tradition nationale d'internationalisme artistique, en même temps qu'à Londres et à New York. De même que Joyce, Faulkner, Kafka, Beckett ou Gombrowicz, produits purs de l'Irlande, des Etats-Unis, de la Tchécoslovaquie ou de la Pologne, ont été faits à Paris, de même nombre de cinéastes contemporains comme Kaurismaki, Manuel de Oliveira, Satyajit Ray, Kieslowski, Woody Allen, Kiarostami, et tant d'autres, n'existeraient pas comme ils existent sans cette internationale littéraire, artistique et cinématographique dont le siège social est situé à Paris. Sans doute parce que c'est là que, pour des raisons strictement historiques, le microcosme de producteurs, de critiques et de récepteurs avertis qui est nécessaire à sa survie s'est constitué depuis longtemps et a réussi à survivre.

Il faut, je le répète, plusieurs siècles pour produire des producteurs produisant pour des marchés posthumes. C'est mal poser les problèmes que d'opposer, comme on le fait souvent, une «mondialisation» et un mondialisme qui seraient du côté de la puissance économique et commerciale, et aussi du progrès et de la modernité, à un nationalisme, attaché à des formes archaïque de conservation de la souveraineté. Il s'agit en fait d'une lutte entre une puissance commerciale visant à étendre à l'univers les intérêts particuliers du commerce et de ceux qui le dominent et une résistance culturelle, fondée sur la défense des œuvres universelles produites par l'internationale dénationalisée des créateurs.

Je vais finir par une anecdote historique, qui a aussi rapport avec la vitesse, et qui dira bien ce que devraient être, selon moi, les relations qu'un art affranchi des pressions du commerce pourrait entretenir avec les pouvoirs temporels. On raconte que Michel-Ange mettait si peu de forme protocolaire dans ses rapports avec le pape Jules II, son commanditaire, que celui-ci était obligé de s'asseoir très vite pour éviter que Michel-Ange ne soit assis avant lui. En un sens, on pourrait dire que j'ai essayé de perpétuer ici, très modestement, mais très fidèlement, la tradition inaugurée par Michel-Ange, de distance à l'égard des pouvoirs, et, tout spécialement, de ces nouveaux pouvoirs que sont les puissances conjuguées de l'argent et des médias.

Pierre Bourdieu

Voir aussi

Le Mariage d'Art & Entreprise

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